Le réseau de la santé abuse parfois du décret d’urgence sanitaire pour conclure des contrats de gré à gré sans lien avec la COVID-19 et ainsi contourner l’obligation de lancer des appels d’offres publics, estime une association d’entreprises du monde médical.

Celle-ci constate une hausse de 65 % des contrats de gré à gré par rapport à l’an dernier dans le secteur des équipements médicaux. Ces contrats ne sont pas tous liés à la COVID-19, comme des accessoires pour personnes handicapées et des cabinets dentaires, ajoute-t-elle.

Chien de garde créé dans la foulée de la commission Charbonneau, l’Autorité des marchés publics (AMP) dit faire une « veille » des contrats conclus depuis le début de la pandémie. Elle se limite à dire que des analyses sont en cours.

En vertu du décret d’urgence sanitaire adopté le 13 mars, les établissements de santé « peuvent, sans délai et sans formalité, pour protéger la santé de la population, conclure les contrats qu’il jugent nécessaires, notamment pour acquérir des fournitures, des équipements, des médicaments ou pour procéder à des travaux de construction ».

En temps normal, les établissements doivent lancer un appel d’offres pour tout achat de plus de 100 000 $. Mais depuis le début de la pandémie, ils peuvent conclure des contrats de gré à gré pour procéder à des achats d’une telle valeur lorsqu’ils jugent que cette procédure est nécessaire en raison de l’urgence de lutter contre la COVID-19. Ils ne sont donc pas tenus de faire un appel d’offres, une procédure qui demande plus de temps.

Des contrats qui « portent à interrogation »

Or, le recours au décret pour justifier la conclusion de certains contrats de gré à gré inquiète Medtech Canada, qui représente l’industrie des technologies médicales – plus de 320 entreprises au Québec. Elle a observé une hausse de 65 % des contrats de gré à gré entre le 15 mars et le 30 juin par rapport à la même période l’an dernier dans la catégorie des achats de « fournitures et équipements médicaux ». On parle de 1050 contrats, comparativement à 638. De ce millier de contrats, 333 sont clairement « marqués COVID » et 717 sont « non marqués COVID » et « portent à interrogation », selon des statistiques compilées par MedTech Canada à partir du Système électronique d’appel d’offres du gouvernement du Québec.

Avant de faire un contrat de gré à gré, l’établissement doit publier un avis d’intention, mais dans 96 % des cas, cela n’a pas été fait, toujours d’après Medtech Canada.

Certes, des contrats visent bel et bien à acheter le matériel nécessaire pour répondre à la crise sanitaire, comme des masques et d’autres équipements de protection individuelle.

Il y a quand même des dossiers qui ne sont pas liés à la COVID-19 et où l’établissement a décidé quand même, dans le fond, de contourner la règle de la loi sur les contrats et de faire un gré à gré. Est-ce vraiment justifié ?

Benoît Larose, vice-président Québec de Medtech Canada

Il identifie une dizaine de contrats pour l’achat de lève-personnes, d’accessoires pour personnes handicapées, d’unités d’hémodialyse, d’analyseurs pour banques de sang, de produits pour perfusion, de cabinets dentaires, de fournitures de purification d’eau. Ces contrats totalisent environ 9 millions de dollars. Les établissements invoquent l’urgence sanitaire ou encore « l’instabilité actuelle du marché combinée à la faiblesse de la concurrence ».

L’AMP sollicité

Selon Benoît Larose, vice-président Québec de Medtech Canada, « lancer un appel d’offres public au Québec, c’est du travail pour des établissements qui n’ont souvent pas beaucoup de moyens. Dès qu’ils ont été capables de faire fi de ces contraintes, des établissements en ont profité ». Les pratiques actuelles n’assurent pas une saine concurrence entre les entreprises, ajoute-t-il. « Pour chaque gré à gré non justifié qui est donné, il y a une entreprise qui est contente et peut-être quatre autres qui ne le sont pas. » Il a tenu à préciser qu’il n’y aurait pas de « malversations » dans l’attribution des contrats.

Des membres de l’association ont porté plainte à l’AMP, qui est « préoccupée » par la situation, selon M. Larose.

L’AMP se limite à dire qu’elle garde un œil sur ces contrats. « Dès le moment où le décret a été adopté, on a mis en place un système de veille qui permet d’exercer une certaine surveillance du réseau de la santé et des services sociaux », affirme son directeur des affaires publiques, René Bouchard. Il ajoute que des dossiers sont « en analyse », refusant de confirmer ou d’infirmer le déclenchement d’enquêtes.