Un projet en cours d’implantation qui a pour but de retirer des espaces de travail permanents en favorisant la mobilité des employés suscite son lot d’inquiétudes chez des techniciens et des professionnels du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. Pendant que le syndicat craint des départs massifs, la direction rétorque que la pandémie a plutôt « accentué la pertinence » de l’initiative.

C’est en 2018 que le « Projet mobilité » a d’abord fait surface à l’interne. Son but premier est notamment de « faire plus avec moins », soit en retirant des espaces de bureau personnel pour transformer les aires de travail en grandes salles communes et réduire ainsi l’espace occupé.

L’administration veut aussi favoriser la mobilité des employés à proprement parler, soit leur permettre de travailler d’un CLSC à l’autre en fonction de leur horaire et des besoins de leur clientèle. Avec la pandémie, le télétravail est aussi devenu une composante majeure du projet.

« Ce n’est vraiment pas une situation gagnante pour qui que ce soit, décrit le président du Syndicat des professionnels et techniciens du CIUSSS de l’Est (SCFP 5425), Maxime Ste-Marie. On transforme nos bureaux en grands centres d’appel. On a des travailleurs sociaux en déficience intellectuelle qui nous disent qu’ils ne peuvent plus faire leur travail tellement le bruit est infernal. Le service est très touché, d’autant que l’argent va surtout à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont en ce moment. Les CLSC ont des miettes. »

La situation causerait beaucoup de tensions. Récemment, un sondage interne commandé par le syndicat et auquel près d’un millier d’employés ont répondu a révélé que 61 % des techniciens et des professionnels songeaient à quitter le CIUSSS si le projet va de l’avant. Une majorité (89 %) estime que le partage des aires de travail « favorise peu ou pas du tout » la rétention du personnel, et la quasi-totalité estiment que les réaménagements auront un effet négatif sur la confidentialité des dossiers ou le bruit ambiant.

Le CIUSSS plaide la flexibilité

Jusqu’ici, le CLSC de l’Est-de-Montréal et le CLSC Olivier-Guimond ont fait l’objet de réaménagements. Un premier projet pilote avait eu lieu en 2019 dans le premier des deux établissements, et selon le CIUSSS, « des conditions gagnantes et des éléments à améliorer ont alors été soulevés ».

« C’est à la suite de cette analyse que nous avons [amorcé] la réflexion de la deuxième version du projet. Un comité directeur est actuellement en place pour analyser la situation et prévoir la suite. Des représentants de toutes les directions y sont impliqués, tout comme des représentants des exécutifs syndicaux concernés », a d’ailleurs assuré un porte-parole de l’organisation, Christian Merciari, par courriel.

M. Merciari affirme que le Projet Mobilité « s’inscrit dans la politique sur le télétravail » du CIUSSS, qui a beaucoup évolué dans les derniers mois.

On vise la réorganisation du travail clinico-administratif des intervenants qui offrent des services à domicile ou dans la communauté : appels, rédaction, préparation clinique, etc.

Christian Merciari, porte-parole du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal

Le porte-parole ajoute que « le contexte pandémique a influencé notre réflexion et a accentué la pertinence de fournir des solutions permettant une plus grande flexibilité d’intervention et d’aménagement du temps de travail à nos employés ». « Nous avons également la préoccupation d’assurer la sécurité de notre personnel, de fournir des conditions de travail adéquates et de préserver le maintien de la qualité des services à la clientèle, qu’il s’agisse de services offerts à domicile, dans la communauté ou à l’un des points de service. »

« On perd une expertise »

Mais de nombreux salariés ne sont pas de cet avis et craignent plutôt que le Projet Mobilité fragilise l’expertise des techniciens et des professionnels.

La possibilité qu’on a de se développer cliniquement entre intervenants, elle ne sera plus là, si on doit constamment changer d’aire de travail, de milieu. Les gens doivent pratiquement traîner leur bureau dans leur sac à dos.

Maxime Ste-Marie, président du SCFP 5425

« Ça crée beaucoup de grogne, surtout quand on sait que les listes d’attente en santé mentale sont déjà saturées dans notre CIUSSS. Comment on va faire pour servir les populations plus vulnérables si on n’est pas capables de retenir notre personnel ? Et pendant ce temps, les CLSC où le projet [a été mis en place] n’ont jamais vu autant d’appels à des agences de placement », insiste le leader syndical.

Dans un dossier d’abord publié en novembre dernier, La Presse révélait que tout près de 2000 personnes étaient à ce moment sur cette liste d’attente au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, soit l’un des pires palmarès dans l’île. « Des espaces locatifs, il y en a dans l’Est à bon prix, ce qui était moins le cas quand le projet a été développé initialement en 2018. Des solutions, il y en a », dit-il par ailleurs.