(Montréal) Plus de 10 ans après le début des travaux de son immense chantier, le mégahôpital du CHUM de Montréal s’apprête à ranger ses outils et à le déclarer « terminé ». L’ingénieur Jacques Morency s’est infiltré petit à petit dans le projet pour être sûr d’en faire partie quand il sortirait de terre. À l’aube de l’inauguration de sa dernière phase, il s’est remémoré chacune des étapes de sa construction et est aujourd’hui fier de voir que l’hôpital soigne la communauté, et des patients d’un peu partout au Québec.

Un projet comme cela, tu vois ça une fois dans ta vie. Pas deux.

Jacques Morency, ingénieur

Cette semaine, dans le couloir menant à son bureau, l’homme de 66 ans a montré à La Presse Canadienne des photographies de toutes les étapes de construction du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), qui a débuté en 2010.

PHOTO GRAHAM HUGHES, THE CANADIAN PRESS

L'ingénieur Jacques Morency a travaillé sur l'immense projet du nouveau CHUM.

Si les travaux se sont échelonnés sur 10 ans, il y avait une raison : outre la tâche titanesque, il fallait démolir l’hôpital Saint-Luc avant de pouvoir utiliser le terrain sur lequel il repose. Et avant de le détruire, il fallait bien sûr construire le lieu où ses activités cliniques seraient maintenant effectuées.

Le 10 juin prochain, la troisième et dernière phase du projet sera inaugurée : elle comprend des cliniques externes, des bureaux, une bibliothèque, un amphithéâtre de 356 places et la complétion du stationnement, ajoutant des espaces souterrains fort utiles en plein centre-ville.

Puis, le 21 juin, les patients franchiront pour la première fois l’entrée principale « officielle » du CHUM, située sur la rue Saint-Denis.

Juste à côté de celle-ci, Jacques Morency regarde avec satisfaction le nouvel amphithéâtre du CHUM, fait de feuilles de cuivre perforées, laissant joliment passer la lumière le soir, dit-il. Il servira notamment à l’enseignement avec ses quelque 350 places : le CHUM est un hôpital universitaire après tout. La structure évoque un pic de guitare, selon l’homme qui est le directeur associé, Architecture, ingénierie, construction et mise en service du nouveau CHUM.

Mais avant d’en arriver là, il a fallu démolir des maisons, la centrale thermique qui chauffe les bâtiments, l’ancienne école d’infirmières et une église, dont l’élégant clocher a été intégré à la structure de l’hôpital. M. Morency parle avec passion des gigantesques travaux d’excavation nécessaires, plus profonds que le roc.

Sans oublier la délicate démolition de l’hôpital Saint-Luc, dont il ne reste plus une pierre. En fait, il en reste deux, conservées comme artefacts.

Un vrai casse-tête : il a fallu dynamiter un terrain adjacent pour l’excaver, à quelques pieds, parfois seulement à quelques centimètres, d’un hôpital toujours actif. M. Morency raconte qu’il a fallu sceller l’hôpital avec des gaines, pour empêcher toute poussière d’y entrer, et des sismographes ont été installés à l’intérieur pour s’assurer que l’équipement médical n’était pas affecté. Les dynamitages avaient lieu sur le coup de chaque heure : « les chirurgiens le savaient : ils arrêtaient pendant 10 secondes et poursuivaient après », a-t-il mimé. C’est sur le site de l’ancien hôpital que se trouve la troisième phase du projet, inaugurée le mois prochain.

Elle permet de rapatrier des cliniques externes encore actives à l’Hôtel-Dieu et ses employés sont en train d’y apporter leurs boîtes. Désormais, les trois anciens hôpitaux — Hôtel-Dieu, Saint-Luc et Notre-Dame — sont tous sous le même toit.

Le complexe du centre-ville comporte maintenant 25 étages, dont cinq se trouvent sous la terre. Le Centre de recherche a été inauguré en 2013, et la phase 2 du projet l’a été en 2017 : ce fut alors l’ouverture de l’hôpital en tant que tel avec ses bâtiments dédiés aux soins et aux services diagnostiques, en plus de regrouper les laboratoires, la pharmacie et la banque de sang.

En occupant une partie de la rue de la Gauchetière, le méga-hôpital a aussi changé le canevas urbain et routier.

Sa facture ? 3,6 milliards pour les trois phases, ce qui comprend la construction bien sûr, mais aussi l’achat du terrain, les expropriations et l’achat d’équipements comme les appareils médicaux.

Le complexe hospitalier à la fine pointe de la technologie a reçu cinq distinctions aux Grands Prix du design 2018 en plus de remporter une vingtaine de prix à l’international.

Le projet d’une vie

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

En 1999, M. Morency était le directeur des services techniques du CHUM et l’une de ses missions était de moderniser les bâtiments hospitaliers existants. Il a entendu parler de ce concept de « site unique » pour le futur CHUM : « ça a piqué ma curiosité ». Il réalise alors qu’il n’est pas à la bonne place.

« Je voulais construire. Pas rénover ! »

Il a commencé à aller aider l’équipe responsable du projet, petit à petit, pour les devis de performance. Mais son patron l’a interpellé : il peut aller leur donner un coup de main — du moment qu’il fait son travail. Il a donc commencé à se joindre « bénévolement, sans être payé » à son équipe « d’adoption » de 8 à 16 h, avant de se rendre à son propre poste de 16 h à minuit. Pendant des années.

Pourquoi ?

« Je ne pouvais pas penser qu’un projet comme cela se bâtirait à côté de moi, pour la même organisation, sans que je puisse y participer. C’était impossible ».

Il est tombé dans la marmite quand il était fort jeune : « j’ai toujours regardé dans les petits carreaux sur les chantiers de construction », dit-il en souriant. Il dévouera finalement sa carrière à la construction hospitalière, comme ingénieur civil.

Puis il joint officiellement l’équipe.

Le projet n’a pas manqué de défis : l’on peut penser aux quelques 10 000 à 20 000 feuilles de plans, par exemple. Et puis, la « gouvernance n’était pas facile », souligne-t-il. L’ampleur du projet amenait un nombre élevé d’intervenants, de décideurs et des réunions à 30 participants.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Les efforts investis ont donné l’un des hôpitaux les plus modernes du monde avec des innovations technologiques à tous les étages : l’on peut notamment penser à ces robots (les VAG : véhicules automatisés guidés) qui se rechargent par eux-mêmes, prennent l’ascenseur seuls, et qui livrent draps, nourriture et équipements de soin aux étages.

Il est particulièrement fier de la qualité d’air dans les corridors du CHUM, qui est, dit-il, est au moins égale sinon supérieure à celle des blocs opératoires au pays, avance-t-il. Et dans ses différentes ailes, tout a été pensé pour minimiser l’impact sur les activités cliniques. « Un point d’alimentation en eau brise ? On en a un deuxième », illustre-t-il.

« Si jamais il y a une panne d’électricité générale à Montréal, c’est le dernier bâtiment qui va rester illuminé !, a-t-il lancé. « On va passer une journée sur les génératrices et vous ne le saurez même pas ».

Alors que ce projet de plus d’une décennie tire à sa fin, M. Morency est fier de savoir qu’il tout complètement intégré : chacune des activités cliniques et de recherche ont été réunies sous le même toit pour une plus grande efficacité. Et surtout, il se réjouit de savoir que ce méga-hôpital sera au service de la collectivité « pour les 50 ou 100 prochaines années ».