(Québec) L’élargissement tant attendu, et consensuel, de l’accès à l’aide médicale à mourir risque d’être « foutu » et reporté après les élections générales, craint l’opposition. Elle presse le gouvernement Legault de déposer un projet de loi au plus vite, alors qu’il reste bien peu de temps pour pouvoir l’adopter d’ici la fin de la session parlementaire le 10 juin.

Jeudi, les députés David Birnbaum (PLQ), Vincent Marissal (QS) et Véronique Hivon (PQ) ont fait une sortie publique conjointe pour faire pression sur le gouvernement Legault afin qu’il donne suite au rapport de la commission transpartisane sur l’aide médicale à mourir déposé en décembre. Ils avaient une invitée éloquente à leurs côtés pour faire bouger les choses.

« Le temps presse. Il y a des gens comme moi, plusieurs milliers de personnes, dont le compte à rebours est parti et il n’arrête pas », a lancé Sandra Demontigny qui est atteinte d’une forme précoce et héréditaire de la maladie d’Alzheimer. « On s’attend à ce qu’il me reste deux à trois années de vie acceptable », a-t-elle ajouté, la gorge nouée par l’émotion. Elle souhaite pouvoir déposer une demande anticipée d’aide médicale à mourir, ce qui lui permettrait de « partir en sérénité » et dans la « dignité » le moment venu.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Sandra Demontigny est atteinte d’une forme précoce d’Alzheimer.

C’est précisément à des personnes comme elle que le projet de loi tant attendu viendrait en aide.

Dans son rapport, la commission spéciale et transpartisane sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie a en effet recommandé d’élargir l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes inaptes, comme celles souffrant d’alzheimer, en leur permettant de présenter une « demande anticipée ». David Birnbaum (PLQ), Vincent Marissal (QS) et Véronique Hivon (PQ) étaient membres de cette commission.

En vertu de la Loi sur les soins de fin de vie déposée par Véronique Hivon et adoptée en 2014, seule une personne apte à donner son consentement, qui a une maladie incurable et dont le déclin est avancé et irréversible, peut obtenir l’aide médicale à mourir. Une personne souffrant d’alzheimer ou de démence qui est inapte à exprimer un consentement n’y a pas accès, même si elle répond aux autres critères comme le déclin avancé des capacités. Il n’est pas possible de demander à l’avance l’aide médicale à mourir.

Le gouvernement Legault s’est engagé à déposer un projet de loi pour faire suite à la recommandation de la commission transpartisane, mais il ne l’a toujours pas fait. La session parlementaire prend fin le 10 juin. « Si on ajourne » sans adopter une loi, « c’est foutu », et il faudra attendre un an pour que le dossier puisse se régler, a affirmé Vincent Marissal en conférence de presse. « Alors oui, on met de la pression sur le gouvernement. Le temps presse. Il reste 4 semaines. Ce n’est pas beaucoup de sable dans le sablier. »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Vincent Marissal

« Il est vraiment minuit moins une », a insisté Véronique Hivon. « C’est important que le message soit entendu et que le projet de loi soit déposé maintenant. […] En un mois, en travaillant de longues heures, on est capable d’y arriver » et d’adopter le texte législatif.

David Birnbaum a précisé qu’il n’est pas question de « faire l’économie d’un examen » rigoureux d’un projet de loi et que l’opposition est prête à siéger « le jour et la nuit » pour effectuer le travail.

La commission transpartisane était présidée par la députée caquiste Nancy Guillemette, qui brillait par son absence jeudi. Véronique Hivon a précisé que « Mme Guillemette, pour de raisons qui lui appartiennent, ne pouvait pas être là », mais qu’« elle est informée et solidaire de la démarche d’aujourd’hui ».

À la sortie du Salon bleu, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a affirmé que « le projet de loi est en préparation et va être déposé ». Il n’a pas pris l’engagement formel de le faire adopter avant le 10 juin, dernier jour de la session parlementaire avant la pause estivale puis la campagne électorale. Il a déjà trois projets de loi à l’étude à l’Assemblée nationale.

Dans son rapport, la commission spéciale recommande qu’« une personne majeure et apte puisse faire une demande anticipée d’aide médicale à mourir à la suite d’un diagnostic de maladie grave et incurable menant à l’inaptitude », comme un trouble neurocognitif.

La commission propose un encadrement à cet accès élargi à l’aide médicale à mourir. Seule une personne ayant reçu un diagnostic de maladie grave et incurable qui entraînera son inaptitude pourrait formuler une demande anticipée. Un adulte en parfaite santé ne pourrait pas en faire une en prévision d’une inaptitude éventuelle à la suite d’un accident, par exemple.

Lors de la rédaction d’une telle demande anticipée, le médecin devrait s’assurer « du caractère libre » et « éclairé » de la décision de la personne, sans pressions extérieures. La personne pourrait modifier la demande tant qu’elle est apte. Elle devrait « désigner un tiers de confiance chargé de faire connaître sa demande anticipée d’aide médicale à mourir et de réclamer en son nom le traitement de la demande au moment opportun ». En l’absence d’un tiers de confiance ou en cas d’empêchement, il faut que « la responsabilité de protéger la volonté du patient et d’agir soit assumée par un membre de l’équipe de soins ».

Toujours selon les recommandations de la commission, « lorsque le tiers de confiance dépose la requête sur la demande anticipée », le médecin doit examiner « les deux, la requête et la demande anticipée », les prendre en considération et y donner suite sans délai.

Avant d’administrer l’aide médicale à mourir, le médecin doit s’assurer que la personne respecte certains critères, comme avoir « des souffrances physiques ou psychiques, y compris existentielles, constantes, insupportables [ne pouvant] être apaisées dans des conditions jugées tolérables ».