Des anesthésistes d’hôpitaux de la province ont commencé leurs activités avec de nombreuses minutes de retard, lundi matin. Certains avaient annoncé leur intention de ne plus respecter les heures d’ouverture de leurs blocs opératoires à la suite de coupes dans leur rémunération découlant des travaux de l’Institut sur la pertinence des soins. Une situation qualifiée par le ministère de la Santé d’« inacceptable et à l’opposé d’une pratique de la médecine centrée sur le patient ».

L’Association des anesthésiologistes du Québec réplique que ses membres sont prêts à fournir un effort financier dans le cadre des travaux sur la pertinence des soins, mais déplore que ces travaux se basent actuellement « sur des considérations politiques et économiques sans considération sur les soins et l’accessibilité des soins aux patients ».

Selon des informations récoltées par La Presse, les anesthésiologistes de l’hôpital général du Lakeshore, de l’hôpital LaSalle et du Centre hospitalier de St. Mary ont entrepris leurs activités à 8 h lundi matin, soit 30 minutes plus tard que prévu. « Pour l’instant, aucune chirurgie n’est annulée ou reportée », affirme la porte-parole du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Hélène Bergeron-Gamache.

[La situation] touche de nombreux établissements du Québec depuis que les anesthésiologistes ont vu une de leurs primes être retirée.

Hugo Bourgoin, porte-parole du CISSS de la Montérégie-Est

Le bloc opératoire de l’hôpital Honoré-Mercier devait ouvrir à 7 h 45 lundi, mais les anesthésiologistes sont entrés en salle en moyenne à 7 h 58, note M. Bourgoin. À l’hôpital Pierre-Boucher, les blocs devaient ouvrir à 7 h 45, mais les anesthésiologistes se sont présentés en salle à 7 h 53 en moyenne, et à 8 h dans deux salles.

Président de l’Association des anesthésiologistes du Québec, le DBryan Houde indique que certains délais entre l’entrée d’un patient en salle et l’arrivée de l’anesthésiologiste sont « normaux » et doute qu’il s’agisse systématiquement d’une façon pour les médecins de témoigner de leur colère. Surtout, il assure qu’aucun délai dans les interventions chirurgicales ne lui a été rapporté lundi.

Générer des économies

Vendredi, la sous-ministre adjointe à la santé, la Dre Lucie Opatrny, a envoyé une lettre à tous les directeurs de services professionnels des établissements de santé de la province. Dans cette lettre, la Dre Opatrny indique que beaucoup de ces directeurs ont informé le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) « de l’intention de [ses] anesthésiologistes de ne plus respecter les heures d’ouverture du bloc, en lien avec certaines mesures de pertinence adoptées par l’Institut de la pertinence des actes médicaux (IPAM) ». La Dre Opatrny indique qu’un « tel comportement des médecins spécialistes ne doit pas être toléré dans vos établissements ».

Lors des dernières négociations entre Québec et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), en 2019, l’IPAM avait été créé. L’organisme a pour mission de cibler et d’éliminer « des actes médicaux inappropriés rendus à des fréquences excessives ou non conformes aux bonnes pratiques médicales », écrit la Dre Opatrny.

Dans la foulée des travaux de l’IPAM, il avait été déterminé que les anesthésiologistes ne recevraient plus une « prime » pour travailler au-delà des heures d’ouverture des blocs opératoires. « Rappelons que les anesthésistes continuent d’être payés à 100 % lorsqu’ils travaillent en dehors des heures pour lesquelles ils recevaient antérieurement une prime d’assiduité », écrit la Dre Opatrny dans sa missive.

Pour la sous-ministre adjointe à la santé, les heures d’ouverture des blocs opératoires ne doivent pas être « déterminées par les manuels de facturation des médecins ».

Dans une infolettre envoyée aux médecins spécialistes vendredi, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) précise que parmi les nouvelles mesures imposées par l’IPAM touchant les anesthésiologistes, « une journée d’activités s’entend dorénavant d’une période d’activités de 7 heures au cours d’une même journée, entre 7 h et 15 h et non plus entre 8 h et 15 h ». Une mesure qui n’avait pas été annoncée aux anesthésiologistes, selon le DHoude.

Pas une « prime »

Le DHoude indique que la lettre de la Dre Opatrny contient « des inexactitudes ». Notamment, les anesthésiologistes n’ont jamais reçu une « prime d’assiduité » pour travailler entre 7 h et 8 h, dit-il. Il s’agissait plutôt d’une « majoration ». Anciennement, les blocs opératoires fonctionnaient de 8 h à 15 h au Québec. Mais dans de nombreux blocs, les heures ont été devancées à 7 h ou 7 h 30 au fil des ans, indique le DHoude. Or, entre 7 h et 8 h, les anesthésiologistes étaient payés moins que durant la journée. Une majoration de 15 %, ensuite augmentée à 29 %, a donc été instaurée en 2008 pour cette période de la journée, ainsi que pour la période de 15 h à 21 h. « Ce n’était pas une prime », dit le DHoude, qui précise qu’avec la majoration, les anesthésistes gagnaient 10 % de moins que durant la journée.

L’IPAM est venu retirer ces 29 % de majoration en février. Le DHoude estime donc qu’il est « faux » de dire, comme l’indique la Dre Opatrny, que les anesthésiologistes sont maintenant rémunérés à 100 % pour cette période. Ils le sont plutôt à 90 %. « Trouvez-moi un professionnel à qui on demande de faire des heures supplémentaires, mais qu’on lui dit plus tu vas travailler, moins ton revenu va être adéquat », plaide le DHoude.

Ce dernier assure que ses membres veulent « participer à la pertinence », mais « il faut le faire comme il faut ». Pour le DHoude, supprimer la majoration « laisse faussement croire que ces heures ne sont pas pertinentes ». Pour permettre à l’IPAM de réaliser des économies, l’Association des anesthésiologistes avait plutôt proposé de diminuer le tarif horaire de chaque tranche de 15 minutes pour lesquelles ses membres sont rémunérés durant toute une journée. « Notre solution alternative a été ignorée », déplore-t-il.

Sanctions possibles

Dans sa lettre, la Dre Opatrny invite les directeurs de services professionnels (DSP) à « mettre en œuvre tous les moyens à [leur] disposition afin que les médecins spécialistes respectent leurs engagements et rendent les services attendus ». La Dre Opatrny indique si un médecin ne se présente pas aux heures prévues d’ouverture des blocs opératoires, les DSP doivent avertir le commissaire aux plaintes et à la qualité de l’hôpital, qui pourra acheminer la plainte au médecin examinateur.

Pour le DHoude, les anesthésiologistes se sentent « utilisés » dans ce débat sur la pertinence. Pour eux, l’IPAM « fait fausse route dans ses objectifs et son but ». Quatre membres de la FMSQ siègent à l’IPAM, de même que trois membres du MSSS et le président de la RAMQ. Estimant avoir été mal représentée par l’ancienne administration de la FMSQ qui siégeait à l’IPAM, l’Association des anesthésiologistes a même déposé une poursuite à son encontre en février.

La crise qui touche l’anesthésie survient alors que le Québec tente de rattraper d’importants retards en chirurgie causés par la pandémie de COVID-19. Les blocs opératoires ont tourné au ralenti depuis un an et la province tente actuellement de mettre les bouchées doubles pour diminuer les délais pour les quelque 150 000 personnes qui attendent de subir une intervention chirurgicale au Québec.

La FMSQ n’a pas voulu commenter le dossier puisqu’il se trouve devant les tribunaux. L’organisme dit toutefois avoir mentionné à l’Association des anesthésiologistes du Québec qu’« aucune mesure de pressions ayant un impact sur les patients ne sera excusée ». « Dans le contexte difficile de rattrapage des activités médicales, chirurgicales, d’imagerie et de laboratoire, tous doivent mettre les bouchées doubles pour optimiser les soins et ainsi réduire les listes d’attente », indique la FMSQ.

Qu’est-ce que l’IPAM?

L’Institut de la pertinence des actes médicaux (IPAM) a été créé dans la foulée des dernières négociations entre Québec et la FMSQ, en 2019. Lancé en mars 2020, l’organisme doit « recadrer certains actes médicaux à faible valeur ajoutée », est-il écrit sur son site web. Les montants ainsi économisés doivent être réinvestis pour l’amélioration de l’accès aux services médicaux spécialisés.