Dans un geste rarissime, Ottawa vient de permettre à un laboratoire ultrasécurisé de la Saskatchewan d’importer le virus de la peste porcine africaine sur le sol canadien dans l’espoir de mettre au point un vaccin pour enrayer la maladie qui décime les cheptels à travers le monde. Différents médicaments antiviraux seront aussi testés.

« Le virus est en route », a expliqué, en entrevue avec La Presse, le Dr Volker Gerdts, directeur du Vaccine and Infectious Disease Organization – International Vaccine Centre (VIDO-InterVac). Ce centre de renommée internationale affilié à l’Université de la Saskatchewan a un parcours impressionnant, ayant mis au point 10 vaccins depuis sa création en 1975.

En règle générale, seuls les laboratoires étatiques peuvent posséder des agents pathogènes aussi virulents au sein de leurs installations. D’ailleurs, seule une poignée de centres de recherche dans le monde travaillent actuellement avec le virus de la peste porcine africaine puisque, pour cela, une certification de biosécurité de haut niveau est nécessaire.

C’est un laboratoire allemand qui fournira le virus aux chercheurs canadiens. L’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a donné le feu vert en décembre, mais vient tout juste de rendre l’information publique.

Considérant l’ampleur et l’impact de la maladie, on veut encourager l’innovation et la recherche pour trouver un vaccin qui va marcher.

Le Dr Jaspinder Komal, vétérinaire en chef du Canada

La peste porcine africaine, qui est sans risque pour la santé humaine, tue la presque totalité des cochons qui en sont atteints. Pour l’instant, la maladie n’est pas présente au Canada, mais elle progresse à un rythme exponentiel en Asie après avoir atteint l’Europe de l’Est en 2007. Elle est présente en Afrique depuis près de 100 ans.

De nombreux modèles de vaccins

Voyant la maladie s’étendre, le centre VIDO-InterVac se penche sur la question depuis déjà cinq ans. Plus de 30 modèles de potentiels vaccins ont été créés.

« On ne commence pas de zéro, explique le Dr Gerdts. La majorité de notre travail va consister à prendre ce que nous avons déjà bâti et à l’améliorer en utilisant par exemple des adjuvants ou en l’optimisant à l’aide de nouveaux gènes. »

Selon les plus récentes statistiques de l’Organisation mondiale de la santé animale, on compte actuellement 12 219 foyers d’éclosion répartis dans 50 pays. Cet organisme intergouvernemental, qui coordonne la lutte mondiale contre les maladies animales, estime que le quart du cheptel planétaire sera tué par le virus.

La peste porcine africaine est causée par un virus à ADN de genre Asfivirus.

Une partie de notre travail visera à comprendre les mécanismes de la maladie. C’est l’un des virus les plus complexes qui existent. Il compte plus de 150 gènes et, pour la moitié d’entre eux, on ignore leur fonction. On ne sait même pas si l’on devrait les inclure dans le vaccin.

Le Dr Volker Gerdts

Les prototypes de vaccins mis au point seront faits à l’aide de vecteurs d’adénovirus, composés seulement de certains gènes d’un virus. Ce type de vaccin diffère de ceux faits à partir du virus complet et vivant. Il serait impensable, au Canada, d’utiliser ce type de vaccin, car la maladie n’y est pas présente et pourrait se propager à des porcs en santé.

Par ailleurs, divers partenaires du centre VIDO-InterVac ont déjà manifesté leur désir de faire tester différentes molécules antivirales qui pourraient servir de remède pour les animaux déjà infectés.

Trousse de détection testée au Viêtnam

En 2020, le virus sera seulement utilisé sur des cultures cellulaires. Il ne pourra pas encore être utilisé pour inoculer la maladie à des porcs en vue de déterminer s’il fonctionne.

Cependant, des cochons pourront recevoir des vaccins. Les installations de Saskatoon peuvent accueillir près de 1000 porcs.

À l’aide de prélèvements, il sera possible pour les chercheurs de déterminer si les porcs ont développé une réponse immunitaire. Il faudra toutefois inoculer la maladie aux porcs pour réellement déterminer si le vaccin fonctionne. Si les résultats en laboratoire sont concluants, le centre VIDO-InterVac pourra demander au gouvernement canadien l’autorisation d’infecter des bêtes.

L’ACIA a aussi testé l’efficacité de vaccins dans son laboratoire de Winnipeg au cours de la dernière année, mais les résultats n’ont pas été concluants, a indiqué le Dr Komal.

« Le projet n’est pas terminé, ça continue. Je ne peux pas vous donner toute l’information avant que ce soit publié. Tout ce que je peux dire, c’est que oui, il y a des projets en marche. Par contre, en donnant la permission à ce centre-là de faire d’autres projets, ça nous donne une autre avenue », dit-il.

Les travaux menés par les chercheurs fédéraux à Winnipeg ont toutefois conduit à la création d’une trousse pour permettre aux vétérinaires canadiens de dépister rapidement la maladie. Elle a d’ailleurs été testée au Viêtnam, l’an dernier, avec succès.

Un effort sans précédent

L’attribution du permis d’importation du virus par Ottawa s’inscrit dans une série de mesures sans précédent pour protéger l’industrie porcine de ce fléau.

La principale crainte des autorités est que des voyageurs introduisent ici des produits du porc transformés comme des saucissons ou des produits séchés ou saumurés qu’ils rapportent de l’étranger.

Chine, Russie, Europe de l’Est : avec l’augmentation du nombre de pays touchés par la maladie, Ottawa a décidé d’augmenter le nombre d’équipes de maîtres-chiens spécialisés dans la détection de produits alimentaires. Au cours des cinq prochaines années, 18 nouvelles équipes de chiens renifleurs seront formées par l’Agence des services frontaliers.

Désormais, les voyageurs qui importent de la viande de porc s’exposent à des amendes pouvant aller jusqu’à 1300 $.