(Montréal) Une équipe du CHU Sainte-Justine procédera au cours des prochaines semaines à une intervention chirurgicale sans précédent au Québec, dans l’espoir de soulager l’épilepsie qui afflige un patient depuis plusieurs années.

Le défi est de taille : effectuer de petites incisions dans le cerveau du patient, tout en évitant d’endommager sa mémoire verbale.

Une telle intervention a déjà été réalisée à quelques reprises au Japon, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, mais le neurochirurgien Alexander Weil et son équipe seront les premiers à s’y attaquer au Québec.

« Ce patient souffre d’une épilepsie qui origine de l’hippocampe de l’hémisphère dominant [gauche], a dit le Dr Weil. Donc, la même région de son cerveau qui cause les crises d’épilepsie a également, on pense, des fonctions importantes de mémoire verbale. »

Il y a environ 70 % de chances que l’intervention guérisse les crises d’épilepsie du patient, a-t-il ajouté, mais il y a aussi un « risque non négligeable », de l’ordre de 30 % à 40 %, que l’on constate une détérioration de la mémoire verbale après la chirurgie.

La mémoire verbale permet, par exemple, de mémoriser une série de mots et de les répéter après quelques minutes, ou encore de relater la teneur d’une conférence après y avoir assisté.

Cet équilibre entre les bienfaits que pourrait engendrer l’intervention et les risques qui y sont inhérents trône au sommet des préoccupations des principaux intéressés.

« C’est comme un échange entre, “ je ne fais plus de crises d’épilepsie, mais j’ai un champ de ma vision que je n’ai plus, ou j’ai peut-être une faiblesse dans la main ”, a illustré le Dr Weil. C’est toujours une question de “ trade off ”, ou d’échange. »

Un patient qui se destine à une carrière d’avocat pourra hésiter à se soumettre à une intervention qui risque d’abîmer sa mémoire verbale, mais pas un patient qui souhaite travailler comme menuisier. L’inverse pourra être vrai si on parle d’une faiblesse à une main.

« Pour certaines chirurgies, on sait qu’il y a de bonnes chances que l’épilepsie disparaisse, et il y a peu de risques, a dit le Dr Weil. Ça, c’est [assez simple], on sait que c’est une opération avec un profil d’efficacité et de sécurité favorable, on sait qu’on peut guérir la maladie et il y a peu de risques de causer un déficit neurologique.

Alors que d’autres chirurgies ont un bon taux de succès, mais elles ont plus de risques de causer un déficit neurologique. Donc pour les familles et les patients, c’est un processus décisionnel qui peut être [complexe]. C’est aussi un défi pour nous.

Dr Alexander Weil, neurochirurgien

Qualité de vie

Le patient que le Dr Weil et ses collègues opéreront n’a pas souhaité nous accorder d’entrevue et on ne sait donc absolument rien à son sujet, pas même s’il s’agit d’un homme ou d’une femme.

On sait uniquement qu’il s’agit d’un individu de 19 ans qui souffre d’une épilepsie réfractaire (c’est-à-dire d’une épilepsie qui ne répond pas ou plus à la médication). Nous l’appellerons Claude pour les besoins de ce reportage.

L’épilepsie dont il souffre est une épilepsie du lobe temporal gauche, a précisé le Dr Weil. Ce sont 40  % des patients dans sa situation qui finissent par présenter une épilepsie réfractaire.

Ces crises imprévisibles minent la qualité de vie, empêchant par exemple ceux qui sont atteints de conduire ou les obligeant à dépendre constamment de leurs proches.

« La personne peut avoir l’impression qu’elle est un fardeau parce qu’elle est continuellement en train de demander des services aux gens autour », a dit Olivier Boucher, un neuropsychologue du CHUM qui accompagne Claude depuis longtemps.

Souvent, ajoute-t-il, si l’épilepsie apparaît soudainement à l’âge adulte, elle pourra interférer avec la vie que le patient s’était construite jusqu’à ce moment, avec sa carrière, ses loisirs ou son réseau social.

La maladie pourra alors devenir source d’isolement ou de stigmatisation.

« Ce qui est difficile avec l’épilepsie, c’est que ça peut être un peu imprévisible », a pour sa part expliqué le neurologue Mark Keezer, qui fait lui aussi partie de cette équipe.

Même avec une épilepsie réfractaire, la personne peut avoir des journées où elle se sent très bien. Mais elle sait qu’à tout moment, elle peut avoir une crise épileptique à un moment très inopportun. L’anxiété est très fréquente chez nos patients.

Dr Mark Keezer, neurologue

Transections sur l’hippocampe

Le Dr Weil est d’un calme olympien quand il détaille l’intervention qui l’attend.

« On va faire des transections, des coupes dans l’hippocampe, en tenant compte de la neuroanatomie fonctionnelle, a-t-il dit. On veut déconnecter les connexions qui favorisent les crises, mais on va préserver les connexions qui sont impliquées dans les réseaux de mémoire. »

Les crises d’épilepsie se font dans une direction, explique-t-il, tandis que ce qu’il appelle les « voies de connectivité pour les réseaux de mémoire » se trouvent dans une direction un peu perpendiculaire.

Donc, s’il procède à des coupes parallèles aux connexions de mémoire, il devrait être en mesure de préserver ces connexions tout en interrompant les circuits de l’épilepsie.

Malgré le fait qu’ils seront les premiers à procéder à cette intervention au Québec, le Dr Weil assure que ses collègues et lui sont « très à l’aise ».

« On connaît le patient, on connaît son anatomie et la technique en soi, oui elle est différente, mais pas au point où nous ne sommes pas à l’aise, a-t-il dit. Quand on connaît bien notre neuroanatomie comme chirurgien, et qu’on a beaucoup d’expérience, les petites modifications à la technique ne demandent pas nécessairement une grande adaptation. »

Et même si les centres qui sont en mesure d’offrir cette intervention à leurs patients sont rares, les données qu’ils produisent suggèrent qu’elle fonctionne aussi bien que d’enlever l’hippocampe et qu’en plus, elle peut préserver les fonctions de la mémoire.

Mais bien sûr, on ne dispose pas encore de données vieilles de 50 ans et découlant de milliers d’interventions.

En médecine, évidemment, les progrès se font par la recherche […] et si on faisait les choses comme on les faisait il y a 50 ans, ce serait au détriment de nos patients.

Dr Alexander Weil, neurochirurgien

« Dans l’esprit de toujours faire mieux pour nos patients, toujours dans l’esprit d’aller plus loin et de chercher à améliorer le sort de nos patients, parfois il faut utiliser des nouvelles techniques, des nouvelles technologies, et nous sommes toujours en train de nous ajuster, de modifier, d’avancer… toujours. »

Triés sur le volet

L’intervention que subira Claude au cours des prochaines semaines sera l’aboutissement d’au moins une année de discussions, d’examens et de réflexions, a indiqué le Dr Keezer.

« On n’opère pas tous les patients, a-t-il dit. On opère seulement les patients qui ne répondent pas aux médicaments, et ça, ça prend du temps. »

« Oui, les candidats sont évalués d’un point de vue médical pour s’assurer qu’ils sont de bons candidats », a-t-il ajouté, « mais un bon candidat, c’est aussi quelqu’un qui est motivé ».

« Le parcours, avec la chirurgie et la récupération après, ce n’est pas toujours facile », a prévenu le Dr Keezer.

Cela étant dit, poursuit-il, « il y a tellement de bénéfices à être capable de rendre quelqu’un sans crises, surtout chez quelqu’un de plus jeune ».

« Et on sait qu’en général, il y a moins d’effets secondaires avec la chirurgie, a-t-il souligné. Parce qu’ils sont plus jeunes, leur cerveau est capable de récupérer plus rapidement et de façon plus complète, aussi. »

Le Dr Weil abonde dans le même sens et martèle, encore et encore, à quel point il est crucial de placer dans un plateau de la balance les bienfaits que pourra engendrer l’intervention, et dans l’autre, les dangers qui l’accompagnent.

Cette intervention, dit-il, met bien en relief le défi qui l’attend : on ne peut pas abandonner ce patient-là à ses crises, mais en même temps, la chirurgie pourrait ajouter un déficit de mémoire.

Et le point d’interrogation, a indiqué le Dr Weil, est de savoir comment il va tolérer ça.

« Même si ça arrive, il y a des patients qui le tolèrent bien, et ce patient spécifiquement, il y a des chances qu’il le tolère bien, a-t-il dit en conclusion. On doit toujours essayer, comme conseillers, comme équipe de chirurgie d’épilepsie, de traiter ou guérir l’épilepsie, mais essayer de préserver les fonctions à tout prix. »

La forme masculine a été utilisée pour alléger le texte.