Le dépistage à grande échelle du cancer du poumon qu’envisage Québec doit s’accompagner de mesures pour aider les gens à cesser de fumer, plaident deux médecins

« C’est ironique. C’est comme encourager les gens à continuer de fumer en leur disant : “N’ayez pas peur, on va dépister votre cancer du poumon [à temps]” », peste le DSean Gilman.

Dans une lettre envoyée à La Presse, le DGilman, pneumologue et directeur du programme d’abandon du tabac du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), dénonce la volonté imminente du gouvernement, dont il dit avoir été informé, d’offrir à grande échelle le dépistage du cancer du poumon par tomographie axiale à faible dose (scan) aux fumeurs de 55 à 74 ans et à ceux qui ont cessé de fumer depuis moins de 15 ans.

En entrevue, il insiste : bien sûr, il n’est pas opposé au dépistage. D’ailleurs, c’est au CUSM qu’est né le projet pilote de dépistage chez les 55 à 74 ans qui serait sur le point d’être étendu à quatre gros hôpitaux du Québec.

Mais selon le DGilman, ce dépistage doit impérativement faire partie d’une stratégie complète qui inclurait en première ligne le remboursement complet et sans condition des produits pour aider les gens à cesser de fumer (le médicament Champix, les timbres, etc.).

Or, à l’heure actuelle, ils ne sont remboursés par la Régie de l’assurance maladie qu’en partie, pour quelques semaines consécutives d’essai. Si le fumeur rechute, explique le DGilman, il doit payer les aides au sevrage de sa poche ou attendre d’être de nouveau admissible l’année suivante. Selon le médecin, cette idée d’étendre le remboursement, qu’il réclame depuis des années, n’est toujours pas dans les cartons.

En préconisant de cette manière le dépistage du cancer du poumon chez les 55 à 74 ans, on néglige totalement les fumeurs des autres groupes d’âge, se désole le DGilman. Au surplus, cela « n’empêchera pas les 14 cancers ni les 22 autres maladies causées par le tabagisme ».

« Hypocrite »

Le cosignataire de la lettre, le DMark-Andrew Stefan, responsable médical des services de cessation tabagique du CISSS de Laval, trouve pour sa part qu’un tel programme de dépistage offert isolément est « hypocrite ». « On n’a pas fait tout ce qu’il fallait pour soutenir le fumeur qui veut arrêter, mais on va débourser des millions pour un programme nettement moins efficace. On dirait que pour le gouvernement, l’argent pousse dans les arbres. »

« Ça fait deux ans qu’on demande au gouvernement de financer plus adéquatement des interventions plus efficaces [en prévention] », fait-il lui aussi remarquer.

Le DStefan explique que le programme, qui prévoira trois scans par fumeur, allongera les délais d’attente pour ce type d’examen pour les patients qui en ont, eux, besoin d’urgence.

Sans compter tout le suivi et les biopsies, qui ne sont pas sans danger, insiste-t-il.

Le DStefan souligne que la multiplication des scans sauvera bien peu de vies – environ 3 pour 1000 personnes ayant fait l’objet d’un dépistage, selon l’étude citée dans sa lettre publiée dans la section Débats – et provoquera beaucoup d’angoisse inutile en raison de faux résultats positifs très nombreux.

Il signale aussi que les fumeurs, qui sont nombreux à se tourner vers les cigarettes de contrebande moins coûteuses, sont loin d’être tous assez nantis pour payer eux-mêmes les aides thérapeutiques au sevrage.

Au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) – l’un des hôpitaux qui offriraient le dépistage sous peu –, on nous a invités à communiquer avec le ministère de la Santé et des Services sociaux.

Au Ministère, à qui l’on a présenté une demande de renseignements, on n’a pas voulu offrir de commentaire. « Des annonces seront faites en temps opportun », nous a-t-on dit.