Des fermetures sont annoncées dans certains blocs opératoires du Québec en raison des départs de plus de 20 000 travailleurs de la santé, dont la moitié sont en contact avec les patients, qui ne seront pas adéquatement vaccinés d’ici deux jours. Les hôpitaux peaufinent leur plan de contingence, mais plusieurs médecins préviennent déjà que réduire les listes d’attente, gonflées à cause de la pandémie, relèvera du miracle.

« C’est une autre bombe qui nous tombe dessus. […] Je n’aimerais vraiment pas ça être malade ces jours-ci », affirme le président de l’Association québécoise de chirurgie, le DMario Viens.

Mardi, le DViens a appris que 25 % des salles d’opération des installations de l’Estrie risquaient la fermeture à partir du 15 octobre, date à laquelle le personnel de la santé doit être vacciné. À une semaine du jour J, le CIUSSS de l’Estrie estimait son manque d’infirmières et d’infirmières auxiliaires à 500, selon des chiffres obtenus par La Presse. C’était sans compter les non-vaccinés.

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Le DMario Viens, président de l’Association québécoise de chirurgie

Et l’établissement n’est pas le seul dans cette situation. La semaine dernière, l’Hôpital général juif cherchait des solutions afin d’éviter la fermeture de 3 de ses 11 salles d’opération par manque de personnel, a appris La Presse. « Il est trop tôt pour dire quel impact aura le retrait du personnel non vacciné sur nos services, incluant nos salles d’opération », affirme le porte-parole du CISSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Carl Thériault.

« En ce moment, ma priorité, […] c’est de ramener des infirmières dans le réseau de la santé », a lancé mardi le ministre de la Santé, Christian Dubé. « C’est très, très clair, c’est là-dessus qu’on travaille […] pour être capable de travailler sur nos chirurgies, sur nos différents délais qu’on a. Ça nous prend du monde », a-t-il ajouté.

Mais du côté médical, l’inquiétude est palpable. Président de l’Association des anesthésiologistes du Québec, le DBryan Houde assure qu’à sa connaissance, aucun bloc opératoire ne fermera au complet au Québec. Mais des salles sont menacées de fermeture à différents endroits. À l’hôpital Pierre-Boucher où il travaille, une neuvième salle devait ouvrir prochainement, mais ce ne sera pas possible. « On va rester à huit », dit-il, soit à 75 % de la capacité totale du bloc opératoire.

Dans ces conditions, rattraper les importantes listes d’attente en chirurgie sera impossible, note le DHoude.

On est incapables de faire du rattrapage actuellement et on sera encore moins capables après le 15 octobre.

Le DBryan Houde, président de l’Association des anesthésiologistes du Québec

Président de l’Association d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale du Québec, le DLuc Monette estime que l’impact final du décret qui entrera en vigueur vendredi est « difficile à mesurer pour l’instant ». Mais il souligne que dans certaines régions, comme en Montérégie, l’accès aux salles d’opération dans sa spécialité est « déjà difficile ».

« En Outaouais, on a repris 40 % à 50 % de nos volumes chirurgicaux. Si un ralentissement s’ajoute, il y aura un impact sur la population », dit-il. Le DMonette précise qu’avant la pandémie, 200 patients attendaient pour une opération ORL depuis plus d’un an au Québec. Ils sont maintenant 1500 sur cette liste. Et la venue du 15 octobre pourrait bien accentuer le problème, dit-il.

Dans les blocs opératoires, la majorité du personnel est vacciné. « Mais le système est tellement fragile que dès qu’on perd une personne, ça fragilise les équipes », note le DHoude. La perte de personnel aux étages des hôpitaux, et les fermetures de lits qui en découlent, se répercute aussi sur les blocs opératoires et les urgences.

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Le DGilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec

Le président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, le DGilbert Boucher, explique que très peu de personnel d’urgence est non vacciné actuellement. Mais les fermetures de lits aux étages pourraient alourdir la situation aux urgences alors que les patients devront y séjourner plus longtemps, incapables d’obtenir rapidement un lit d’hospitalisation.

Tous les spécialistes s’entendent : rendre la vaccination obligatoire pour les travailleurs de la santé est une bonne idée. « Mais on veut s’assurer qu’il y ait le moins d’impact possible sur les patients », dit le DMonette. Le DViens ajoute que plusieurs établissements, qui planchent sur leur plan de contingence, tentent de préserver les blocs opératoires.

Mais il y aura du délestage. Et un hôpital, c’est un tout.

Le DMario Viens, président de l’Association québécoise de chirurgie

Au CISSS des Laurentides, où 477 postes d’infirmière et d’infirmière auxiliaire sont actuellement à pourvoir, le départ des non-vaccinés « aura assurément un impact », dit le directeur des ressources humaines, Antoine Trahan.

L’établissement aura mercredi un portrait des contrecoups exacts. Mais déjà, certains secteurs, dont les urgences des hôpitaux de la région, souffrent du manque d’effectifs. « Ces temps-ci, ce qui m’empêche de dormir, c’est les urgences, dit M. Trahan. C’est la porte d’entrée. »

« Nécessairement, le fait qu’on n’opère pas avec 100 % de la main-d’œuvre fait qu’on ne peut pas donner 100 % des soins. »

Des milliers d’employés en moins

Québec cherche à recruter au moins 4300 infirmières à temps complet. Mardi, le ministre Dubé a indiqué qu’il manquerait vendredi au moins 8000 infirmières dans le réseau public en ajoutant celles qui n’ont reçu aucune dose de vaccin, à deux jours de l’entrée en vigueur de la vaccination obligatoire.

Selon l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), 4338 infirmières ne sont pas adéquatement vaccinées, dont 2807 n’ont reçu aucune dose.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

Je ne veux pas jouer sur les mots, mais quand il manque 8000 [infirmières] dans le réseau, on ne peut pas penser qu’on n’aura pas besoin de faire de la réorganisation de services.

Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

Le ministre était en visite en Outaouais, mardi, où la pénurie d’infirmières est particulièrement préoccupante (il en manque 440, selon des chiffres fournis par le CISSS de cette région).

Il continue de parler de réorganisation « planifiée » de services pour éviter des ruptures de « dernière minute ». Le plan de contingence demeure une « stratégie très à court terme », le temps de recruter de nouvelles infirmières par l’entremise de son nouveau plan d’embauche et de « régler les enjeux de vaccination ».

L’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec (OIIAQ), qui a annoncé mardi que le droit de pratique de ses membres non vaccinés sera suspendu le 15 octobre, a indiqué que 3103 infirmières auxiliaires ne seront pas en poste vendredi. Au chapitre des préposés aux bénéficiaires, M. Dubé a parlé de 2500 travailleurs toujours non vaccinés.

« Vous additionnez ça dans nos urgences, dans nos CHSLD, c’est un gros enjeu », a-t-il admis.

Au dernier bilan, encore 22 446 travailleurs du réseau public de la santé et des services sociaux ne sont pas adéquatement vaccinés. De ce nombre, 9804 sont en contact direct avec les patients, selon les chiffres fournis par le Ministère.

Suspension du droit de pratique pour les pharmaciens

L’Ordre des pharmaciens du Québec emboîte le pas à plusieurs ordres professionnels et suspendra le droit de pratique de ses membres qui ne seront pas adéquatement vaccinés au 15 octobre. « Tous les pharmaciens non adéquatement protégés travaillant dans les milieux visés [par le décret ministériel] verront leur droit d’exercice suspendu le 15 octobre », a tranché l’Ordre, mardi. Vendredi, on disait poursuivre la réflexion et attendre notamment des précisions du MSSS quant à la question du télétravail. Cette décision survient alors que le Collège des médecins, l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec et l’Ordre professionnel des inhalothérapeutes du Québec ont choisi de faire de même. Des choix « difficiles » salués par le ministre de la Santé, Christian Dubé.

Fanny Lévesque, La Presse