Repartir ? Il n’en est pas question pour Magali Rénia, infirmière arrivée de France en 2019. « C’est ici que je me sens chez moi. »

Comme elle, plus d’un millier d’infirmières – fortement courtisées par le Québec, particulièrement depuis le début de la pandémie – ont été recrutées à l’étranger depuis 2019. À l’hôpital du Sacré-Cœur, à Montréal, « en ne prenant en compte que les soins intensifs, on a une trentaine d’infirmières françaises. Heureusement qu’elles sont là », souligne le DMartin Albert, intensiviste dans cet établissement.

Même en pleine pandémie, les infirmiers français interrogés (qui forment le plus gros contingent) sont globalement ravis. Le « temps supplémentaire obligatoire » (TSO) est certes un facteur irritant majeur pour ceux qui doivent en faire, mais ils sont contents d’avoir beaucoup moins de patients à leur charge. Ils sont aussi mieux payés et, expliquent-ils, la philosophie de soins est à la hauteur de l’excellente réputation du Québec en France à cet égard.

Par contre, tous sans exception pestent contre le retard dans l’informatisation des dossiers qui leur font perdre « certainement une heure et demie de soins auprès des patients », calcule Lucie Lottin, qui pratique à l’hôpital Honoré-Mercier, à Saint-Hyacinthe, depuis juin.

Très au fait de son retard informatique, le gouvernement Legault vient d’annoncer l’embauche de 3000 agents administratifs pour prêter main-forte aux infirmières.

PHOTO FOURNIE PAR LUCIE LOTTIN

Lucie Lottin, son conjoint et leurs quatre enfants se sont établis près de Saint-Hyacinthe.

Comme Magali Rénia, installée dans le Plateau Mont-Royal avec sa famille, Lucie Lottin souligne que son conjoint et elle, qui habitent, eux, dans un village près de Saint-Hyacinthe avec leurs quatre enfants, ne se voient pas du tout rentrer en France. « La vie est tellement plus douce, ici », lance-t-elle.

« Je suis peut-être en lune de miel, mais l’autre jour, j’étais en train de perfuser un patient, et par la fenêtre, j’ai vu toute la neige. Je ne m’en lasse pas. Les paysages m’émerveillent ! »

Ici, comme elle le faisait en France, elle travaille auprès des patients fraîchement opérés.

J’ai 12 patients au maximum. En France, j’en avais 23. En plus, au Québec, on travaille en collaboration avec des infirmières auxiliaires, ce qui n’existe pas en France.

Lucie Lottin, infirmière à l’hôpital Honoré-Mercier

Tant de patients en moins ? Tous les interviewés l’ont dit (avec des ratios qui diffèrent selon les unités dans lesquelles ils travaillent).

« Dans une unité de soins dite “traditionnelle” comme la pneumologie, la cardiologie ou la médecine interne, en moyenne, en France, on a de 10 à 12 patients de jour et le double la nuit, explique pour sa part Mathilde Selle, arrivée au Québec en mai 2021. Dans l’hôpital où je travaille actuellement, à Québec, pour le même type d’unités de soins, c’est quatre patients pour un infirmier le jour [8 h à 16 h], six patients pour un infirmier le soir [16 h à minuit] et neuf patients pour un infirmier la nuit. »

Vivement l’informatisation des dossiers

Même en pleine vague du variant Omicron ? « Nos chefs d’unité ne voulaient pas augmenter le ratio. Ils voulaient offrir des soins sécuritaires aux patients. »

Les soins aux patients sont grandement facilités, souligne Magali Rénia, « par le travail en binôme avec les infirmières auxiliaires. Ici, les infirmières ont beaucoup moins de médicaments à donner aux patients. […] Mais il y a tellement de paperasse ! ».

PHOTO FOURNIE PAR MATHIEU FOURCROY

Mathieu Fourcroy

Mathieu Fourcroy, qui vient du nord de la France, avoue que cela a bien failli lui faire plier bagage. « Au début, j’ai beaucoup remis en question mon choix en constatant à quel point tout était manuscrit ici. […] Les Français idéalisent beaucoup le domaine de la santé du Québec, qu’ils croient beaucoup plus avancé. Dans les faits, en termes de soins, c’est équivalent. »

Les bons côtés de sa pratique ici l’ont cependant convaincu de rester. « On ressent beaucoup moins le côté hiérarchique qu’en France. Il y a une reconnaissance réelle de notre métier, on parle plus avec les médecins et on peut avoir plus d’impact. »

PHOTO FOURNIE PAR MAGALI RÉNIA

Magali Rénia est arrivée de France en 2019.

Magali Rénia, qui est venue ici avec son conjoint et leurs trois enfants, n’en revient pas d’être enfin considérée comme une Française, « pour la première fois de sa vie ». « En France, quand on s’adresse à moi, on me demande tout de suite d’où vient ma couleur. Ici, jamais. »

D’un point de vue professionnel, Mme Rénia sent que l’horizon est vaste. « En France, il n’y a que deux possibilités : être infirmière à l’hôpital, ou être infirmière libérale, à son compte, et faire des soins à domicile. Au Québec, on peut travailler dans le public dans les soins à domicile, travailler au CLSC, en recherche. »

PHOTO FOURNIE PAR MATHILDE SELLE

Mathilde Selle devant le Château Frontenac

Mathilde Selle explique qu’elle souhaitait travailler dans une ville pas trop grosse, près de la nature, d’où il est facile de partir en randonnée. « Les recruteurs m’ont suggéré Québec. Ç’aurait tout aussi bien pu être Trois-Rivières ou Rimouski ! », raconte cette voyageuse dans l’âme qui a travaillé aux quatre coins de la France et en Nouvelle-Calédonie.

« Ce que j’ai aimé en tout premier, c’est l’accueil que j’ai reçu et la bienveillance des Québécois. En France, toute erreur sert à sanctionner. Ici, si l’on commet une erreur qui ne porte pas à conséquence – un problème mineur de tenue de dossier, par exemple –, on te dira : “Voyons ce que l’on peut mettre en place pour que ça ne se reproduise plus.” »

Une résidence permanente longue à obtenir

Aucun des professionnels interrogés n’a trouvé excessifs les délais avant de pouvoir venir ici. « Le Canada, ça se mérite ! », lance Lucie Lottin. Par contre, les cinq à sept ans qu’ils devront attendre pour avoir la résidence permanente leur semblent exagérés. « Ça, pour l’avoir, c’est un vrai parcours du combattant ! », dit Mme Lottin.

Sa fille aînée, maintenant en âge de conduire, s’est fait dire qu’elle n’avait pas le droit d’avoir son permis. Et de fait, sur le site internet de la Société de l’assurance automobile du Québec, il est précisé que les non-résidents ne peuvent conduire avec un permis étranger que si ce permis est valide. Or, elle n’en a jamais eu.

« C’est notre première claque », dit Mme Lottin, soulignant à quel point cela peut être handicapant dans un village et dans une province où les transports en commun hors des grandes villes sont rares.

Un infirmier qui n’a pas souhaité être nommé ici a relevé que les heures supplémentaires consenties, les risques pris en pleine pandémie auprès des patients (qui ont valu à beaucoup de contracter la COVID-19) et l’obligation d’être vacciné devraient leur valoir beaucoup plus rapidement la résidence permanente ou la nationalité pour ceux qui l’attendent.

PHOTO FOURNIE PAR FRANK BOULASLADJ

Frank Boulasladj

Au Québec depuis six ans et installé à Sherbrooke, Frank Boulasladj a pu avoir sa résidence permanente au bout d’un an, profitant d’une première mouture du programme Expérience Québec.

« En France, j’avais mon propre cabinet en soins à domicile. Je perdais beaucoup en partant, mais je ne regrette rien. On m’a donné ma chance et je suis maintenant conseiller en soins infirmiers. Jamais je n’aurais pu avoir un poste comme cela en France. »

« Étant de la communauté LGBT, enchaîne-t-il, je ne me retrouvais plus, en France, où il y a beaucoup de discrimination. J’aime mieux ma vie ici. Il y a moins de jugements, la société est plus inclusive. »

En chiffres

1262 : nombre d’infirmières recrutées à l’étranger depuis 2018-2019 (il y a eu 141 désistements, notamment en 2020-2021, au début de la pandémie)

108 : nombre de préposés aux bénéficiaires recrutés à l’étranger depuis 2018-2019 (14 désistements)

46 : nombre de travailleurs sociaux recrutés à l’étranger depuis 2018-2019 (un désistement)

Source : ministère de la Santé et des Services sociaux

Missions de recrutement

Au cours des deux dernières années, sept missions de recrutement ont été réalisées en France. Celle de mai se tenait précisément au profit de l’Abitibi-Témiscamingue. En décembre, le ministre Jean Boulet a annoncé la mise en place d’un plan d’action pour la reconnaissance des compétences des personnes immigrantes. La profession infirmière fait partie des métiers prioritaires qui ont été déterminés à cet égard, nous écrit le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration.