(Québec) Richard Genest souffrait d’une « pathologie avec un faible niveau de survie » et l’ouverture des urgences de Senneterre n’aurait rien changé au triste dénouement, a assuré le CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue, jeudi. Mais, devant les nombreuses questions soulevées par la mort de l’homme de 65 ans, le Bureau du coroner a ouvert une enquête.

Le drame a semé l’indignation à Québec alors que les partis de l’opposition ont à plusieurs reprises au cours des dernières semaines dénoncé la fermeture des urgences du CLSC de Senneterre. Le service est fermé 16 heures par jour depuis la mi-octobre en raison de la pénurie de main-d’œuvre. M. Genest, qui habite à une dizaine de minutes à pied des installations de Senneterre, n’a pu s’y rendre dans la nuit du 30 novembre.

L’homme a attendu les secours pendant plus de deux heures avant d’être pris « en charge correctement » à l’hôpital de Val-d’Or (ce qui inclut un délai d’attente d’une heure dix pour l’arrivée du service ambulancier). Une fois à Val-d’Or, la détérioration de son état de santé a forcé un nouveau transfert vers l’hôpital d’Amos, qui se situe à plus de 70 kilomètres, pour qu'il y subisse une intervention chirurgicale. Il est mort dans l’ascenseur de l’hôpital d’Amos.

« C’est une condition pathologique avec un faible niveau de survie même si tout était en place, même si les évènements s’étaient passés en milieu urbain », a expliqué jeudi le directeur des services professionnels du CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue (CISSSAT), François Aumond. Le CISSSAT a procédé à une « vérification diligente » de la séquence des évènements.

« On comprend que c’est une pathologie extrêmement grave, extrêmement subite qui nécessite un transport vers des structures diagnostiques et de traitement surspécialisé », a pour sa part affirmé le directeur médical régional des services préhospitaliers d’urgence, le DJean-Guy Ricard.

En aucun cas, l’arrivée de ce patient-là au CLSC de Senneterre n’aurait été utile ou salvatrice dans cette condition-là.

Le DJean-Guy Ricard, directeur médical régional des services préhospitaliers d’urgence

Les conclusions du CISSSAT font écho à la réaction du gouvernement Legault, qui a martelé jeudi que la fermeture des urgences de Senneterre « n’a rien à voir » avec la mort de M. Genest. « D’abord, je veux offrir toutes mes condoléances à la famille et aux proches de M. Genest. Maintenant, on a parlé avec la PDG du CISSS [de l’Abitibi-Témiscamingue, Caroline Roy] et, selon elle, la fermeture de l’urgence n’a rien à voir avec le décès », a assuré le premier ministre avant son arrivée au Salon bleu.

Le CISSSAT a transmis « toute l’information » relative au dossier de M. Genest au Bureau du coroner dans les heures qui ont suivi sa mort. « Le Bureau du coroner a été contacté et a décidé de ne pas prendre en charge le dossier étant donné qu’aucun élément ne justifiait une enquête », indiquait une communication de l’établissement de santé, mercredi soir.

Alors que les partis de l’opposition l’accusent d’avoir donné le feu vert à cette réorganisation de service controversée, le ministre de la Santé, Christian Dubé, s’est d’ailleurs appuyé sur cette « première analyse du coroner » pour affirmer qu’il n’y avait « pas de matière à enquête » et « aucun lien entre le décès de Richard Genest, qui est très malheureux » et la fermeture des urgences et la desserte ambulancière de la région.

Le Bureau du coroner revient sur sa décision

Mais « compte tenu de l’ensemble des questions soulevées par la population en général », le Bureau du coroner s’est ravisé jeudi.

Il est apparu important pour le Bureau du coroner de faire la lumière sur les circonstances qui ont mené au décès de M. Genest et de rendre les conclusions du coroner publiques au terme de l’investigation.

Le Bureau du coroner, à La Presse

L’annonce du déclenchement d’une enquête du coroner est survenue au moment même où François Legault tenait une conférence de presse pour confirmer la construction de « L’Espace Riopelle » au Musée national des beaux-arts du Québec. Il s’est défendu d’être allé vite en affaires en concluant quelques instants plus tôt qu’il n’y avait aucun lien entre la mort de M. Genest et la fermeture des urgences de Senneterre.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre François Legault

« J’ai rapporté ce que la PDG du CISSS a dit au ministre de la Santé. Et la PDG avait demandé au Bureau du coroner s’il pouvait y avoir une enquête et la première réaction a été de dire non. Nous, tout ce qu’on a fait, c’est répéter ce qui a été dit par la PDG et le Bureau du coroner », a-t-il répondu. Selon lui, dans cette affaire, « il y a peut-être eu un problème du côté des ambulances, la priorisation ».

Le CISSSAT assure pour sa part que même si M. Genest s’était présenté aux urgences de Senneterre, on aurait ensuite ordonné son transport vers Val-d’Or pour subir une « évaluation radiologique » et non à l’hôpital d’Amos directement parce qu’on ne pouvait présager à ce stade qu’il aurait besoin d’une intervention chirurgicale d’urgence. Selon le DRicard, en raison de la disponibilité ambulancière, le temps d’attente aurait été le même qu’il fût à la maison ou aux urgences de Senneterre.

Une seule ambulance assure la couverture du secteur de Senneterre, et ce, même avant la réorganisation de service, a indiqué le DRicard. Ce véhicule était déjà en route pour Val-d’Or au moment où M. Genest a fait appel aux secours, c’est donc un véhicule de Barraute qui lui a porté secours. Au total, il aura attendu les services ambulanciers pendant une heure dix, a indiqué le CISSSAT.

L’opposition dénonce l’inaction du gouvernement

Les partis de l’opposition ont tour à tour dénoncé l’inaction du gouvernement Legault dans le dossier des services de santé de Senneterre en Abitibi-Témiscamingue. Ils estiment qu’il s’agit d’une mort « évitable ».

« Je trouve absolument aberrant que la décision de fermer l’urgence ait été prise. Je réclame qu’elle soit ouverte et qu’on trouve des ressources », a fait valoir le chef parlementaire du Parti québécois, Joël Arseneau.

La cheffe libérale, Dominique Anglade, a dit s’être entretenue avec la mairesse de Senneterre. « Ils se sentent complètement délaissés, complètement abandonnés. Ils le disent eux-mêmes : “C’est comme si on ne comptait pas, au Québec, on est complètement livrés à nous-mêmes.” »

Les partis de l’opposition ont demandé à l’unisson jeudi matin le déclenchement d’une enquête du coroner. « Le trajet que le patient a dû faire, c’est comme partir de Montréal, aller virer à Joliette pour se faire dire que le spécialiste dont on a besoin est à Saint-Jérôme », a illustré la députée solidaire de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, Émilise Lessard-Therrien.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Émilise Lessard-Therrien, députée solidaire de Rouyn-Noranda–Témiscamingue

« C’est extrêmement important pour moi que le coroner se saisisse du dossier. Senneterre, c’est le symptôme d’une maladie plus profonde. Notre système est en hémorragie en Abitibi-Témiscamingue et le ministre n’a même pas de plaster, et je ne sais même pas s’il est en train de chercher la boîte », a-t-elle déploré.

L’ex-maire de Senneterre Jean-Maurice Matte s’était déplacé à l’Assemblée nationale cet automne, en compagnie du Parti libéral du Québec, pour dénoncer le manque d’écoute de la direction du CISSSAT dans le dossier. Le ministre Dubé s’était par la suite rendu à Senneterre.

Nouvelles primes pour les régions

Cette mort survient alors que le gouvernement Legault tente de ramener des renforts dans le réseau. Jeudi, Québec a de nouveau sorti le chéquier pour recruter des infirmières dans les régions plus éloignées, comme l’Abitibi-Témiscamingue. En plus de la prime de rétention de 15 000 $ – pouvant aller jusqu’à 18 000 $ dans certaines régions –, Québec versera 12 000 $ supplémentaires pour les travailleuses qui accepteront un poste à temps complet pour deux ans dans les régions suivantes : l’Abitibi-Témiscamingue, la Côte-Nord, la Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine, le Nord-du-Québec, le Nunavik, l’Outaouais et les Terres-cries-de-la-Baie-James. Ainsi, une personne qui fait le choix de s’établir en région éloignée pour travailler dans le réseau de la santé pourrait recevoir jusqu’à 30 000 $ pour la première année et 12 000 $ pour la deuxième. Depuis son opération recrutement, plus de 1305 infirmières ont été engagées. À cela s’ajoutent près de 4000 travailleuses qui ont accepté un rehaussement de poste à temps complet. Québec discute aussi avec près de 4543 candidates potentielles.

Fanny Lévesque, La Presse