À Ville-Marie, au Témiscamingue, les femmes ne peuvent pas accoucher dans leur ville depuis le 29 avril et la fermeture de l’obstétrique est prévue jusqu’au 1er août. À Sept-Îles, ces derniers jours, les femmes ayant une grossesse à risque sont transférées ailleurs, les enfants nécessitant une hospitalisation étant dirigés à Baie-Comeau ou à Québec. En région, un peu partout, ça grogne. Doit-on établir une nouvelle liste de priorités en santé ?

L’article de La Presse de mardi sur les femmes de Chibougamau et les femmes cries qui sont dirigées respectivement vers Dolbeau et Val-d’Or quelques semaines avant leur accouchement, en raison de pénuries d’infirmières, a suscité beaucoup de réactions.

Des lecteurs ont dénoncé le cas de l’hôpital de Shawville, dans le Pontiac, qui n’a pas de services d’obstétrique depuis plus d’un an. C’est dire combien la fermeture de la frontière avec l’Ontario, où elles sont normalement transférées, a causé bien des inquiétudes. Les urgences de Gatineau ont été fermées plusieurs jours à la fin de juin, a-t-on aussi souligné.

À Chandler, « il y a des déclenchements d’accouchement qui sont prévus lorsque l’horaire de l’équipe est incomplet. Rendu là, c’est de l’insouciance », a dénoncé dans un communiqué le 23 juin le Syndicat des infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes de l’Est du Québec (SIIIEQ-CSQ).

Piqué au vif, le Centre intégré de santé et de services sociaux de la Gaspésie a répliqué mardi, lui aussi dans un communiqué.

« En plus de miner, de façon complètement injustifiée, la confiance de la population envers l’expertise médicale du département d’obstétrique de l’hôpital de Chandler, ces sorties ne viennent en rien aider au recrutement et à la rétention de personnel infirmier et des médecins […]. »

Les risques des accouchements surprises

Émilise Lessard-Therrien, députée de Québec solidaire, raconte que son accouchement a duré tout juste 1 h 32 min Si elle avait accouché prématurément en pleine fermeture de l’obstétrique à Ville-Marie, elle aurait elle-même risqué de se taper 1 h 30 min en voiture jusqu’à Rouyn-Noranda, alors qu’il n’y a ni maison ni couverture cellulaire à maints endroits en chemin. « J’aurais accouché sur la route, alors que Flora a eu besoin d’oxygène à la naissance. »

PHOTO FOURNIE PAR ÉMILIE LESSARD-THERRIEN

Émilise Lessard-Therrien, députée de Québec solidaire, et la petite Flora

Jacques Demers, président de la Fédération québécoise des municipalités, croit que dès lors que le gouvernement « veut favoriser le développement du territoire, aller chercher du minerai ou promouvoir la production agricole pour nourrir les Québec, il a la responsabilité d’assurer des services essentiels ».

« On comprend qu’on ne peut pas avoir partout un hôpital [tous les] 10 kilomètres, mais il faut que les gens aient un accès rapide aux services », insiste M. Demers.

Il se dit cependant conscient que la COVID-19 fait partie de l’équation cette année, les infirmières méritant plus que jamais d’avoir leurs vacances.

Mais les fermetures de service d’obstétrique étaient déjà très fréquentes avant la COVID-19. À Chibougamau comme à tant d’autres endroits, on est tellement à la limite, a-t-on indiqué à La Presse cette semaine, qu’il est même étonnant que des services de soins ne ferment pas encore plus fréquemment.

Devrait-on établir une liste des services à ne jamais fermer ? L’obstétrique, qui voit à la santé de deux patients à la fois, dont les bébés en tout début de vie, doit-elle avoir la priorité ? Régis Blais, vice-doyen à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et spécialisé dans les politiques de santé, note que ce sont là des questions difficiles, tant de gens étant vulnérables.

« Libérez le trésor ! »

M. Blais plaide plutôt pour une meilleure répartition des ressources limitées. Les femmes des grands centres se trouvant toujours à moins de 30 minutes d’un hôpital, il estime que l’expertise des sages-femmes pourrait être beaucoup plus utilisée en ville, pour mieux pouvoir envoyer des médecins et des infirmières en région.

« Je dis souvent : "Libérez le trésor !" Utilisons tout le potentiel des sages-femmes et des infirmières. Encore aujourd’hui, elles sont trop souvent des exécutantes des médecins alors que lors d’accouchements sans complications, leurs résultats deviennent aussi bons que ceux de médecins, comme on le voit au Nunavik. »

Nancy Bédard, présidente de la FIQ, assure avoir obtenu « des leviers majeurs » dans la convention collective sur laquelle les infirmières voteront en août.

« Notre approche est de travailler sur tous les fronts, notamment sur les conditions d’exercice et sur les conditions de travail, par l’implantation des ratios et l’ajout de primes pour rendre encore plus attractifs certains postes, note Mme Bédard. Les impacts des [ruptures] de services en obstétrique pour les régions éloignées sont disproportionnés par rapport à ce qui est observé en milieu urbain. »