Le souhait d’Yves Monette a été exaucé. Il a appris qu’il était admissible à l’aide médicale à mourir depuis des modifications à la loi canadienne.

Yves Monette, qui voulait entamer une grève de la faim pour faire pression sur Ottawa pour avoir droit à l’aide médicale à mourir, a vu sa demande acceptée

Souffrant d’un trouble neurocognitif, Yves Monette avait décidé au début du mois d’avril de faire une grève de la faim pour protester contre la décision du gouvernement Trudeau de refuser l’aide à mourir anticipée aux personnes dans sa situation. Il a depuis appris qu’il est finalement admissible à l’aide médicale à mourir.

Le 11 avril dernier, La Presse a publié un article à propos de cet homme de 62 ans qui s’apprêtait à faire une grève de la faim parce qu’il croyait qu’il n’était pas admissible à l’aide à mourir. Alors que son « cerveau se détruit », il expliquait vouloir mourir au plus vite.

Après avoir lu l’article, le DLaurent Boisvert a joint Yves Monette, car il avait l’impression qu’il était admissible à l’aide médicale à mourir. Notamment parce que depuis le 17 mars dernier, la loi canadienne sur l’aide médicale à mourir a été modifiée et qu’elle permet maintenant à bien plus de personnes d’y avoir recours.

« Le titre de l’article mentionnait que M. Monette voulait l’aide à mourir anticipée, a expliqué le DBoisvert en entrevue. Mais en lisant l’article, M. Monette disait clairement qu’il voulait mourir tout de suite. Je me suis dit que quelque chose ne marchait pas. »

Oui, c’est vrai qu’on ne peut pas faire de demande pour l’aide à mourir anticipée. Mais ce gars-là, il ne veut pas faire une demande anticipée, il veut avoir l’aide médicale à mourir.

Le Dr Laurent Boisvert

Après avoir rencontré à quelques reprises le DBoisvert, ainsi qu’un autre médecin, le Montréalais, atteint d’une démence fronto-temporale progressive, a eu la confirmation la semaine dernière qu’il pourra recevoir l’aide médicale à mourir. S’il l’avait demandée l’hiver dernier, il n’y aurait effectivement pas été admissible, puisque la loi exigeait alors que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible, ce qui n’est pas son cas. Mais avec la nouvelle loi canadienne en vigueur depuis mars 2021, il est maintenant admissible.

« C’est un soulagement, c’est un soulagement », confie M. Monette.

C’est comme si j’avais gagné à la Lotto 6/49 !

Yves Monette

« M. Monette s’était fait dire à gauche et à droite qu’il n’était pas admissible à l’aide médicale à mourir parce qu’il n’était pas en fin de vie, a raconté le DBoisvert. Et c’est pour ça que j’accorde une entrevue : parce que ce sont des notions qu’il faut éclairer. Les gens doivent comprendre qu’on n’a plus besoin d’être en fin de vie. Tu peux même avoir 20 ans devant toi, ça n’a plus d’importance. »

Yves Monette devrait recevoir l’aide médicale à mourir par le DBoisvert en juillet prochain, sûrement dans un centre hospitalier, puisqu’il a choisi de donner ses organes. « C’est l’affaire la plus importante que je vais avoir faite de ma vie. On m’a dit que je pourrais peut-être sauver jusqu’à six vies ! »

« Wow, la fin approche pour moi ! », a conclu M. Monette avec soulagement.

Loi canadienne : des modifications qui « changent bien des affaires »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le Dr Laurent Boisvert qui pratique l’aide médicale à mourir.

Le DLaurent Boisvert pratique l’aide médicale à mourir depuis que la loi provinciale le permet, soit en décembre 2015. En entrevue, il explique à quel point les modifications apportées en mars dernier à la loi canadienne sur l’aide médicale à mourir sont importantes.

Q. Au Québec, nous avons une loi provinciale sur l’aide médicale à mourir. Mais il y a aussi une loi fédérale. Comment ça fonctionne ?

R. Lorsque nous avons commencé à pratiquer l’aide médicale à mourir au Québec, en décembre 2015, nous avions la loi du Québec et la décision de la Cour suprême qui disait que les citoyens canadiens avaient le droit à l’aide médicale à mourir. Finalement, à cause de cette décision, le gouvernement fédéral a été obligé de concocter à son tour une loi, en 2016. Cette loi était moins restrictive que la loi du Québec.

D’après moi, tout de suite après cette loi fédérale, puisqu’elle était moins restrictive, le Québec aurait dû modifier sa loi. Ce qui n’a pas été fait. On se retrouve donc avec deux lois.

Personnellement, à partir de ce moment-là, j’ai commencé à suivre la loi fédérale.

Q. La loi canadienne était donc déjà moins restrictive que celle du Québec. Et depuis le 17 mars 2021, de nouvelles modifications ont été apportées à la loi canadienne à propos de l’aide médicale à mourir. Est-ce que ce sont des changements importants ?

R. Ce changement à la loi, ça change bien des affaires.

Il n’y a maintenant plus le critère de mort raisonnablement prévisible, qui a été jugé inconstitutionnel. Une personne pourrait mourir dans 25 ans, ça n’a plus d’importance, elle peut recevoir l’aide médicale à mourir.

Le gouvernement fédéral a mis en place deux trajectoires : une pour ceux qui ont une mort raisonnablement prévisible et une autre pour ceux qui ont une fin de vie qui n’est pas raisonnablement prévisible.

Si tu as une mort naturelle raisonnablement prévisible, on peut faire l’aide médicale à mourir quand tu veux. Pour ceux qui n’ont pas une fin de vie raisonnablement prévisible, il y a un délai prescrit de 90 jours entre la demande et l’aide médicale à mourir.

Q. Est-ce que l’aide médicale à mourir peut-être accessible à des personnes souffrant de maladies dégénératives ?

R. Oui, elles peuvent l’avoir, mais il faut qu’elles le fassent quand elles ont encore un minimum de tête. Prenons quelqu’un qui se fait donner un diagnostic de démence de type alzheimer. Bien, dès maintenant, il peut dire qu’il ne veut pas devenir complètement légume. Il peut aller voir son médecin et demander l’aide médicale à mourir. Dire à quel moment dans la maladie il ne veut pas se rendre. Mais c’est lui qui va devoir dire, au moment où il n’en peut plus, qu’il veut l’aide à ce moment-là.

Il y a des personnes qui aimeraient avoir le droit de faire des demandes d’aide à mourir anticipées. C’est-à-dire qu’elles aimeraient pouvoir dire que lorsqu’elles n’auront plus leur tête et qu’elles seront rendues de telle ou telle façon, elles veulent recevoir l’aide médicale à mourir. Ça, elles ne peuvent pas. Il faut qu’elles fassent l’aide médicale à mourir quand elles ont encore un minimum de tête.

Q. Revenons à la différence entre les deux lois. Devez-vous vous conformer à la loi provinciale et à la loi fédérale ?

R. Depuis l’adoption de la loi fédérale, c’est un gros débat. Il y a des médecins qui ne sont carrément pas à l’aise de ne pas suivre la loi québécoise.

Je vous donne un exemple. Un quadriplégique qui est écœuré de vivre n’a pas le droit de recevoir l’aide à mourir, selon la loi 2 du Québec. Alors qu’il a le droit selon la loi fédérale. Ce n’est pas banal ! Moi, je l’ai déjà fait sur un quadriplégique.

Q. Ça vous arrive donc de ne pas respecter la loi provinciale ?

R. Bien oui !

Quelqu’un ne peut pas faire une plainte au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) sur la base de la loi 2 au Québec, parce que tu n’enfreins pas le Code criminel. Si tu respectes la loi canadienne, tu ne peux pas être poursuivi au criminel. Mais ce n’est pas tous les médecins qui sont à l’aise de ne pas respecter la loi du Québec.

Et devant le tollé que ce débat provoque, nous sommes quelques-uns à avoir interpellé le Collège des médecins pour suggérer qu’il dise aux docteurs du Québec que dans la mesure où ils respectent la loi fédérale C-7, il n’y aura pas de sanction disciplinaire. Et le Collège l’a fait il y a deux semaines ! Il s’est bien rendu compte que les médecins étaient entre l’arbre et l’écorce dans tout ça.

Je souhaite qu’on harmonise les lois. C’est un minimum et le plus vite possible, comme ça on va arrêter de s’obstiner.

Note : les questions et les réponses ont été éditées par souci de concision et de clarté.