Le Collège des médecins dit avoir subi des pressions musclées de la part du ministère de la Santé et des Services sociaux parce qu’il permet à ses membres d’appliquer la nouvelle loi fédérale sur l’aide médicale à mourir (AMM), plus permissive que celle du Québec. Des hauts fonctionnaires ont même menacé de porter plainte contre le Collège auprès de l’Office des professions, affirme son président.

Ce bras de fer inusité a découlé d’une modification au Code criminel par le gouvernement fédéral, qui supprime l’obligation du deuxième consentement, celui qui doit être donné par le patient tout juste avant qu’on lui administre l’aide médicale à mourir.

Ces changements législatifs, en vigueur depuis le 17 mars, rendent la loi fédérale moins sévère que la loi québécoise. Résultat : le Québec, qui avait été à l’avant-garde de la réflexion sur l’aide à mourir, avec sa loi datant de 2014, se retrouve la province la plus restrictive en la matière.

Dans les semaines qui ont suivi l’adoption de la nouvelle loi fédérale, « les médecins qui pratiquent cet acte ont été de plus en plus interpellés, soucieux de répondre aux besoins de leurs patients », a expliqué à La Presse le président du Collège des médecins du Québec, le DMauril Gaudreault.

Le Québec est le seul endroit au Canada où il faut obtenir un consentement final.

Mauril Gaudreault, président du Collège des médecins du Québec

L’enjeu est le suivant : comme les patients québécois ont l’obligation de donner ce consentement final, ils doivent être lucides jusqu’au moment de recevoir l’aide médicale à mourir. Cela force certains d’entre eux à se priver des médicaments antidouleur pour rester pleinement conscients. Il arrive aussi que leur état ne leur permette tout simplement pas de donner ce consentement, s’ils ont sombré dans le coma par exemple.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Mauril Gaudreault

« Les médecins nous ont demandé : “Si on donne le soin quand même, sans consentement final, est-ce que le Collège risque d’intenter des poursuites ou de nous citer en discipline ?” », explique le DGaudreault.

Des médecins ont écrit par centaines. Le 5 mai, le Collège a donc envoyé une note aux 24 000 médecins du Québec pour leur dire qu’ils pouvaient utiliser l’une des deux lois, la fédérale ou la provinciale, et qu’il n’y aurait pas de mesures disciplinaires de sa part.

Le Collège accusé d’inciter ses membres à violer la loi

C’est cette note qui a mis le feu aux poudres.

« Des gens du Ministère nous ont dit qu’on ne pouvait pas recommander ça à nos membres étant donné la loi québécoise. Ils auraient espéré qu’on enlève la note en question de notre site web, ce que nous avons refusé de faire. »

[Les gens du Ministère] ont eu des propos menaçants à l’effet de porter plainte à l’Office des professions par rapport au fait que notre ordre professionnel était dans l’illégalité en recommandant ça à nos membres.

Mauril Gaudreault, président du Collège des médecins du Québec

Interrogé par La Presse, le Ministère explique que son intervention « a été de signifier au Collège des médecins du Québec que les dispositions de la Loi concernant les soins de vie du Québec s’appliquent au Québec et doivent être respectées ».

« Un ordre professionnel ne peut indiquer à ses membres qu’il est possible de ne pas respecter les dispositions d’une loi en vigueur, précise la porte-parole du MSSS, Marie-Louise Harvey. Ainsi, il a été demandé au Collège d’amender sa communication […], sans quoi l’Office des professions du Québec en serait avisé. »

Le jeu s’est calmé par la suite. Le Collège a rencontré le ministre de la Santé, Christian Dubé, la semaine dernière. « On lui a fait comprendre qu’on était dans une situation qui n’avait plus de sens. Il était bien d’accord avec nous. Ce que nous espérons, ce que les parlementaires vont faire, ce que le gouvernement va faire, c’est de proposer un amendement le plus rapidement possible pour lever cette obligation d’avoir un consentement final. »

« Il faut trouver une voie législative »

Le Collège a aussi publié une lettre ouverte dans La Presse, jeudi, pour presser le gouvernement à intervenir.

Lisez la lettre ouverte du Collège des médecins

Vendredi, le DGaudreault a témoigné dans le cadre de la commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie, qui étudie la possibilité d’élargir l’aide médicale à mourir. Le Collège est résolument pour l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes inaptes ou souffrant de troubles mentaux, a-t-il affirmé.

Mais comme cette commission ne fera pas ses recommandations avant plusieurs mois, il a demandé au ministère de la Santé une intervention rapide pour modifier la loi avant la fin de session parlementaire, le 11 juin. Une demande également formulée lors des audiences par le président de la Commission sur les soins de fin de vie, DMichel A. Bureau.

Des négociations sont en cours pour insérer, dans un projet de loi actuellement à l’étude et susceptible d’être adopté d’ici la fin de la session, un amendement qui permet d’harmoniser la loi québécoise et celle d’Ottawa. Le succès de ces efforts dépendra de l’appui que les partis d’opposition donneront à l’initiative. Le MSSS « partage certaines préoccupations avec le Collège des médecins du Québec et est d’accord sur la nécessité d’un amendement législatif avec l’accord des parlementaires », indique-t-il.