(Québec) Des professionnels de la santé s’inquiètent du projet de réforme de la santé et de la sécurité du travail, qui constitue un « recul flagrant » pour les travailleurs québécois.

Cette coalition élargie veut défendre le droit des travailleurs blessés à la réadaptation. Si la réforme, le projet de loi 59, est adoptée, on pourrait refuser des traitements à des milliers de personnes souffrant de lésions professionnelles.

Des chercheurs, des acupuncteurs, des chiropraticiens, des physiothérapeutes, des ergothérapeutes en pratique privée, des psychologues, ainsi que des psychoéducateurs, au total près de 7000 professionnels, exigent un comité scientifique pour traiter des enjeux de réadaptation. Ils s’adressent au ministre du Travail, Jean Boulet, qui pilote le projet de loi 59.

Ils signent ensemble une déclaration de principes pour réclamer que les connaissances scientifiques guident la réforme et non les impératifs financiers. La Presse Canadienne a obtenu un exemplaire de la déclaration.

« C’est un projet de loi qui ne suit pas les recommandations des chercheurs, des associations, des professionnels sur le terrain », a déploré un des interlocuteurs de cette coalition, Pascal Gagnon, le président de la Fédération des cliniques de physiothérapie, dans une entrevue avec La Presse Canadienne.

D’autres professionnels de la santé ainsi que des syndicats ont également reproché au gouvernement de bafouer la science dans ce projet de loi.

« Recul flagrant »

« Si le projet de loi passe tel quel, ce sera un recul assez flagrant pour les travailleurs », a-t-il poursuivi.

Le projet de loi prévoit que la réglementation qui suivra fixera des limites aux traitements, afin de réaliser des économies. C’est la CNESST qui déciderait du traitement et de sa durée. Or selon les professionnels de la santé, ce n’est pas avec des limites arbitraires aux traitements que les problèmes de santé seront réglés.

« Pour la physiothérapie, pour l’ergothérapie, au bout d’un certain nombre de séances, ce sera terminé, sans égard aux résultats », a déploré M. Gagnon, en rappelant que les professionnels avaient pourtant proposé plusieurs solutions, mais rien n’a été retenu.

« La CNESST ne peut pas se substituer aux ordres professionnels. »

« Nos professionnels disent : voyons donc ! », a commenté Michel Clair, le président de l’AQP3S (Alliance québécoise des professionnels en santé et services sociaux).

C’est comme si, dans le réseau de la santé, on décrétait que la période de réadaptation pour une chirurgie du genou est de huit semaines pour une personne de 66 ans, et après, dehors !, a illustré M. Clair.

« Ça n’a pas de bon sens, ça ne peut pas être des balises administratives. »

Ordre des physiothérapeutes

« Certaines lésions peuvent être sévères, on ne peut pas fixer de barèmes », a expliqué le président de l’Ordre des physiothérapeutes, Denis Pelletier, en entretien téléphonique lundi.

« On ne peut pas dire : une amputation, c’est 12 semaines (de réadaptation) et une fracture, c’est X semaines. »

Des facteurs particuliers à chaque individu doivent être pris en compte, que ce soit le contexte de travail, le revenu, l’éducation, ses relations personnelles, son poste de travail, etc.

Et qu’en est-il des problèmes chroniques qui surviennent parce que le conseiller en réadaptation au dossier n’est pas disponible avant six mois ?

« On ne parle pas de réadaptation (dans le projet de loi), ça va être un enjeu », prédit M. Gagnon.

L’accidenté du travail qui a besoin de 18 traitements plutôt que les 10 fixés par la loi, par exemple, sera ballotté et finira par être pris en charge par le réseau de santé, et il coûtera plus cher à traiter à plus long terme, a expliqué M. Clair.

« Miser sur la science »

« La notion de la qualité de la prestation de service et de l’acte professionnel est complètement exclue (de ce projet de loi), c’est ce qui vient nous interpeller », a dit le président de la Fédération des cliniques de physio.

« Miser sur la science, sur les pratiques professionnelles contemporaines, c’est dans l’Intérêt de toute la société », a conclu M. Clair.

Le projet de loi 59 vise à réformer le système actuel pour en réduire les coûts, qui sont assumés à 100 % par les employeurs.

La CNESST a versé des prestations totalisant 2,22 milliards en 2018. Elle avait alors accepté 103 406 lésions professionnelles et enregistré 226 décès. Chaque jour, 251 travailleurs subissent un accident.