Le réseau de la santé manque désespérément d’infirmières, mais également de technologues en imagerie médicale, le personnel spécialisé chargé de manier les appareils de radiographie, de tomodensitométrie ou de résonance magnétique. Il manque au moins 500 technologues en imagerie médicale au Québec. Le résultat est bien concret : 150 000 patients sont actuellement en attente pour un examen d’imagerie médicale à l’échelle du Québec, a appris La Presse.

C’est en Outaouais que la situation est la plus grave. Pas moins de 47 000 examens d’imagerie médicale y sont en attente, indique Zied Ouechteti, directeur adjoint des services diagnostiques au CISSS de l’Outaouais (CISSSO). « C’est énorme », convient-il.

Actuellement, 38 des 115 postes de technologues en imagerie médicale au CISSSO sont vacants. « Il y a un manque criant de technologues en imagerie médicale. Nous avons eu de nombreux départs à la retraite et de nombreux départs en Ontario, où les conditions salariales sont bien meilleures », explique-t-il.

Les technologues en imagerie médicale gagnent de 10 $ à 13 $ de plus l’heure en traversant la rivière des Outaouais. Dans certains hôpitaux, comme celui de Hull, où on réalise énormément d’examens d’imagerie médicale, c’est pratiquement un poste de technologue sur deux qui est vacant.

Les cas urgents ou les patients hospitalisés sont évidemment vus en quelques jours, assure M. Ouechteti. Mais la pandémie, couplée au manque de personnel, a fait exploser les listes d’attente, et le délai maximal d’attente de 90 jours sera dépassé dans de nombreux cas.

Ça va être long avant de pouvoir passer à travers tous ces examens.

Zied Ouechteti, directeur adjoint des services diagnostiques au CISSS de l’Outaouais

Les temps d’attente pour les différents examens sont donc colossaux, selon un document transmis aux médecins de la région : l’attente de certains patients se compte aujourd’hui en années. En date du 9 septembre, un patient attendait depuis 48 mois de subir une échographie cardiaque à l’hôpital de Maniwaki. Un autre attendait depuis 38 mois pour une arthrographie à Hull. Un autre patiente depuis 23 mois pour une échographie musculosquelettique à Gatineau.

Autres régions, même problème

Et l’Outaouais est très loin d’être la seule région à connaître un tel engorgement. Le CISSS des Laurentides affiche 30 000 personnes en attente d’un test d’imagerie médicale dans les six hôpitaux de la région. Au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, on parle de près de 10 000 cas en attente. Près d’un patient sur six attend depuis plus de 90 jours, donc est actuellement hors délai.

Au CISSS de Laval, 10 000 autres patients attendent. À Laval, on ne donne pratiquement plus de rendez-vous pour des gastroscopies ou des coloscopies. Plus de 400 examens de type « scopies » sont d’ailleurs hors délai.

Au CIUSSS du Saguenay–Lac-Saint-Jean, on parle de près de 7000 examens en attente. En Estrie, près de 5000 patients attendent pour un examen de résonance magnétique ou de tomodensitométrie.

Les hôpitaux universitaires affichent eux aussi de très longues listes d’attente pour ces examens d’imagerie. Plus de 21 000 patients attendent au CHU de Québec – Université Laval pour un examen d’imagerie médicale. Selon les examens, une forte proportion de ces patients étaient parfois hors délai, selon des données de l’établissement qui datent de la fin de juin. Le deux tiers des enfants qui attendaient pour une radiographie ou une scopie au CHUL patientaient depuis plus de 90 jours. Même scénario pour 57 % des patients en attente d’un examen par résonance magnétique à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus.

Au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), 16 000 personnes seraient sur la liste d’attente, selon des données colligées par l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), qui représente les technologues du réseau public. Le CHUM n’a pas été en mesure de les confirmer. Au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), on confirme que 10 000 patients sont en attente pour des examens d’imagerie médicale.

Grand total : plus 150 000 patients seraient donc en attente dans les hôpitaux du Québec, selon une compilation réalisée par La Presse avec les chiffres fournis par l’APTS et différents établissements. Cette compilation est non exhaustive, puisque certains établissements ne nous ont pas répondu.

500 technologues manquent à l’appel

Partout, on manque de technologues. De 500 à 600 postes au moins sont vacants à l’échelle du Québec, selon l’APTS. Il y a 5500 technologues à l’œuvre au Québec, dont 3500 travaillent dans le réseau public, indique le président de l’APTS, Robert Comeau, lui-même technologue de formation.

On s’est payé des appareils de diagnostic avec nos taxes et impôts, et maintenant, on manque de gens pour les faire fonctionner. Les gens qui attendent un examen ont un réel problème parce qu’en l’absence d’imagerie, la chaîne de soins est arrêtée.

Robert Comeau, président de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux

Au CISSS de Laval, 29 des 95 postes sont vacants, indique l’établissement. Au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, 1 poste sur 10 (11 sur 109) est à pourvoir. Au CHUM, 24 postes de technologues, sur les 184 que compte l’équipe, sont inoccupés. Au CIUSSS de l’Estrie, on cherche à embaucher une vingtaine de technologues.

« C’est un problème qui s’aggrave d’année en année. On ne vivait pas ce genre de situation il y a cinq ans », dit Robert Comeau. Tout comme pour les infirmières, le privé exerce un attrait souvent irrésistible pour les technologues, parce qu’on y offre de meilleures conditions de travail.

M. Comeau déplore que le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) n’ait que peu d’écoute pour les problèmes des technologues, qui nuisent grandement au réseau de la santé. « Du côté du MSSS, on n’a pas de son, pas d’image », dit-il. Pourtant les technologues sont un maillon crucial de la chaîne du diagnostic. « Les technologues, ils sont essentiels pour une urgence, un bloc opératoire », confirme Gilda Salomone, porte-parole du CUSM.

Et la situation n’est pas en voie de se résorber, puisque le nombre d’étudiants est à la baisse dans les programmes d’imagerie médicale. En médecine nucléaire, par exemple, un seul finissant a obtenu son diplôme l’an dernier au Collège Ahuntsic, seul établissement à offrir cette formation, souligne Robert Comeau. « Il s’agit d’une formation spécialisée, et la relève dans les différents secteurs de l’imagerie se fait rare partout au Québec », renchérit Geneviève Lemay, porte-parole du CIUSSS de l’Estrie.

Dans un article publié dans notre édition de vendredi sur les technologues en imagerie médicale, nous les avons erronément désigné dans l'article comme des technologues médicaux. Or, ce sont deux corps d'emploi bien distincts. De plus, le président de l'Alliance du personnel professionnel et technique (APTS), Robert Comeau, nous a induit en erreur sur deux points de l'article. Primo, l'APTS représente les 5300 technologues en imagerie médicale qui travaillent dans le réseau public, plutôt que 3500. Quelque 3000 autres technologues oeuvrent dans le privé. Secundo, ce sont 16 finissants qui ont gradué du programme de formation en médecine nucléaire du cégep Ahuntsic en 2020, et non un seul. Nos excuses.