Neuf patients ont été privés d’air durant près d’une minute et un homme de 71 ans est mort quand le circuit d’oxygène des soins intensifs COVID-19 de l’hôpital Charles-Le Moyne a été coupé sans préavis à cause d’une « erreur humaine » pendant des travaux, a appris La Presse.

Les malades victimes de la coupure étaient tous sous respirateur ou recevaient des soins d’oxygénothérapie.

L’incident, qui s’est produit l’été dernier, a forcé les soignants pris au dépourvu à se ruer dans les chambres pour ventiler les malades manuellement ou les brancher à des bonbonnes d’oxygène. Des employés se sont mis à courir et à crier que leurs patients n’avaient plus d’air. « C’était la folie », selon le témoignage d’une travailleuse qui n’est pas autorisée à parler publiquement.

« Les inhalothérapeutes, les infirmières et les intensivistes se sont rapidement mobilisés pour prodiguer les soins et apporter l’assistance respiratoire requise par les usagers, c’est-à-dire soit par masque ou canule nasale branchés sur une bonbonne d’oxygène déjà en place sur l’unité, ou encore à l’aide d’une ventilation manuelle », a relaté Martine Lesage, porte-parole du CISSS de la Montérégie-Centre, en réponse aux questions de La Presse sur l’évènement.

Selon les explications fournies par l’établissement, ce sont des travaux aux anciennes urgences de l’hôpital qui ont nécessité la coupure volontaire d’une partie du réseau des gaz médicaux, qui transporte, dans les murs, l’oxygène jusqu’aux patients. « Une erreur humaine d’interprétation d’un plan des réseaux de gaz médicaux est à l’origine de l’incident », a admis Martine Lesage.

Bref, l’équipe responsable des travaux, qui avaient pourtant « fait l’objet d’une planification rigoureuse et d’un plan de travail en plusieurs étapes », n’a pas remarqué que les soins intensifs COVID-19 seraient touchés par l’interruption de service.

Résultat : à 8 h 01 le 5 juin 2020, neuf patients recevant des soins critiques ont manqué d’air en même temps.

La coupure a duré de 10 à 15 minutes. Mais selon Mme Lesage, les employés ont mis moins d’une minute à venir en aide aux malades. Huit des patients touchés se sont rétablis sans conséquence grave, assure-t-elle.

Le neuvième, Maurice Leblanc, 71 ans, papa, grand-papa et ancien mécanicien dans l’armée canadienne, est mort. La coroner qui a enquêté sur sa mort, MLyne Lamarre, est formelle. Ce sont les complications liées à la coupure du réseau d’oxygène qui l’ont tué, tranche son rapport, que nous avons obtenu.

Le CISSS de la Montérégie-Centre arrive à la même conclusion. « Son état de santé ne lui a pas permis de supporter la dénaturation liée à la coupure d’oxygène », dit Martine Lesage.

PHOTO TIRÉE DE L’AVIS DE DÉCÈS

Maurice Leblanc

M. Leblanc avait été admis à l’hôpital Charles-Le Moyne le 14 mai. Il souffrait d’une pneumonie. Un test de COVID-19 s’est avéré positif, lit-on dans le rapport de la coroner.

Le 16 mai, il a été mis sous respirateur artificiel, c’est-à-dire qu’il a été intubé.

49 minutes

Le 5 juin, après trois semaines dans le coma, l’état de santé de Maurice Leblanc était devenu extrêmement précaire. À 8 h 01, quand le circuit d’oxygène des soins intensifs COVID-19 a cessé de fonctionner, son taux de saturation en oxygène a chuté de manière draconienne. Il a été ventilé avec un réanimateur manuel.

À 8 h 07, M. Leblanc s’est retrouvé avec un rythme cardiaque trop lent.

À 8 h 20, il était en état d’insuffisance cardiaque.

À 8 h 50, son décès a été constaté.

Le téléphone de sa femme, Carmelle Larochelle, a sonné quelques instants plus tard dans leur appartement de Saint-Jean-sur-Richelieu. Au bout du fil, un médecin lui a annoncé la nouvelle.

« Quand on est arrivés à l’hôpital, ils nous ont dit tout de suite ce qui était arrivé », dit la veuve. Même si son mari lui manque encore chaque jour, elle n’en veut pas à l’hôpital. Elle voit en fait dans l’évènement un signe du destin.

Mme Larochelle et ses enfants avaient rendez-vous le jour même de la coupure d’oxygène avec les médecins des soins intensifs pour discuter de l’avenir de Maurice Leblanc. Après 23 jours dans le coma, elle s’inquiétait des lourdes séquelles que la maladie laisserait si son mari survivait. « Le médecin m’avait prévenue qu’il aurait entre trois et six ans de réadaptation devant lui avant de pouvoir revenir à la maison. Je savais qu’il ne voudrait pas ça. Quelque part, ç’a été comme une sorte de soulagement. C’est un peu comme s’il avait décidé lui-même de partir », dit la femme, philosophe.

L’auteur de l’erreur, dit Carmelle Larochelle, « a été chanceux qu’il y ait juste mon mari qui soit décédé ».

Dans les derniers mois, le CISSS de la Montérégie-Centre a fait une série de recommandations « afin d’éviter qu’un tel évènement ne se reproduise », et elles ont toutes été mises en place, assure Martine Lesage.

Avec William Leclerc, La Presse