(Québec) Le ministre de la Santé, Christian Dubé, veut se donner les outils législatifs pour décloisonner l’accès aux données de l’imposant réseau de la santé et des services sociaux. Le projet de loi 19 doit rendre « fluide » le partage de renseignements pour le patient, le professionnel, le gestionnaire et le chercheur. Survol.

« La donnée doit suivre le patient »

Le projet de loi 19 sur les renseignements de santé et de services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives pourra permettre au patient d’avoir un meilleur contrôle des informations relatives à son dossier médical. C’est la donnée qui suivra le patient et non le contraire, illustre le ministre Dubé. C’est-à-dire que l’on pourrait consulter un professionnel dans un établissement, puis un autre dans une autre région par exemple et le dossier informatisé sera toujours disponible pour le soignant. Le patient pourrait aussi consulter son dossier et savoir quel professionnel l’a consulté. Le projet de loi introduit la notion du consentement implicite ce qui enlève une étape administrative en vue d’assurer une meilleure fluidité des informations. L’accès à son dossier médical en ligne pourrait être offert d’ici 2024, mais la centralisation des renseignements pour le professionnel sera plus rapide. Québec se donne une année après l’adoption du projet de loi pour implanter ces changements législatifs.

Les leçons de la pandémie

Le gouvernement Legault ne cache pas que la gestion de la première vague de la pandémie a été marquée par un accès difficile aux données sur le terrain. « Le manque d’informations en temps réel était critique. Il y a de l’information qu’on a reçue avec deux, trois semaines de retard. Je pense qu’on ne peut pas revivre ça », a dit M. Dubé. Qualifié de « mammouth », le projet de loi 19 vient modifier 27 lois pour permettre le transfert de données entre les établissements et organismes. C’est d’ailleurs en vertu de l’état d’urgence sanitaire que le gouvernement a pu avoir des données plus précises sur l’état du réseau. Le projet de loi permettra d’avoir accès à des « données plus granulaires » et « en temps opportun » après la crise sanitaire. Québec prévoit lever l’urgence sanitaire après la vaccination des 5 à 11 ans, au début de 2022. Un projet de loi sera déposé pour assurer le maintien de certaines mesures, dont l’accès aux données le temps que le projet de loi 19 soit adopté.

Outils de gestion

Le ministre Dubé estime que son projet de loi s’inscrit dans sa volonté de décentraliser le réseau de la santé en permettant aux établissements et directions d’avoir accès à un meilleur portrait du terrain. Ces informations-qui seront maintenant uniformisées-pourront évidemment remonter vers le ministère et le ministre. Il pourra aussi les demander et les obtenir plus facilement. Christian Dubé note la gestion des urgences et des listes d’attente pour les chirurgies, en exemple. « On continue d’avoir une gestion locale, des données locales, mais on les regarde sur une base nationale pour être capable de faire des arbitrages, parfois », a soutenu le ministre. Il assure que les données demeurent dénominatives et ne permettront donc pas d’identifier un patient, un travailleur ou un médecin. Cet automne, les négociations entre Québec et les médecins de famille avaient tourné à l’affrontement lorsque le premier ministre avait affirmé détenir une liste des médecins qui ne suivaient pas au moins 1000 patients. « Je n’ai jamais vu des données nominatives et je ne les veux pas, mais, je veux les avoir de façon individuelle […] ça veut dire que j’ai l’information sur une personne, mais je ne peux pas savoir c’est qui », a clarifié le ministre.

Accès aux chercheurs et au privé

Le projet de loi 19 donne également accès aux renseignements de la santé et des services sociaux aux chercheurs, sous certaines conditions. L’objectif est de simplifier le processus d’accès pour les projets de recherche. « Il faut donner autant à nos chercheurs internes qu’à des chercheurs externes la possibilité d’utiliser des données dans un environnement de confiance de façon organisée », a plaidé M. Dubé. Québec mettra sur pied un « centre d’accès pour la recherche » qui supervisera les demandes. Le privé n’aura pas accès à la donnée directement, assure-t-on. Le projet de loi vient interdire la vente de renseignements. Québec solidaire s’est montré préoccupé. « Nous serons contre toute forme de commercialisation ou même de partage de renseignements personnels qui appartiennent aux Québécois et aux Québécoises. Les dossiers médicaux de la population du Québec ne sont pas à vendre, ils ne sont pas de la chair à profit pour les pharmaceutiques », a prévenu le député Vincent Marissal.

Des verrous de sécurité

Québec assure que son texte législatif s’accompagne de verrous suffisant pour assurer la protection des données. Le projet de loi « donne aux organismes eux-mêmes des obligations en matière de gouvernance et de protection des renseignements, notamment l’obligation d’adopter une politique qui met en œuvre les règles définies par le ministre ». Le projet de loi donne à la Commission d’accès à l’information (CAI) la fonction d’en surveiller l’application et lui octroie en conséquence des pouvoirs d’inspection, d’enquête et d’ordonnance. Il lui donne aussi la fonction de réviser les demandes d’accès et de rectification, et prévoit dans certains cas un droit d’appel à la Cour du Québec.

Des bénéfices concrets pour les patients

Le milieu de la recherche et de la santé a applaudi vendredi le dépôt du projet de loi 19, convaincu que son adoption aurait des effets positifs à bien des égards.

Les personnes atteintes de cancer

L’utilisation des données permettra d’améliorer la prévention, le dépistage et le traitement du cancer. […] Espérons que le projet de loi permettra, entre autres, de mettre à niveau le registre des données sur le cancer et d’avoir des données à jour, normalisées et comparables. Contrairement aux autres provinces, le registre [du Québec] présente malheureusement des données qui datent de 2011.

Manon Pepin, PDG de la Société de recherche sur le cancer

La médecine de précision en région

Ce projet de loi ouvre un univers de nouvelles possibilités. La flexibilité proposée devrait notamment favoriser le déploiement de la génomique et de la médecine de précision, en région comme dans les grands centres, permettant ainsi un accès plus équitable à des thérapies innovantes.

Daniel Coderre, PDG de Génome Québec

Les mères et leurs enfants

Le Québec accuse un retard important en comparaison avec les autres provinces. C’est en nous basant sur des données canadiennes que nous avons pu recommander de vacciner les femmes enceintes contre la COVID-19, et rassurer les familles déjà aux prises avec un stress lié à une situation hors du commun et l’arrivée d’un bébé. Une meilleure utilisation des données favorisera une connaissance accrue de la santé maternelle et infantile, en plus d’assurer des parcours de soins optimaux.

Le Dr Dario Garcia, président de l’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec

Les CHSLD

Le manque de données a exacerbé la crise de la COVID-19 dans les CHSLD. Plusieurs leçons doivent en être tirées afin de protéger les personnes vulnérables. Une meilleure connaissance des besoins des personnes hébergées et une collaboration accrue entre les établissements sont nécessaires afin d’assurer une qualité et une continuité de soins sécuritaires.

Paul Arbec, président de l’Association des établissements de longue durée privés du Québec

Marie-Claude Malboeuf, La Presse