Des patients qui doivent se faire arracher une dent faute de pouvoir être vus à temps à Chisasibi, d’autres forcés de parcourir les 369 km qui séparent Waskaganish de Val-d’Or pour un traitement d’urgence : les dentistes se font de plus en plus rares en régions éloignées. Une situation liée au non-renouvellement de l’entente sur le régime public de soins dentaires qui traîne depuis six ans, déplore l’Association des chirurgiens-dentistes du Québec (ACDQ).

Les problèmes d’accès à un dentiste dans le nord du Québec ont des répercussions considérables chez les personnes qui y vivent, selon la cheffe du département dentaire au Conseil cri de la Santé et des Services sociaux de la Baie-James (CCSSBJ), Lucie Papineau.

« C’est très critique. On va avoir des [ruptures] de services dans de grandes communautés sur le territoire cet été », affirme la Dre Papineau. « C’est la première fois que je constate un désenchantement pour la pratique dans le nord du Québec », ajoute-t-elle.

À Chisasibi, aucun service dentaire ne sera offert pendant six semaines, et au mois d’août, un seul dentiste assurera les soins pour toute la communauté, précise la Dre Papineau. Wemindji aura également une période de six semaines sans services dentaires, et la communauté de Mistissini connaîtra le même sort de quatre à six semaines.

« Et ça, c’est juste pour le territoire cri. L’entente concerne aussi les territoires inuits, la Côte-Nord et Fermont », ajoute le président de l’ACDQ, le DCarl Tremblay.

L’entente sur le régime public de soins dentaires définit le salaire des dentistes en région éloignée. Cette rémunération peu avantageuse, selon beaucoup, diminue l’attractivité du nord pour les jeunes dentistes, ce qui contribue à la pénurie de personnel.

Ce régime fixe aussi la somme remboursée aux dentistes en pratique privée. Au Québec, le prix d’une extraction dentaire simple est habituellement d’environ 125 $. Or, la Régie ne rembourse que 84 $ pour cette intervention quand elle couverte.

La somme remboursée aux dentistes par le gouvernement n’est pas suffisante, dénonce le DTremblay.

Peu d’engouement pour les régions éloignées

Bernard Jolicoeur, 65 ans, est dentiste depuis 1985. Avide d’aventures, il a notamment travaillé à Kuujjuaq et ailleurs au Nunavik. Il pensait bien avoir pris sa retraite en 2013, mais dans un contexte de manque de personnel, il a accepté de remplacer ses collègues à Fermont et en Basse-Côte-Nord pendant leurs vacances.

PHOTO FOURNIE PAR BERNARD JOLICOEUR

Bernard Jolicoeur est dentiste depuis 1985 et travaille dans les régions éloignées du Québec.

Le Dr Jolicoeur, qui travaille de 12 à 15 semaines par année, ne comprend pas pourquoi l’entente avec Québec sur le salaire des dentistes en région éloignée est échue depuis si longtemps.

« La jeune génération de dentistes a tendance à être plus urbaine, dit-il. Actuellement, les conditions de travail font qu’on a de la difficulté à les attirer en région éloignée, car ils peuvent tirer leur épingle du jeu aussi bien, sinon mieux, en milieu périurbain », estime-t-il.

Un enjeu de sécurisation culturelle

Le manque de personnel peut aussi engendrer un sentiment d’insécurité envers les professionnels de la santé en milieu autochtone, ajoute l’ACDQ.

Si on a toujours affaire à un remplaçant, et que deux semaines dans le mois, il n’y a personne pour nous soigner, c’est dur de développer un sentiment de confiance envers un professionnel.

Le DCarl Tremblay, président de l’Association des chirurgiens-dentistes du Québec

De nombreuses mesures devraient donc être instaurées afin d’encourager les jeunes dentistes à travailler dans le Nord, selon la Dre Papineau.

Une compensation financière devrait être mise en place pour pallier les défis entraînés par le fait de quitter sa région, évoque-t-elle. « S’ils sont capables d’obtenir un meilleur salaire dans le Sud, en gardant leur famille, leurs amis et leur conjoint auprès d’eux, les dentistes ne viendront pas dans le Nord-du-Québec », fait remarquer Lucie Papineau.

Échec des négociations

Pour l’instant, les négociations piétinent entre le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et l’ACDQ. Une rencontre en mars dernier s’est soldée par un échec.

L’écart entre les demandes monétaires des chirurgiens-dentistes et les propositions gouvernementales demeure trop important.

Noémie Vanheuverzwijn, porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux

« À titre d’exemple, la demande de l’ACDQ sur les tarifs des actes assurés représenterait une augmentation à la hauteur de 27 % sur la durée de l’entente 2015-2020 », explique Noémie Vanheuverzwijn, porte-parole du MSSS.

En ce qui concerne la situation des dentistes en région éloignée, le MSSS estime que l’entente en vigueur convient. Elle « comprend des mesures incitatives pour favoriser la répartition du dentiste qui travaille en région nordique, dont des primes d’éloignement et d’isolement », dit Mme Vanheuverzwijn.

« Le gouvernement fait appel à la collaboration, au professionnalisme et à l’ouverture des membres de l’ACDQ dans la recherche d’une solution satisfaisante pour les parties », a conclu la porte-parole, en rappelant que « l’ACDQ est le seul groupe qui n’a pu s’entendre avec le MSSS pour la période 2015-2020 ».