Kassandra Dussault, qui est nouvelle à Chibougamau et qui entame ces jours-ci sa 35e semaine de grossesse, devra se résoudre à partir accoucher en Montérégie, où se trouve sa parenté. La raison ? Le service d’obstétrique du Centre de santé de Chibougamau fermera pendant deux semaines en juillet, faute de personnel. Elle devra prendre la route avec ses deux enfants, ses deux chiens, son chat et « probablement le canard ! ».

À partir de leur 36e semaine de gestation, les femmes de Chibougamau sont pressées de se diriger vers Dolbeau-Mistassini — à trois heures de route de chez elles — pour accoucher. Les femmes cries, elles, seront dirigées vers Val-d’Or. Mais pour Mme Dussault comme pour d’autres familles, le séjour à l’hôtel pendant quelques semaines avant l’accouchement est impensable avec des enfants.

« Qu’ils ferment l’obstétrique à Chibougamau, c’est inconcevable », estime Mme Dussault, disant que l’éloignement de cette ville commanderait que le service soit priorisé.

« Ce n’est pas comme si j’habitais à Saint-Jean-sur-Richelieu et que je pouvais aller à d’autres hôpitaux assez près. »

La situation est d’autant plus stressante, précise-t-elle, qu’elle risque d’accoucher prématurément.

Cette fois, ce sont 18 femmes qui sont touchées par la rupture de services à Chibougamau — trois femmes cries et 15 femmes jamésiennes. Mais depuis quelques années, des milliers de femmes sont touchées.

Selon des données émanant du bureau du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, entre le 1er avril 2020 et le 31 mars 2021, il y a eu au Québec 793 jours d’interruption de services en obstétrique, répartis dans 13 établissements. L’Abitibi et Matane ont été particulièrement touchées.

« S’il y a une unité pour laquelle nous pouvons planifier les soins et le personnel, c’est bien en obstétrique, parce que les naissances sont connues neuf mois à l’avance », dénonce Nancy Bédard, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (qui représente les infirmières). « Dans ce contexte, ce n’est pas normal qu’on tolère encore que des femmes se rendent dans d’autres régions, à des kilomètres de distance de leur domicile, pour accoucher. La situation à laquelle nous sommes confrontés, c’est le résultat d’une absence complète de planification de la main-d’œuvre et d’années de mauvaise gestion. »

En conférence de presse sur un autre sujet, lundi, Christian Dubé, ministre de la Santé, a reconnu que le cas de Chibougamau était un bel exemple des regrettables ruptures de services observées à maints endroits. Sur le cas précis de Chibougamau, il a dit qu’« on est en juillet » et qu’il espère que l’entente à venir avec les infirmières du Québec, appelées à se prononcer sur leur nouvelle convention collective en août (et qui inclut des primes pour les infirmières en obstétrique), minimisera les pénuries actuelles.

Pénurie d’infirmières spécialisées

À Chibougamau comme partout où il y a fermeture de services d’obstétrique depuis 18 mois, le problème est causé par une pénurie non de médecins, mais d’infirmières spécialisées en obstétrique, souligne le DDario Garcia, président de l’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec.

À la fin de juin, le gouvernement consentait 4,2 millions pour la main-d’œuvre infirmière en obstétrique ; 1 million ira à des infirmières dites « de dépannage » de cette spécialité.

Pour le DGarcia, ces 4,2 millions sont appréciés, mais ça demeure « un petit bout de solution à court terme ».

La pénurie d’infirmières est tellement criante qu’à son avis, le gouvernement devrait se résigner à compter ses troupes et à se concentrer sur les besoins les plus urgents, en « accordant la priorité aux endroits les plus vulnérables, notamment les centres les plus isolés ».

Un stress ajouté

S’il souligne que les femmes de Lebel-sur-Quévillon, Matagami et Radisson doivent depuis longtemps accoucher hors de leur région, le DSerge Bergeron, directeur des services professionnels responsable du Centre de santé de Chibougamau, se dit sensible au stress que cela occasionne pour toutes celles qui devaient accoucher dans leur région et qui ont eu une bien mauvaise surprise.

Lui-même originaire de Chibougamau, il raconte que sa mère avait dû accoucher à Roberval, les accouchements ne se faisant pas dans sa ville natale. Mais là encore, précise-t-il, c’était prévu, les femmes n’étaient pas prises de court.

Le DBergeron assure que les frais de transport et d’hébergement et les repas de ces femmes et de leur conjoint seront remboursés (mais pas les semaines de travail perdues pour celles qui entendaient rester au boulot presque jusqu’à la fin).

En 2018, lors d’une précédente rupture de services en obstétrique, les dédommagements avaient été minimaux, mais le Centre de santé de Chibougamau a dit que cela ne se répétera pas.

Audrey* compatit sincèrement avec les femmes confrontées à la rupture de services, elle qui avait subi celle de 2018. « À 39 semaines, au moment où tu as les émotions dans le tapis, j’avais reçu un appel, me disant que je devais partir tout de suite de la région parce que ma survie et celle de mon enfant ne pouvaient être assurées. À 39 semaines, traverser le parc [les deux heures de route entre Chibougamau et Roberval], ça pose le risque que le conjoint se ramasse sur la route à jouer les obstétriciens lui-même. »

Elle se dit consciente que d’habiter en région éloignée suppose qu’on n’a pas tout ce qu’on a dans une grosse ville. « Mais l’obstétrique, ça reste un service de base. »

* Ce nom est fictif, cette femme ne voulant pas donner l’impression de blâmer les autorités de santé de sa région.