(Québec) Le réseau de la santé souffre d’une « dépendance structurelle extrêmement forte » aux agences de placement de main-d’œuvre, particulièrement dans l’offre de soins à domicile, conclut l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), dans une nouvelle étude. Québec devra revoir « complètement son modèle » s’il veut atteindre ses cibles et faire des soins à domicile une priorité.

Il est notoire que le recours aux agences de placement a explosé dans les dernières années au Québec, particulièrement depuis la pandémie. Ce qui l’est moins, c’est que ce sont les services de soutien à domicile (SAD) qui écopent le plus.

Le travail des agences correspond en effet à près de 30 % (27,2 %) des heures totales offertes en aide à domicile dans tout le réseau de la santé en 2020-2021, révèle l’IRIS mercredi. « Il y a là un taux énorme », fait valoir Anne Plourde, chercheuse et autrice de l’étude. Ce qui a des « conséquences néfastes bien connues sur la qualité des services », ajoute-t-elle.

Fait étonnant : ce taux était de 27,9 % l’année précédant la crise sanitaire, en 2019-2020.

Ça nous a surpris, mais les soins à domicile ont peut-être été moins affectés directement par la pandémie, contrairement à différents secteurs où on a eu plus recours aux agences de façon intensive.

Anne Plourde, chercheuse et autrice de l’étude

Québec devra donc redresser la barre s’il espère se sevrer des agences privées, estime l’IRIS. Le MSSS a dans sa ligne de mire de diminuer le « taux de recours à la main-d’œuvre indépendante » à 2,27 % pour l’ensemble des heures travaillées dans le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) en 2021-2022.

La mesure, qui fait partie du plan stratégique 2019-2023 du MSSS, a été ajustée en raison de la pandémie avec comme « mesure de départ » le taux au 31 mars 2021, qui était de 2,56 %. Pendant toute l’année pandémique (2020-2021), le recours aux agences a atteint 5 %, affirme Mme Plourde.

Cibles difficiles à atteindre

« Ce qu’on fait valoir, c’est que ça va être difficile d’atteindre les cibles pour le réseau en général si on ne va pas voir ce qui se passe dans un des secteurs où on a le plus recours à la main-d’œuvre indépendante : le secteur des soins à domicile », dit-elle.

Pendant que les milieux d’hébergement ont été mis à mal pendant la pandémie, le gouvernement Legault a promis en novembre un « grand virage » vers les soins à domicile. Québec a d’ailleurs confié à la commissaire à la santé et au bien-être le mandat d’examiner les meilleures pratiques pour « faire les bons choix ».

La croissance du recours aux agences est également presque deux fois plus rapide dans le secteur des SAD (81 %) que dans le reste du réseau (48 %) de 2015-2016 à 2019-2020. L’avantage financier à faire usage de la main-d’œuvre indépendante pour les SAD a aussi fondu, passant de 13 $ l’heure à 4 $ l’heure pour ces mêmes années.

Des disparités régionales

Selon la chercheuse, « l’utilisation des services d’agences est un choix politique et gestionnaire, comme font foi les importantes disparités dans le recours aux agences de placement d’une région à l’autre ». L’IRIS s’est appuyé sur les données de tous les CISSS et CIUSSS de la province pour dresser ses constats.

Son étude révèle que le recours à la main-d’œuvre indépendante pour les services à domicile varie de 22,56 % à 49,07 % uniquement dans la grande région Montréal. Dans d’autres régions, comme au CIUSSS de l’Outaouais, le taux du nombre d’heures travaillées en soins à domicile est d’à peine 0,98 %.

Cela démontre donc que l’enjeu n’est pas toujours la pénurie de personnel. « Sur un même territoire, comme à Montréal, par exemple, on ne voit pas comment il y aurait de grandes disparités en matière de disponibilité de personnel […], ça donne l’impression qu’il y a des choix gestionnaires qui sont faits », illustre-t-elle.

Elle suggère malgré tout de déployer des programmes de formation d’urgence, comme l’a fait le gouvernement Legault pour les préposés aux bénéficiaires, pour augmenter rapidement le nombre d’auxiliaires en santé et services sociaux.

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