(Québec) Le gouvernement Legault se lance dans une charge à fond de train contre les syndicats de la santé, qu’il accuse de nuire à ses efforts de recrutement. Les délégués syndicaux seraient « plus préoccupés » par leurs propres intérêts que par ceux de leurs membres, a critiqué sans ménagement le ministre Christian Dubé, mardi. Une sortie qui a provoqué l’ire des organisations syndicales.

« De nous blâmer encore, c’est un peu odieux. Sa lecture […] qu’on n’assume pas notre rôle. C’est quelque chose », a lancé la présidente de la Fédération de la santé du Québec (FSQ-CSQ), Claire Montour.

« Pendant 20 mois de pandémie, il nous a annoncé ses arrêtés ministériels. Des fois, on l’apprenait à la télévision, et c’était des conditions de travail de nos membres [qu’on parlait]. Aujourd’hui, il nous reproche, à nous, de ne pas assumer et de ne pas être à la hauteur de notre mandat ? C’est le bout ! », a-t-elle argué.

Les cinq syndicats qui représentent le personnel en soins infirmiers et cardiorespiratoires admissible aux nouvelles primes de rétention et d’attraction de 15 000 $ par infirmière sont « estomaqués par le mépris » du ministre de la Santé et des Services sociaux, qui y est allé mardi d’une attaque en règle contre eux.

« Je ne pense pas que les syndicats collaborent à la hauteur du rôle qu’ils devraient avoir », a lancé M. Dubé, lors d’une conférence de presse sur la vaccination. « Je pense que nos discussions avec eux nous ont révélé dans les dernières semaines qu’ils étaient plus préoccupés par le fait que les délégués syndicaux n’ont pas accès à la prime », a-t-il ajouté, visiblement irrité par la situation.

La « vraie raison » ?

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et cinq organisations syndicales, qui font front commun sur la question, négocient pour assouplir les conditions liées à l’octroi des primes offertes aux infirmières à temps complet. Québec se dit toujours « ouvert » au fait d’offrir des aménagements.

Selon les syndicats, les modalités de l’application de l’arrêté ministériel sur le versement de ces sommes forfaitaires « sont trop restrictives ». L’arrêté est « coercitif, disqualifiant et inéquitable » et ne respecte pas la convention collective, ont-ils dénoncé à l’unisson dans une conférence de presse commune, lundi à Montréal. C’est cette sortie qui semble avoir piqué au vif le ministre de la Santé.

Selon lui, « la vraie raison » est le fait que les employés en libération syndicale n’auront pas accès à la prime allant de 12 000 $ à 18 000 $ selon la région.

On a mis des primes très attrayantes, puis ce que j’entends depuis des semaines : ‟oui, mais nous autres, les délégués syndicaux, on n’y a pas droit.”

Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

« On se dit qu’on va essayer de négocier ensemble, de discuter, puis de se parler, et quand j’entends leur point de presse de [lundi] où il n’y a aucune mention de l’aspect de la délégation syndicale, je pense qu’à un moment donné, il faut mettre les pendules à l’heure », a-t-il ajouté, demandant aux syndicats de « s’élever au-dessus de la mêlée ».

Le premier ministre, François Legault, a ensuite semblé vouloir tempérer les esprits en affirmant que son gouvernement ne « veut pas faire de chicanes ».

« Ce qu’on veut, c’est d’offrir des services à la population et on aimerait avoir la collaboration des différents représentants syndicaux », a-t-il affirmé mardi, soulignant cependant « le discours très négatif » des syndicats.

« On cherche des coupables », dit la FIQ

La présidente de la FSQ-CSQ, Claire Montour, assure qu’il est « complètement faux » d’affirmer que les interventions des syndicats n’ont porté principalement que sur la libération syndicale, comme l’évoque M. Dubé.

« On a amené [cet] enjeu dans nos pistes de solution », a précisé Mme Montour. « Il y a les libérations, les congés pour décès, les rendez-vous médicaux… On a parlé de tout ça. […] Il a réduit notre message », a-t-elle déploré. Les syndicats ont présenté une liste de 15 solutions pour rendre l’arrêté ministériel « équitable ».

La Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) estime pour sa part que le gouvernement « cherche des coupables » plutôt que « de reconnaître que son plan d’embauches n’a pas fonctionné ». La présidente par intérim, Nathalie Lévesque, déplore au passage « le discours unidirectionnel » du Ministère.

Les parties ne s’entendent pas non plus sur la reconnaissance de l’ancienneté des infirmières qui profiteraient du plan d’embauche pour revenir sur le terrain. « Expliquez-moi comment je peux regarder une infirmière qui est à la retraite ou qui est dans une agence [privée], qui a le goût de revenir travailler avec nous, puis à qui on dit : ‟on ne reconnaît pas ton ancienneté” », a illustré M. Dubé.

Mais la lecture des syndicats est bien différente.

Pour celles qui sont au combat depuis 18 mois, tout ce qui reste présentement de nos conventions collectives, c’est le respect de l’ancienneté. Pensez-vous qu’on va mettre ça en jeu ?

Nathalie Lévesque, présidente par intérim de la FIQ

Autre point en litige : la question des congés sans solde. Il est écrit dans le guide d’application de l’arrêté ministériel que « les journées sans solde font perdre l’admissibilité » à la prime.

La relation entre Québec et les syndicats de la santé bat de l’aile depuis la rentrée. La vaccination obligatoire des travailleurs de la santé a été une récente pomme de discorde entre les parties. Des organisations syndicales s’étaient alliées au Parti québécois pour demander un report de la date butoir du 15 octobre.

Ces différends peuvent paraître par ailleurs étonnants alors que Québec vient de renégocier la convention collective avec la FIQ, notamment. La FSQ-CSQ a pour sa part signé son nouveau contrat de travail la semaine dernière.

Tirs groupés de l’opposition

Le gouvernement Legault a affronté mardi un tir groupé des partis de l’opposition, qui réclament la fin de la « gouvernance par décrets » en santé. Le Parti libéral du Québec présentera ce mercredi une motion pour que l’Assemblée nationale « désavoue le renouvellement de l’état d’urgence sanitaire » et que le gouvernement dépose « d’urgence toutes les mesures transitoires nécessaires au maintien de la santé publique ».

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

« C’est un gouvernement autoritaire qui veut gérer par décrets, à sa façon, c’est un gouvernement qui ne collabore pas et qui veut imposer sa manière de faire coûte que coûte », a déploré la cheffe Dominique Anglade en entrevue, affirmant que la situation actuelle ne justifie plus l’imposition de l’état d’urgence sanitaire au Québec.

Le Parti québécois a aussi réclamé mardi que « cesse cette gouvernance-là » alors qu’elle a « pour effet d’épuiser le personnel soignant » et d’accélérer « les départs vers le privé ». Québec solidaire allait dans le même sens : « Plutôt que de leur asséner [au personnel soignant] des arrêtés […], on pourrait les écouter et les inclure dans la discussion », a fait valoir le député Vincent Marissal, qui a comparé les arrêtés ministériels à des « mesures autoritaires ».

Avec Hugo Pilon-Larose, La Presse

864

Nombre d’infirmières qui ont été engagées dans le réseau de la santé depuis le début de l’opération recrutement, le 23 septembre. Plus de 737 infirmières à temps partiel ont aussi accepté un rehaussement de poste à temps complet.

3721

Nombre de candidates potentielles en négociation avec les établissements

4300

Nombre d’infirmières à temps complet que le gouvernement Legault espère recruter

Source : ministère de la Santé et des Services sociaux

Plus de 27 millions pour les CHSLD privés

Québec accorde un financement de 27,2 millions aux CHSLD privés non conventionnés pour rehausser le salaire du personnel soignant et donc de réduire l’écart salarial entre le réseau public et le secteur privé. L’annonce du gouvernement Legault n’est pas étrangère à son objectif « d’harmoniser » les services d’hébergement et de soins de longue durée au Québec. La pandémie a d’ailleurs permis de lever le voile sur les écarts entre les CHSLD privés non conventionnés et ceux du réseau public. Le gouvernement a aussi dans sa ligne de mire le fait de ramener dans le giron du secteur public la quarantaine d’établissements privés. Un projet pilote a été lancé en septembre dans trois sites pour préparer une démarche d’harmonisation entre les CHSLD privés et publics. L’Association des établissements de longue durée privés du Québec a salué l’annonce du gouvernement, mardi.

Fanny Lévesque, La Presse