(Québec) « Je ne vais pas avoir un Noël de tout repos. »

Même si les rassemblements sont annulés, il n’y aura pas de pause pour les services sociaux. Lionel Carmant le sait bien.

C’est pourquoi le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux a demandé au personnel du réseau de passer un coup de fil à tous ceux qui bénéficient de l’un ou l’autre des programmes d’aide psychosociale, et même à ceux dont le nom est sur une liste d’attente. On parle de 800 000 appels d’ici le 23 décembre.

« Il va falloir qu’on soit très présents pour soutenir la population pendant la période des Fêtes », a confié le ministre Carmant lors d’une entrevue de fin d’année. « Surtout pour ceux qui sont seuls, ça va être particulièrement difficile. Il faut les accompagner », a-t-il ajouté, se disant inquiet pour les « plus vulnérables ».

Ces appels font partie des mesures annoncées dans le cadre de la deuxième vague de la pandémie. Il s’agit essentiellement d’un appel téléphonique de courtoisie et de référence à un service spécifique selon le besoin, indique-t-on.

« C’est pour savoir comment ça va […], savoir comment ils vont sur le plan de la santé mentale et voir si on peut les aider. Je pense par ailleurs que tous les Québécois qui connaissent quelqu’un qui est seul devraient faire ça aussi [leur téléphoner]. Il faut que nous tous, on se prenne en main aussi », assure le ministre.

Il le répétera aussi à quelques reprises pendant l’entrevue : « N’hésitez pas à signaler la ligne Info-Social 811. »

La détresse psychologique en hausse

La pandémie a eu pour effet d’augmenter la détresse psychologique. On doit déjà en tirer des leçons, estime M. Carmant.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Lionel Carmant, député de Taillon et ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux

Il faut se rendre compte que [cet enjeu] a trop longtemps été négligé. La santé mentale, c’est le tiers des consultations dans le réseau et, pourtant, la santé physique a sept fois plus de budget que la santé mentale.

Lionel Carmant, député de Taillon et ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux

Selon une enquête effectuée en septembre par l’Université de Sherbrooke, un Québécois adulte sur cinq affiche des symptômes tenant d’une dépression majeure ou d’un trouble d’anxiété généralisée. C’est une personne sur quatre à Montréal.

Il ne nie pas que le défi devant lui est colossal. Avant la crise sanitaire, obtenir des services relevait déjà souvent d’un chemin de croix.

« Quand on rencontre un professionnel, ça se passe bien. Mais le problème, c’est de rencontrer ce professionnel », admet le ministre.

Quelque 18 300 Québécois sont inscrits sur une liste d’attente pour recevoir des services en santé mentale. En octobre, ce nombre oscillait autour de 16 000. C’est aussi en octobre que la vérificatrice générale, dans un « audit de performance », a révélé que Québec n’avait pas de données fiables sur l’accès aux services de santé mentale.

Dans la foulée de l’attentat meurtrier du Vieux-Québec, le soir de l’Halloween, Québec a débloqué des investissements de 100 millions pour « couper » cette liste d’ici deux ans. On prévoit notamment la création d’équipes « sentinelles » et la mise à contribution de psychologues du secteur privé.

Le Devoir a révélé le 15 décembre dernier que ces équipes ne seraient pas actives avant les Fêtes, comme promis, et que l’aide du privé était plus complexe à déployer.

« Ce qu’on était en train de bâtir avant la pandémie, c’était cette nouvelle façon d’offrir les services. Il faut être plus disponibles. Tout le monde se plaint de ce problème [d’accès] », constate le ministre. « Il faut aller vers les patients, offrir plus de services, plus de portes d’entrée. C’est ce qu’on essaie de faire », ajoute-t-il.

Le chantier de la santé mentale sera prioritaire en 2021, d’autant que la pandémie a retardé les visées de M. Carmant. Il veut notamment poursuivre la « nationalisation » du Programme québécois pour les troubles mentaux, qui vise à faciliter l’accès aux services de santé mentale dans toutes les régions du Québec d’ici 2022.

Qu’on soit un organisme communautaire, un CLSC, un médecin de famille ou une infirmière, le programme permet d’enrôler le patient dans le réseau. Actuellement, tout est en silos. Tu frappes à une porte, ce n’est pas la bonne, tu retournes sur la liste. On veut fondre ces listes avec ce programme d’accès national.

Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux

Deux jours de consultations publiques se tiendront aussi les 19 et 20 janvier pour mieux connaître les effets de la pandémie sur la santé mentale des Québécois. Ces travaux se déroulent dans le cadre de l’élaboration du futur plan d’action en santé mentale du gouvernement Legault, qui doit être livré à l’automne 2021.

L’enfance au cœur des préoccupations

La pandémie a mis les nerfs des membres du gouvernement de la Coalition avenir Québec à rude épreuve. « C’est certain que ç’a été très, très intense », soutient le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux. Quelle a été sa plus grande préoccupation depuis les neuf derniers mois ? « Les enfants vulnérables », répond-il.

La crise sanitaire a notamment eu des « impacts significatifs » sur le déploiement du programme Agir tôt, qui permet le dépistage précoce des troubles de développement chez les 0 à 5 ans. « On a de six à neuf mois de retard en raison de la pandémie », à cause du délestage des activités lors de la première vague, souligne le député de Taillon.

Son collègue des Finances, Eric Girard, a révélé lors d’une entrevue accordée à l’émission Enquête que c’était Lionel Carmant qui était d’ailleurs le plus insistant à la table du Conseil des ministres pour remettre le Québec en marche, le printemps dernier. « Les enfants n’allaient pas à l’école. Le meilleur filet social, c’est l’école », insiste-t-il.

Les signalements à la DPJ ont d’ailleurs chuté de 20,5 % en avril, mai et juin au Québec. Et si on devait retarder le retour en classe prévu le 11 janvier, il faudra que ce « soit court », prévient le ministre.

Autre grand chantier de 2021 : c’est en avril que la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (commission Laurent) déposera son rapport fort attendu. De nouvelles histoires d’horreur mettant la DPJ sur la sellette, que ce soit à Wendake cet automne ou encore à Granby, sont venues marquer l’année.

« La DPJ, c’est en haut de la liste », affirme l’élu caquiste. Il soutient que son équipe se prépare déjà à rouvrir dès l’an prochain la Loi sur la protection de la jeunesse en prévision des conclusions de la commission Laurent.

Deux semaines dans le rouge

Tout en conservant ses responsabilités ministérielles, le ministre Carmant est allé prêter main-forte dans un CHSLD de Montréal au plus fort de la première vague, pendant deux semaines. « Je voulais vraiment le faire pour moi. On travaillait beaucoup, on était confinés à la maison. Ma femme est médecin, elle était en première ligne. Je voulais contribuer aussi. Je ne pouvais plus rester chez nous toute la journée », relate-t-il. Son expérience sur le terrain a permis au gouvernement Legault de mettre le doigt sur certaines failles en CHSLD, notamment en matière de prévention et contrôle des infections. « Les employés faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour se protéger sur les étages, mais mangeaient ensemble, se souvient-il. Dès le lendemain, j’ai apporté cela à la ministre McCann. Je pense que ça a aidé à sensibiliser tout le monde. » Il affirme garder de précieux souvenirs, « du beau », de cet épisode particulièrement intense.