Depuis trois ans, au moins 17 patients se sont suicidés entre les murs d’un hôpital du Québec, selon une recension de La Presse. Plusieurs étaient justement hospitalisés en raison d’idées suicidaires. La situation risque d’empirer avec la pénurie de personnel qui sévit actuellement dans le réseau de la santé, prévient une experte.

« Comment se fait-il qu’une personne que tu envoies à l’hôpital pour une tentative de suicide soit capable de se suicider ? » C’est la question que se pose Suzy Bossé depuis que son frère, Marc Bossé, s’est donné la mort en décembre 2020 au Centre hospitalier régional du Grand-Portage de Rivière-du-Loup.

Depuis 2018, au moins 17 personnes, dont M. Bossé, se sont suicidées dans un hôpital, selon une analyse des rapports du coroner effectuée par La Presse. Les lacunes recensées sont multiples : médicaments ou produits nocifs à portée de main des patients, mauvaise évaluation du risque suicidaire, notes au dossier mal consignées. « Il s’agit d’un suicide qui aurait pu être évité », note le coroner Pierre Guilmette au sujet d’un homme qui a avalé un désinfectant toxique.

Le risque suicidaire dans les hôpitaux « inquiète énormément » Jessica Rassy, professeure agrégée à l’École des sciences infirmières de l’Université de Sherbrooke. « Je l’entends sur le terrain, raconte-t-elle. C’est une situation qui vient chercher les infirmières qui n’ont pas pu offrir les services nécessaires par manque de temps et de ressources. »

Comment éviter ces morts ? C’est la question centrale d’une enquête publique du Bureau du coroner sur la thématique du suicide, dont le volet factuel s’est terminé en octobre. Entamées en 2019, les audiences publiques ont examiné six cas. La Presse en présente deux autres, qui n’ont pas fait l’objet de l’enquête du coroner.

« Je te l’envoie et tu l’échappes »

Le 15 décembre 2020, près de 10 jours avant son suicide, Marc Bossé, 51 ans, n’allait pas bien et semblait en psychose. Une semaine plus tard, après avoir stoppé une tentative de suicide, sa famille a décidé de le faire hospitaliser. Or, le matin du 24 décembre, M. Bossé s’est pendu avec un drap dans une salle de bains de l’hôpital.

Sa sœur Suzy Bossé a appris la triste nouvelle en appelant à l’hôpital. Elle s’est rendue dans le Bas-Saint-Laurent. « Tu penses que tu t’en vas souhaiter Joyeux Noël à tes parents, mais finalement, tu t’en vas leur annoncer qu’on vient d’en perdre un », raconte-t-elle, la voix secouée par l’émotion.

La famille du défunt croyait le protéger en le faisant hospitaliser, souligne Mme Bossé. « Je te l’envoie et tu l’échappes », se désole cette dernière. « Je sais très bien que ce n’est pas l’hôpital qui lui a passé un drap au cou », nuance-t-elle. Reste que les conditions n’étaient pas suffisantes pour veiller à sa sécurité. Personne n’était affecté « à la surveillance constante des caméras », mais le patient était surveillé toutes les 30 minutes, peut-on lire dans le rapport du coroner.

À l’hôpital, M. Bossé a été évalué comme à « risque modéré » de suicide, un « non-sens » pour sa sœur.

« Il est rentré pour une tentative de suicide et tu me dis qu’il n’est pas à risque de se suicider ? », questionne-t-elle.

Le personnel de l’hôpital était-il surchargé ? À bout de souffle en raison de la fatigue ? Ces questions demeurent en suspens. La pandémie de COVID-19 sévissait depuis 10 mois déjà dans le réseau.

Au CISSS du Bas-Saint-Laurent, on soutient que les suivis sont adaptés « en fonction de l’évaluation de chacun des cas » et leur « niveau de risque ». « Par exemple, des tournées visuelles en personne sont tenues aux 15 minutes », explique Claudie Deschênes, directrice des programmes de santé mentale et dépendance.

« Ça a fini comme ça »

« Je veux que mon frère ne soit pas mort pour rien », laisse tomber Mélanie Gélinas, qui aurait souhaité que l’enquête publique du coroner étudie son cas. « Si sa situation peut aider à ce qu’on améliore le système, ça va me permettre de guérir », explique-t-elle.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

L’Institut universitaire en santé mentale Douglas

Le 11 juillet 2018, Jean-Sébastien Gélinas s’est pendu dans sa chambre de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas à Montréal. Il avait 40 ans. Sa santé mentale s’était détériorée dans l’année avant sa mort, témoigne Mélanie Gélinas. L’homme a été hospitalisé cinq fois en raison d’idées suicidaires dans les six mois avant le drame, la dernière fois pour une tentative de suicide. « Il a appelé le 911 à quelques reprises, car mon frère ne voulait pas mourir au début, détaille sa sœur. Il a demandé de l’aide pendant un long moment. Et ça a fini comme ça. »

Mélanie Gélinas a voulu attendre que son frère aille mieux pour aller le visiter. Ce n’est jamais arrivé. « Je regrette, se désole cette dernière. J’ai fait confiance au Douglas pour prendre soin de mon frère, et il s’est passé ce qui ne doit pas se passer dans cet hôpital-là. » Sans accuser personne, elle veut comprendre.

Pendant son dernier séjour au Douglas, Jean-Sébastien Gélinas « aurait exprimé à plusieurs reprises » qu’il allait se suicider à sa sortie, écrit la coroner. Son rapport, qualifié de « mince et froid » par le psychiatre de M. Gélinas, le Dr David Bloom, laisse des questions en suspens, regrette Mélanie Gélinas.

Besoin d’écoute criant

Selon la professeure Jessica Rassy, des lacunes du côté de l’évaluation du patient et du suivi, ainsi que le manque de ressources, sont en cause lors de suicides dans les hôpitaux. « Je trouve cela triste qu’un décès doive survenir pour qu’on débloque des ressources pour de la formation, de l’accompagnement et des suivis », souligne-t-elle.

Les interventions auprès des patients suicidaires visent surtout « à éteindre des feux » et ne « vont pas au fond de cette détresse », observe Mme Rassy.

Le besoin d’écoute de ces patients n’est souvent pas comblé. En voyant le personnel débordé, « ils sentent qu’ils dérangent », résume la professeure.

Le suicide dans les hôpitaux est pourtant l’affaire de tout le personnel, qui doit être formé à cet effet, souligne Mme Rassy.

L’absence de moyens objectifs pour poser un diagnostic – comme une prise de sang pour d’autres types de maladie – rend ardue l’évaluation du risque suicidaire. « En tant que psychiatres, nous ne sommes pas très bons pour prédire le suicide », admet le DDavid Bloom, psychiatre à l’Institut Douglas. Des études révèlent que plusieurs patients jugés à risque élevé par des psychiatres ne passent pas à l’acte, alors qu’à l’inverse, des personnes évaluées à faible risque commettent des suicides.

Généralement, le Douglas protège bien les patients suicidaires, selon le DGustavo Turecki, chef de psychiatrie du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal. Pour parvenir à se suicider lors d’une hospitalisation, la personne doit avoir planifié « énormément pour trouver où sont les failles », soutient-il.

2022

Année où seront soumises les recommandations du rapport de l’enquête publique du Bureau du coroner sur la thématique du suicide.

Source : Bureau du coroner

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