Le gouvernement Legault tarde à mandater la commissaire à la santé et au bien-être

(Québec) Quatre mois après s’être engagé à mandater la commissaire à la santé et au bien-être pour revoir le modèle des soins à domicile, le gouvernement Legault ne l’a toujours pas fait. Un signal que Québec essaie « de gagner du temps » à l’approche des élections, déplorent l’opposition et l’ex-ministre de la Santé Réjean Hébert.

« Je suis convaincu que vieillir à la maison, c’est ce que souhaite la grande partie des Québécois », a lancé le premier ministre lors de son discours d’ouverture d’une nouvelle session parlementaire, le 19 octobre. François Legault espérait tourner la page sur la pandémie et remettre de l’avant ses priorités un an avant la fin de son mandat.

« Au moment où on doit entreprendre un grand virage vers les soins à domicile, on doit d’abord se poser des questions sur nos façons de faire. Est-ce que le modèle de soins à domicile au Québec est performant ? Est-ce que les formules de financement sont efficaces ? Est-ce que les tarifs sont équitables ? », énumérait-il.

Il annonçait alors dans son discours solennel au Salon bleu que son gouvernement allait mandater la commissaire à la santé et au bien-être (CSBE), Joanne Castonguay, pour qu’elle se « penche sur le soutien à domicile » pour ensuite lui formuler « des recommandations concrètes ».

Après vérification, la CSBE – qui a livré en janvier un imposant rapport sur la performance des soins et services aux aînés pendant la première vague de la pandémie – n’a pour l’heure reçu aucun mandat du gouvernement en matière de soins à domicile.

« Nous n’en savons pas plus, pour l’instant, que ce qui a été mentionné par M. Legault […] il y a plusieurs semaines déjà », a confirmé le bureau de Mme Castonguay.

Québec répond que le mandat sera donné sous peu.

« Le premier ministre a dûment énoncé son intention de mandater la commissaire de revoir le modèle et nos façons de faire en soins à domicile. Les modalités seront rendues publiques d’ici quelques jours », a affirmé lundi le cabinet du ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé.

« Il faut une volonté politique »

Mais ce délai n’augure rien de bon aux yeux de l’ex-ministre de la Santé dans le gouvernement Marois Réjean Hébert.

« Le fait que [le gouvernement] tarde à donner le mandat, ça me dit qu’il veut gagner du temps jusqu’aux élections. Ils sont certains [comme ça] que le rapport n’arrivera pas avant les élections. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Réjean Hébert, ex-ministre de la Santé du Québec et professeur titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

En campagne électorale, ils vont pouvoir dire qu’ils ont demandé un rapport et qu’ils l’attendent. C’est triste, mais c’est comme ça.

Réjean Hébert, ex-ministre de la Santé du Québec

M. Hébert estime que le Québec a tout en main pour aller de l’avant avec l’élaboration d’une politique en matière de soins à domicile. « On n’a absolument pas besoin d’avoir d’autres études, il faut une volonté politique et ce n’est pas là », tranche le professeur titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Lorsqu’il était ministre, M. Hébert proposait la création de « l’assurance autonomie pour tous », une sorte d’assurance de soins à long terme évaluée selon les besoins d’une personne âgée. Un livre blanc avait été publié et un projet de loi déposé en 2013, mais le gouvernement péquiste a perdu le pouvoir peu de temps après.

« Investissements importants »

Le gouvernement Legault se défend au contraire de ne pas agir : « En 2018, nous nous étions engagés à investir 800 millions supplémentaires en soutien à domicile. D’ici la fin de notre mandat, c’est plutôt 2 milliards supplémentaires qui seront investis », a indiqué le cabinet de la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais.

C’est sans précédent et ça témoigne que nous avons effectué un fort virage vers les soins à domicile.

Le cabinet de la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais

Selon le ministère de Mme Blais, il s’agit « d’argent neuf » qui vise à « augmenter le volume et la qualité » des services à domicile.

Dans son rapport annuel d’activités 2020-2021, la protectrice du citoyen, Marie Rinfret, soulignait que le gouvernement avait effectivement « consenti des investissements importants » au cours des deux dernières années.

« Malgré cela, l’objectif de permettre à ces personnes de vivre chez elles tout en recevant des soins et des services adaptés à leur condition n’est toujours pas atteint », indiquait-elle. Elle notait une offre de services « insuffisante » et « d’importantes disparités régionales ».

Pas une priorité, selon l’opposition

Les partis de l’opposition partagent l’avis de l’ex-ministre Hébert. « D’après moi, [le gouvernement] a trop de choses dans son assiette, il ne peut pas mener toutes ces batailles-là de front », indique le député de Québec solidaire Vincent Marissal.

Il s’interroge aussi sur la nécessité de mener une nouvelle étude sur les meilleures pratiques en soins à domicile.

Ce n’est peut-être pas nécessaire d’aller chercher les fleurs exotiques ailleurs. Je pense qu’on a pas mal fait le tour de notre jardin, ce qui me fait penser que c’est une opération pour gagner du temps.

Vincent Marissal, député solidaire de Rosemont

« On n’a surtout pas besoin d’un autre rapport », déplore pour sa part la députée péquiste Lorraine Richard, qui cite les récents travaux d’Alain Dubuc, de l’Institut du Québec, publiés en août. « On a besoin d’actions, et ce gouvernement-là n’est pas dans l’action pour nos aînés. Ça me met hors de moi », ajoute-t-elle.

Lorraine Richard souligne au passage que le gouvernement caquiste « fonce pourtant tête baissée » dans son projet de maisons des aînés. Des propos qui font écho à ceux de la députée libérale Monique Sauvé.

« Le soutien à domicile, c’est ce que les aînés veulent de plus en plus, et encore plus avec la COVID. Mais on s’entend que ça fait de moins belles coupures de ruban […] que de faire une annonce pour une maison des aînés », décoche-t-elle.

Au cabinet de Mme Blais, on déplore que les oppositions « se plaisent » à mettre les soins à domicile en opposition avec le développement de places d’hébergement, alors qu’il s’agit de « services complémentaires qui s’adressent à des clientèles différentes ».

En savoir plus
  • 397 702
    Nombre de Québécois qui recevaient des services de soutien à domicile au 31 mars 2021, soit 37 930 de plus que la mesure de départ en 2019.
    Source : ministère de la Santé et des Services sociaux
    24,4 millions
    Nombre total d’heures de services de soutien à domicile au 31 mars 2021, soit une augmentation de 4,9 millions d’heures par rapport à la mesure de départ en 2019.
    Source : ministère de la Santé et des Services sociaux