Les opérations reportées en raison de la pandémie ont des effets dévastateurs sur les patients, révèle un sondage du Comité des usagers de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont

Des malades qui n’arrivent plus à marcher ou à conduire. D’autres qui peinent à prendre soin d’eux-mêmes ou de leur famille ou qui font une croix sur leurs loisirs. Les reports d’opérations entraînés par la pandémie ont déjà des conséquences désastreuses sur la vie de nombreux patients, selon un sondage mené par le Comité des usagers de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, que La Presse a obtenu.

« Ça va être coûteux », prévenait il y a quelques mois l’urgentologue Abdo Shabah, de l’Association médicale canadienne, au sujet du report de dizaines de milliers d’opérations au Québec. Ce prix, les malades ont commencé à le payer. C’est du moins ce que laisse entrevoir une enquête menée auprès de 500 patients de Maisonneuve-Rosemont en attente d’être opérés depuis plus d’un an.

Le but de l’exercice : savoir comment ils vont.

Résultat : les listes d’attente qui s’allongent ont déjà des conséquences concrètes sur leur santé, leur qualité de vie et leur moral. Au point que la direction de ce qui est l’un des plus gros hôpitaux du Québec tente de contenir l’hémorragie avant que ces malades n’engorgent davantage le réseau parce que leur état se serait dégradé.

Il y a une souffrance physique et morale de plus en plus grande. Ce sont ces gens-là que l’hôpital doit prioriser, sinon, finalement, ils vont se retrouver aux urgences, qui sont déjà bondées.

Rick Smith, président du Comité des usagers de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont

Les constats sont les suivants :

  • 42 % des malades sondés indiquent que leur état de santé s’est grandement détérioré. « Ça veut dire qu’ils se sentent moins bien aujourd’hui que le jour où ils ont été mis sur la liste d’attente », résume Rick Smith, président du Comité des usagers.
  • 37 % observent une grande détérioration de leur qualité de vie. À ce sujet, les malades évoquent des effets physiques comme de la difficulté à marcher ou à conduire, à pratiquer des loisirs, à prendre soin d’eux-mêmes ou de leurs proches, et une incapacité à travailler.
  • Moins de 25 % des usagers interrogés connaissent l’échelle de priorité de leur opération. Bref, « ils ne savent pas où ils sont sur la liste d’attente », déplore Rick Smith. « Des gens nous ont dit qu’ils étaient contents qu’on les ait sondés parce que ça leur avait confirmé qu’ils étaient bien sur la liste », ironise l’homme.

Le manque de communication a d’ailleurs été dénoncé par de nombreux malades. « Ne pas être capable de joindre les services. Ne pas savoir où appeler. Tomber sur des boîtes vocales », énumère Mélissa Bellemare, coordonnatrice du comité.

« Les gens ont besoin d’information pour maintenir leurs conditions de vie pendant qu’ils sont en attente. Ils n’ont pas le sentiment d’être pris en charge. Quand ils ne sont pas informés, ils sont inquiets. Ils ne savent pas quoi faire. »

Une souffrance qui dure

Il y avait, avant la pandémie, 75 patients en attente d’une opération depuis plus d’un an à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Le 10 mai dernier, ils étaient 1433. C’est sans compter les quelque 8000 qui attendent depuis 11 mois et moins.

« Malheureusement, ceux qui ont écopé, ce sont beaucoup des cas d’orthopédie et de plastie. Des cas de type fonctionnel, des patients qui ont une certaine boiterie, qui sont en attente d’un remplacement articulaire et ont de la souffrance associée », énumère la Dre Martine Leblanc, directrice des services professionnels au CIUSSS de l’Est-de-l’île-de-Montréal. Elle ajoute, chiffres à l’appui, que les interventions oncologiques ont pu continuer au rythme prépandémique.

Les résultats du sondage l’ont inquiétée.

Quelqu’un qui attend plus longtemps, qui souffre plus longtemps, qui se déconditionne plus longtemps, quand il arrive, il est en moins bonne forme. On peut présumer que son postopératoire ou son besoin de réadaptation va être plus important.

La Dre Martine Leblanc, directrice des services professionnels au CIUSSS de l’Est-de-l’île-de-Montréal

Selon la médecin, il faudra des mois, voire plus d’une année avant de ramener la liste des gens en attente depuis plus de 12 mois à ce qu’elle était avant la COVID-19.

Entre-temps, le CIUSSS a adopté une série de mesures pour améliorer le sort des patients. Envoi de lettres automatisées, numéro de téléphone unique, conception de nouveaux outils d’information en temps réel, meilleur suivi de l’état de santé et précision des délais d’attente sont au menu. On prévoit aussi élargir les plages horaires, continuer d’utiliser les salles d’opération de cliniques privées et diriger des patients vers d’autres établissements. Lorsque la main-d’œuvre le permet…

La pénurie de personnel est un problème pour tout le réseau de la santé, et le nombre de patients en attente n’a jamais été aussi élevé. « L’enjeu de la main-d’œuvre est majeur, et ça nous limite un peu », admet la Dre Leblanc. À Maisonneuve-Rosemont, le bloc opératoire ne fonctionne qu’à 70 %.

Dans ce contexte, le simple fait de joindre ceux qui sont sur les listes devient un défi. « Vous comprenez qu’à ce volume de patients, ça fait beaucoup de gens à joindre, et on n’a pas nécessairement de ressources administratives pour faire tout ça. »