(Québec) Des infirmières de partout dans le réseau attendent depuis des mois le paiement de « plusieurs milliers » de dollars d’ajustement salarial rétroactif et de « primes COVID ». Des retards qui font hésiter des travailleuses à répondre à l’appel du gouvernement Legault pour contrer la vague Omicron.

Les principaux logiciels utilisés par le système de paie dans le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) n’arrivent toujours pas à verser l’ajustement salarial rétroactif et les primes dues à des milliers d’infirmières de la province depuis le renouvellement de leur convention collective, le 10 octobre dernier.

Il en va de même pour différents montants forfaitaires promis par Québec dans le cadre de la lutte contre la COVID-19. Des retards et des absences de paiement sont observés partout dans le réseau, a pu constater La Presse.

« On est en 2022, on va sur la Lune… Alors c’est difficile pour nous de comprendre que des logiciels soient incapables de prendre des montants qui nous sont dus depuis déjà un très bon moment », déplore la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Julie Bouchard, en entrevue.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Julie Bouchard, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec

Le plus difficile, c’est que le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) n’est pas en mesure de dire avec certitude quand la situation sera rétablie. « On n’a aucune date, aucun horizon », dénonce Mme Bouchard.

Les sommes de l’ajustement salarial rétroactif auraient dû être payées au plus tard le 3 janvier, soit 90 jours après l’entrée en vigueur du nouveau contrat de travail.

Au surplus, la prime spécifique de 3,5 %, accordée sans condition aux 76 000 professionnelles en soins, n’a été versée que dans certaines régions.

Pour cette dernière prime, l’employeur disposait de 45 jours pour « ajuster son système de paie », un délai largement dépassé.

Des problèmes subsistent aussi en ce qui concerne le versement des montants forfaitaires lorsqu’une infirmière à temps complet accepte de pourvoir des quarts de travail défavorables, de soir ou de nuit, par exemple. Cette prime – en vigueur depuis octobre – peut atteindre 2000 $ pour quatre semaines de travail consécutives.

« Pour plusieurs personnes, on peut parler de plusieurs milliers de dollars [à payer]. C’est beaucoup d’argent », illustre Mme Bouchard.

« Aucune perte pour les employés »

Le MSSS a confirmé à La Presse que les « établissements du RSSS travaillent activement à actualiser l’ensemble des mesures dans les meilleurs délais ». Le Ministère assure par ailleurs « qu’il n’y aura aucune perte pour les employés puisque les sommes seront versées rétroactivement selon la date d’entrée en vigueur ».

« Plusieurs facteurs influencent le versement des différentes mesures incitatives annoncées au cours des derniers mois ainsi que des modalités prévues aux nouvelles conventions collectives », écrit le MSSS dans un courriel. Ces « mesures nécessitent plusieurs développements dans les systèmes informatiques », ajoute-t-on.

Des corrections ont déjà été apportées et « d’autres le seront prochainement », ajoute le MSSS, précisant que les mesures qui impliquent une rétroactivité dans le temps « sont plus complexes à appliquer ».

Certains établissements ont évoqué février ou mars, mais les employés n’ont aucune confirmation du moment où les sommes seront versées.

« Une vraie maison de fous »

Ces délais pèsent lourd sur le moral des infirmières qui sont au front depuis le début de la pandémie. Michèle Lafond est infirmière auxiliaire au CISSS de Lanaudière. Elle n’a pas touché son ajustement salarial rétroactif ni la prime de 3,5 %. À cela s’ajoutent les primes impayées pour les quarts de soir et de fin de semaine.

Pourquoi il faut toujours se battre ? On en perd le fil, on ne sait même plus les sommes qui nous sont dues, c’est beaucoup de frustration.

Michèle Lafond, infirmière auxiliaire au CISSS de Lanaudière

« Bien souvent, joindre le système de la paye, c’est une vraie maison de fous. Il y a des délais, on laisse des messages… […] On nous fournit des explications qu’on finit par ne pas comprendre de toute façon. C’est très compliqué, très fâchant », témoigne-t-elle.

Les messages au sujet des primes et du versement de la paie affluent d’ailleurs dans les groupes de discussion de travailleurs de la santé. Certains parlent de leur motivation qui s’effrite devant les retards. D’autres s’expliquent mal l’ajout d’incitatifs financiers pendant que ceux en place ne sont pas encore versés.

La FIQ note à ce sujet que l’« adhésion » aux nouveaux incitatifs déployés par le gouvernement Legault pour traverser le tsunami Omicron « est plus difficile » dans ce contexte. Québec a annoncé au début de janvier un train de mesures estimées à 500 millions pour inciter les infirmières à demeurer au combat.

On prévoit par exemple une rémunération à taux double pour une employée qui effectue une sixième ou une septième journée de travail, ou un montant forfaitaire de 100 $ pour une travailleuse à temps partiel qui effectue un minimum de 30 heures.

« On a vu apparaître le taux double dans le dernier arrêté ministériel, cite Julie Bouchard. Mais l’adhésion à ce genre de mesures est plus difficile parce que les professionnelles en soins se demandent : je vais être payée quand pour ce taux double là ? Ça a un effet pervers sur l’ensemble des mesures actuelles et celles à venir. »

« Ça nous prend un engagement ferme »

La FIQ réclame au gouvernement Legault « une date » à laquelle s’accrocher pour le remboursement des sommes dues, tant celles liées aux « primes COVID » que celles prévues au nouveau contrat de travail. « Ça nous prend un engagement ferme, peu importe la solution qui sera trouvée pour pouvoir y arriver », lance Mme Bouchard.

S’il faut que ce soit [fait manuellement], qu’on le fasse. […] Ce n’est pas une question de reconnaissance, c’est une question d’engagement.

Julie Bouchard, présidente de la FIQ

« On peut comprendre qu’il y ait quelques semaines de différence, mais là, on est rendu à des mois. C’est inacceptable pour nous et pour nos membres », ajoute-t-elle.

Lors de l’annonce de nouvelles mesures ce mois-ci, le gouvernement Legault s’était engagé à ce que « les ajustements relatifs aux primes [soient] payés le plus rapidement possible ». Encore mercredi, en rencontre hebdomadaire avec les syndicats au sujet de la pandémie, les équipes du MSSS n’ont pas fourni d’échéancier ni de moyens pour accélérer les paiements, malgré les demandes de la FIQ.

Quelques exemples de montants dus à travers la province

CIUSSS de la Capitale-Nationale : Les montants forfaitaires de 200 $ et 2000 $ de l’arrêté 2021-085 sont impayés depuis septembre.

CISSS de Lanaudière : La prime spécifique de soins critiques en natalité allant jusqu’à 7 % demeure impayée, et aucune date n’est envisagée.

CISSS de l’Outaouais : La prime spécifique de 3,5 % est impayée.

CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal : Des dossiers liés la prime d’assiduité de 1000 $ offerte en 2020 sont encore en suspens.

À noter que d'autres établissements du RSSS sont visés par des retards similaires et que les établissements ci-dessus ont aussi plus d’une mesure impayée.

Source : FIQ