Patients qui reportent depuis trop longtemps une consultation. Effectifs réduits. Accès aux cliniques familiales encore parfois limité. Une tempête parfaite frappe les urgences de plusieurs hôpitaux.

À la veille des vacances d’été, les urgences des hôpitaux de la province commencent déjà à déborder. Certains établissements du Grand Montréal présentaient mardi des taux d’occupation largement au-dessus des 100 %.

C’est le cas notamment de l’hôpital Royal Victoria (170 %), de l’hôpital Pierre-Boucher à Longueuil (191 %), de l’hôpital de Saint-Jérôme (172 %), de l’hôpital du Suroît (175 %), de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont (148 %) et de l’hôpital Pierre-Le Gardeur (147 %). Des hôpitaux de régions sont aussi sous tension, notamment à Sept-Îles (210 %), à l’Hôtel-Dieu de Lévis (149 %), au Centre hospitalier régional de Lanaudière (167 %) et à l’hôpital de Hull (144 %).

Alors que les mois de mai et de juin sont normalement parmi les moins occupés pour les urgences de la province, les salles d’attente ne dérougissent pas, constate le président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, le DGilbert Boucher.

Nos salles d’attente depuis deux semaines sont vraiment pleines. Quand les patients cherchent de l’aide, ils viennent aux urgences.

Le DGilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec

Au CISSS de la Montérégie-Est, auquel est affilié l’hôpital Pierre-Boucher, on dit avoir reçu « plus de 195 visites » depuis lundi, dont des personnes âgées malades en attente d’un lit d’hospitalisation.

Un problème « complexe »

Mais plus grave encore, les hôpitaux sont loin d’avoir retrouvé leur vitesse de croisière même si la pandémie s’estompe peu à peu. Et cela se répercute sur les urgences. Le nombre de patients qui arrivent par ambulances n’est pas plus élevé qu’à l’habitude. Mais les hôpitaux ont moins la capacité de soigner ces cas, explique la Dre Judy Morris, présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec. Celle-ci note que plusieurs hôpitaux travaillent encore avec des équipes réduites dans plusieurs départements.

Le DBoucher constate lui aussi que le personnel manque partout. « Le système est étiré. Le moindrement qu’on a des petits soubresauts, on a de la misère à s’en sortir », dit-il.

Tout cela au moment où on tente de rattraper les retards en chirurgie. Et que les protocoles de soins sont encore alourdis par des mesures de protection contre la COVID-19. Par exemple, on évite toujours de regrouper trop de patients dans une même chambre, note la Dre Morris.

Celle-ci souligne que les vacances d’été, qui seront bien méritées, n’ont pas encore débuté dans les hôpitaux et que la situation dans les urgences pourrait donc être appelée à se complexifier dans les prochaines semaines. « Les hôpitaux vont devoir fonctionner en fonction de leur capacité. Sinon, c’est toujours les urgences qui écopent », dit-elle.

Mai et juin, habituellement, c’est les mois les moins occupés dans les urgences. On ne veut pas crier au loup. Mais c’est sûr qu’on est étiré.

Le DGilbert Boucher

Ce dernier souligne tout de même que les mesures de prévention liées à la COVID-19 sont en train de s’assouplir dans les hôpitaux au fur et à mesure que la situation pandémique s’améliore. « On continue d’être extrêmement vigilants. Mais ça, ça pourrait nous aider », dit-il.

Plus de patients ambulatoires

Pour amplifier le problème, beaucoup de gens se pointent aux urgences. La Dre Morris affirme que plus de patients ambulatoires (qui se présentent par eux-mêmes) se rendent à l'hôpital depuis quelques semaines, dont plusieurs qui ont hésité longtemps à voir un médecin. « Nos salles d’attente sont pleines ».

Plusieurs médecins d’urgence rapportent voir de plus en plus de patients qui se présentent avec des symptômes graves ignorés pendant trop longtemps par des personnes qui ne voulaient pas aller à l’hôpital en temps de pandémie.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Alors que les mois de mai et de juin sont normalement parmi les moins occupés pour les urgences de la province, les salles d’attente ne dérougissent pas, constate l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec.

Certains de ces patients se présentent aussi parce qu’ils ont de la difficulté à avoir accès à leur médecin de famille, selon la Dre Morris. Le DGilbert Boucher confirme qu’il y a « encore plusieurs cliniques qui ne fonctionnent pas à 100 % » et où les visites en présentiel sont limitées, ce qui pousse des patients à se tourner vers les urgences.

Jeudi dernier, la sous-ministre adjointe à la Santé, la Dre Lucie Opatrny, a envoyé une directive limitant le recours à la télémédecine pour les médecins de famille de la province. Cette directive, d’abord rapporté par Le Devoir, « vise un retour des consultations en présentiel, une diminution du recours à la téléconsultation pour ainsi permettre une reprise des activités cliniques jugées non essentielles en présentiel ». Les médecins de famille doivent donc limiter les téléconsultations à leurs patients inscrits « dont la problématique de santé est connue et non complexe ». « Aucune téléconsultation n’est autorisée pour les patients orphelins ou non connus par le médecin », indique la directive.

Le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le DLouis Godin, assure que les médecins de famille veulent des balises pour les téléconsultations. Mais il estime que cette directive arrive « rapidement, alors qu’on a encore des enjeux liés à la pandémie », et que les cabinets de médecins « ne sont pas revenus à leur fonctionnement normal ». Le DGodin donne en exemple plusieurs cliniques où les salles d’attente ne sont pas assez grandes pour assurer la distanciation de deux mètres entre les patients.

Pour le DGodin, plusieurs patients apprécient les téléconsultations, qui doivent rester, mais être encadrées « en fonction d’une réalité normale ». Le DGodin affirme que le fait que des patients se présentent aux urgences en disant avoir été incapables de voir leur médecin de famille est surtout causé par le fait que certains cabinets sont encore limités dans leur fonctionnement à cause des mesures liées à la COVID-19, bien plus qu’à des abus de la télémédecine.

De récentes données de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) obtenues par La Presse montrent que le recours aux téléconsultations par les médecins de famille baisse lentement, mais constamment au Québec depuis janvier. Pour la Dre Morris, la réalité des urgences est « complexe ». Et le recours important à la télémédecine ne pourrait expliquer à lui seul les forts taux d’occupation aux urgences observés actuellement.

Au plus fort de la pandémie, en avril 2020, 60 % des consultations par des médecins de famille se faisaient par téléconsultation. Cette proportion était de 37 % un an plus tard. Chez les médecins spécialistes, le taux de téléconsultation est passé de 32 % en avril 2020 à 12 % en avril 2021.