Consulter un médecin par vidéo, à quelques heures de préavis. Des centaines de milliers de Canadiens ont désormais accès à ces services alors que les régimes d’assurances médicales de groupe couvrent de plus en plus la télémédecine privée. Une nouvelle brèche dans le système de santé public ?

Un Canadien sur 100

Plus de 600 entreprises couvrant 300 000 patients : le service de consultation médicale vidéo Dialogue a le vent dans les voiles. La firme fondée en 2016 offre des services de télémédecine privée payés par des entreprises, soit directement, soit par l’entremise d’assurances de groupe ou de courtiers d’assurances. « On va atteindre bientôt le seuil de 400 000 patients, soit 1 % de la population canadienne », explique Cherif Habib, PDG de Dialogue, qui a pignon sur rue dans le Vieux-Montréal. 

Environ 60 % des employés couverts utilisent le service dans une année donnée. Le concept est si intéressant qu’un autre service de consultation médicale par vidéo québécois, VirtualMED, a décidé de ne plus l’offrir seulement à des particuliers. Depuis l’automne, des entreprises peuvent offrir à leurs employés VirtualMED, le service de télémédecine du réseau de cliniques privées Excelle MD. Dialogue, de son côté, est présente partout au Canada, s’installera bientôt en Allemagne et offre la télémédecine aux États-Unis aux employés de ses clients qui sont en déplacement, par l’intermédiaire d’un partenaire américain.

Un trou dans la loi

S’agit-il d’une brèche dans le système de santé public ? C’est l’avis de l’urgentologue Alain Vadeboncoeur, auteur de l’essai Privé de soins, qui prend la défense du système de santé public. « Il y a un trou dans la loi et une possibilité de croissance pour le privé à la marge de la loi et contre l’esprit de la loi et de l’équité, dit le Dr Vadeboncoeur. Du point de vue du patient, il doit défrayer [ou quelqu’un doit le faire] pour des services habituellement couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). À moins qu’on définisse la télémédecine comme non couverte, mais ce n’est pas le cas, à ma connaissance. » 

M. Habib affirme mettre un point d’honneur à ce que son service de télémédecine soit payé par l’employeur, et non par le patient, et être la seule entreprise de télémédecine privée au Canada à avoir ce modèle. Tant Dialogue que VirtualMED peuvent être offerts aux employés d’une entreprise soit directement, soit par l’intermédiaire d’un courtier en assurances ou d’une assurance de groupe privée. Plusieurs régimes d’assurances médicales de groupe ont d’ailleurs inclus Dialogue dans leur offre.

Liens avec le médecin traitant

Le Collège des médecins s’inquiétait récemment, dans une entrevue avec La Presse, que les services de télémédecine mènent à une duplication dans le cas où des patients devaient être confiés à une clinique. Le responsable de la page Facebook Docs d’urgence, l’urgentologue Frédéric Picotte, de Shawinigan, s’inquiète quant à lui que les services privés de télémédecine ne transmettent pas les données sur leurs interventions aux médecins traitants des patients. 

En réponse à ces craintes, le chef de la direction médicale de Dialogue, Julien Martel, affirme que tous les médecins ont accès au Dossier santé Québec des patients, et donc peuvent le consulter. De son côté, Patricia Côté, vice-présidente et co-PDG de VirtualMED et d’Excelle MD, indique que le patient peut être orienté au besoin aux cliniques d’Excelle MD pour éviter d’ajouter à la charge du réseau public. « Nous avons une entente avec Bonjour-santé pour qu’une orientation en télémédecine soit proposée si aucun rendez-vous n’est possible dans une clinique publique, dit la Dre Côté. Une fois, nous avons eu un client par Bonjour-santé qui a dit que, s’il avait su que c’était possible, il aurait été directement à la télémédecine. » Un rendez-vous avec VirtualMED payé directement par le patient coûte 69 $.

Réduire les coûts

Dialogue a dirigé La Presse vers l’un de ses clients, Coveo, une entreprise d’informatique d’affaires de Québec. Environ 60 % des 350 employés de Coveo utilisent chaque année les services de Dialogue. « Ça nous a permis de réduire nos frais d’assurances médicales de 5 à 7 %, en moyenne, notamment à cause des prix plus intéressants pour les médicaments », explique Claude-Antoine Tremblay, directeur des ressources humaines de Coveo. « C’est rare que je prends un cold call, mais la valeur de la proposition de Dialogue était vraiment intéressante. Ça fait que les employés ont moins à s’absenter pour aller à la clinique. » 

La Dre Côté, de VirtualMED, donne l’exemple d’un pensionnaire de CHSLD à qui un antiviral a récemment été prescrit pour une grippe. « Ça évite un voyage à la clinique ; on pourrait même isoler un tel patient et donner aux autres résidants du CHSLD un antiviral en prophylaxie pour réduire la contagion. »

Un outil de rétention

Pour les entreprises du secteur informatique, trouver et garder des employés est parfois difficile. « Je ne dirais pas que Dialogue est un attrait pour l’embauche, mais probablement pour la rétention, estime M. Tremblay, de Coveo. J’ai des employés qui me disent combien c’est important pour eux. » M. Habib explique qu’initialement, les clients étaient davantage en technologies, mais plus maintenant. « On a des PME, des entreprises dans le secteur manufacturier, des garderies privées, des restaurants », énumère-t-il.

Pas d’otites ni de TDAH

L’été dernier, une étude publiée dans Pediatrics a montré que la télémédecine augmentait la probabilité de prescription d’antibiotiques pour les otites, facteur qui contribue à la surprescription d’antibiotiques puisque beaucoup d’otites sont d’origine virale. N’est-ce pas un danger de la télémédecine ? Julien Martel, qui est aussi urgentologue au CHUM, explique que les otites ne sont pas couvertes par les consultations par vidéo parce qu’il faut un examen des oreilles. Les maux de gorge, par contre, peuvent l’être si le patient peut prendre une bonne photo de sa gorge. Et les médicaments contrôlés, par exemple pour le déficit de l’attention ou l’insomnie, ne sont pas non plus au menu de Dialogue.

Une version précédente de cet article indiquait erronément qu'il est possible pour un médecin d'inscrire des notes dans le Dossier santé Québec d'un patient.

EN CHIFFRES

• 15 % des patients qui consultent le 811 (Info-Santé) sont envoyés aux urgences
• 23 % des patients qui consultent le 811 (Info-Santé) sont dirigés vers un médecin de famille
• 5 % ou moins des patients qui consultent le service de télémédecine Dialogue sont dirigés vers les urgences
Sources : Dialogue, Docs d’urgence