(Montréal) Pour Jean-Pierre Daubois, sa mère a été « condamnée à mort » par les responsables du CHSLD lavallois Sainte-Dorothée, d’après son témoignage jeudi dans le cadre de l’enquête publique de la coroner sur les morts de personnes âgées ou vulnérables en milieux d’hébergement durant la première vague de COVID-19.

Anna José Maquet a commencé à avoir des symptômes de COVID-19 le 3 avril 2020 en matinée. Le soir, elle était morte.

Son fils, venu la voir une dernière fois avant sa mort, l’a trouvée « complètement “ knocked out ” par la morphine » et ayant de grandes difficultés à respirer. Elle avait « des tubes dans le nez », reliés à un respirateur « qui avait l’air de dater des années 50 ».

Les respirateurs plus performants étaient amassés dans les hôpitaux selon les directives de la Santé publique, et les médecins refusaient de se présenter à Sainte-Dorothée durant l’éclosion. Selon plusieurs employés ayant témoigné cette semaine, les diagnostics se faisaient par appel téléphonique et les instructions se limitaient souvent à alléger les souffrances du patient en lui administrant un mélange de médicaments.

« On lui a donné de la morphine et deux autres produits et on l’a laissée comme ça », s’est indigné M. Daubois. Selon lui, aucune tentative n’a été faite pour sauver sa mère : « J’ai demandé qu’on fasse de quoi, on ne faisait rien ».

Des employés qui étaient responsables de Mme Maquet le jour de sa mort n’ont pas indiqué dans leur témoignage jeudi avoir appliqué d’autres mesures pour la sauver.

Ne pas ressusciter

« Ma mère a toujours demandé à être réanimée », s’est souvenu M. Daubois, « elle avait peur de mourir ».

En mars, juste avant l’éclosion à Sainte-Dorothée, un responsable a contacté la famille de Mme Maquet pour lui « expliquer que transporter des patients de cet âge-là à l’hôpital » pourrait être une mauvaise idée, puisqu’il « pourrait y avoir beaucoup de cas à l’hôpital ». Inquiet pour sa mère, M. Daubois avait accepté de la garder au CHSLD en cas de problème de santé, sans connaître la portée de sa décision.

« Si on m’avait dit la deuxième partie de la phrase, que si ma mère avait besoin d’un appareil de respiration, il n’y en aurait pas, je n’aurais pas accepté », a-t-il confié. « Mais cette partie-là, on ne nous l’a jamais dite. »

La discussion a d’après lui duré un total de dix minutes. En rétrospective, « les décisions qui ont été prises d’appeler les familles et de changer les niveaux de soins […] pour moi, ce n’est rien d’autre que des condamnations à mort », a-t-il conclu.

Mais même les familles qui avaient insisté pour envoyer leurs proches à l’hôpital ont dû faire face à de nombreux obstacles. Une infirmière de Sainte-Dorothée, dont l’identité est protégée par une ordonnance de non-publication, a raconté jeudi s’être battue pour transférer un patient en détresse respiratoire, selon les souhaits de la famille. « Ça a pris 18 heures » et des appels avec « trois médecins différents » pour enfin y arriver, s’est-elle souvenue. Mercredi, une autre infirmière avait raconté qu’une famille avait fini par appeler le 911 pour forcer la main du CHSLD.

Selon M. Daubois, d’autres informations lui ont aussi été dissimulées. « La veille du décès, j’ai reçu un appel d’un travailleur social », s’est-il remémoré. Celui-ci lui aurait affirmé qu’il n’y avait pas de cas de COVID-19 sur l’étage de sa mère et que tous les employés étaient présents.

Le directeur général du CISSS de Laval, Christian Gagné, avait pourtant indiqué plus tôt cette semaine que « 67 % » du personnel de Sainte-Dorothée avaient été absents en avril 2020.

Employés infectés sur le plancher

Cela fait maintenant quatre témoins qui ont rapporté que certains de leurs collègues avaient été forcés de rester au travail même s’ils présentaient des symptômes de COVID-19.

La chef de service en microbiologie du CISSS de Laval, la Dre Maude St-Jean, venue visiter Sainte-Dorothée vers la fin de mars 2020, a raconté avoir été alarmée par le récit d’un préposé aux bénéficiaires qui lui a dit « ne rien sentir depuis deux jours », en plus d’avoir des symptômes grippaux. Sa chef d’unité lui avait interdit de se faire tester, comme il « n’avait pas voyagé » récemment.

Deux infirmières auxiliaires ont reçu des réponses semblables, selon plusieurs témoins, même si elles disaient avoir « mal à la tête », faire « un peu de température » ou être « épuisées ».

Selon la Dre St-Jean, si on considère que la COVID-19 a « une longue période d’incubation » qui dure « entre trois à quatorze jours », la contamination à l’intérieur de Sainte-Dorothée « s’est toute passée dans la semaine du 9 mars », soit plusieurs jours avant la déclaration de l’urgence sanitaire par le gouvernement du Québec, le 13 mars. À cette époque, la contamination communautaire n’était pas encore envisagée.

Le contexte de l’enquête

L’enquête de la coroner se penche sur les morts de personnes âgées ou vulnérables survenus dans des milieux d’hébergement au cours de la pandémie de COVID-19, qui comptent pour la moitié des victimes de la première vague. Son objectif n’est pas de désigner un coupable, mais bien de formuler des recommandations pour éviter de futures tragédies.

Six CHSLD et une résidence pour personnes âgées ont été désignés comme échantillon. Une mort est examinée pour chaque établissement.

Les audiences de cette semaine portent sur la mort de Mme Anna José Maquet, le 3 avril 2020 au CHSLD Sainte-Dorothée, à Laval. Ensuite, un volet national sera aussi examiné.

Cet article a été produit avec l’aide financière des Bourses Facebook et La Presse Canadienne pour les nouvelles.