Yvan Gagnon est mort en 2018 après avoir subi une opération de routine à l’Institut de cardiologie de Montréal. Il avait 59 ans. Convaincue qu’une erreur médicale a conduit à ce décès, la famille du défunt réclame des dommages à l’établissement, mais surtout, elle tient à sensibiliser le réseau pour que ce genre d’erreur ne se reproduise plus.

« Le but, c’est de sensibiliser le réseau. Pas juste en cardiologie, en tout. C’est un rappel qu’un drame comme ça peut être évité », dit Marie-Pier Gagnon, l’une des filles du défunt.

Yvan Gagnon, qui « était fait fort » selon sa famille, a commencé à se sentir anormalement essoufflé à la mi-août 2018. Infirmier de profession, M. Gagnon « était capable de s’évaluer », remarque sa fille. On l’hospitalise à l’hôpital Pierre-Boucher le 14 août, où on diagnostique un problème cardiaque.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Yvan Gagnon avec ses filles et ses petits-enfants, en 2018

Le 26 août 2018, M. Gagnon est transféré à l’Institut de cardiologie de Montréal pour subir une opération à cœur ouvert afin de remplacer une valve aortique. « Il avait 59 ans. Il était quand même fait fort […] Il semblait confiant », raconte Mme Gagnon, qui parle d’une opération « de routine ». En effet, l’Institut de cardiologie de Montréal réalise en moyenne 600 remplacements valvulaires aortiques par année, parmi les 2000 interventions de chirurgie cardiaque qu’elle pratique.

Le 27 août, on remplace la valve aortique de M. Gagnon. L’opération se passe bien. « Je lui ai parlé après. Il était bien content », raconte Richard Descôteaux, conjoint du défunt.

Erreur fatale

En coulisse, une erreur qui s’avérera fatale selon la famille se trame. La valve aortique installée à M. Gagnon est une valve mécanique, qui nécessite après installation un traitement d’anticoagulant. Le chirurgien qui a opéré M. Gagnon a écrit dans ses notes opératoires qu’il avait bien installé une valve mécanique. Un traitement d’anticoagulant a été prescrit au patient. Mais sans que l’on comprenne trop pourquoi, à un certain moment, il est indiqué dans le dossier de M. Gagnon qu’on lui a installé une valve biologique.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Richard Descôteaux, conjoint de feu Yvan Gagnon

Ce type de prothèse ne nécessite pas de traitement d’anticoagulant. M. Gagnon ne recevra donc aucun traitement pour empêcher la formation de caillots durant son séjour aux soins intensifs de l’Institut de cardiologie de Montréal. « On n’a jamais ouvert le dossier pour vérifier quel type de valve il avait reçu », critique sa fille.

Environ trois jours après son opération, M. Gagnon commence à se sentir mal. On veut lui donner son congé, mais le patient ne veut pas.

D’après moi, il avait un feeling à l’intérieur que quelque chose ne marchait pas.

Richard Descôteaux, conjoint du défunt

On transfère M. Gagnon à l’hôpital Pierre-Boucher le 1er septembre pour qu’il y poursuive sa convalescence. Là-bas, un médecin réalise que son patient n’a jamais reçu de traitement d’anticoagulant. « Il en aurait eu besoin dès le jour 2 après son opération. Ça n’a pas été fait », dit sa fille.

Cinq jours après son opération, M. Gagnon reçoit une première dose d’anticoagulants à l’hôpital Pierre-Boucher. Mais il ne se sent pas mieux. Il éprouve une douleur à la poitrine. On lui fait passer d’autres examens et on réalise qu’un caillot s’est formé dans la valve.

M. Gagnon est transféré de nouveau à l’Institut de cardiologie de Montréal le 7 septembre pour qu’on procède au remplacement de sa valve aortique. « Il n’était pas content de devoir faire cette deuxième opération », témoigne M. Descôteaux.

« Il savait qu’une deuxième opération à cœur ouvert en deux semaines, c’était très risqué. Il savait qu’il y avait eu une erreur », ajoute Mme Gagnon.

M. Gagnon ne se réveillera jamais à la suite de sa deuxième opération. Des tests révéleront qu’il a fait plusieurs AVC durant l’intervention. Il meurt le 20 septembre. « J’étais à terre », dit M. Descôteaux. « Ce n’est vraiment pas ce qui était prévu », souffle Mme Gagnon.

Mécanismes de surveillance

La famille poursuit aujourd’hui en dommage l’Institut de cardiologie de Montréal et une spécialiste des soins intensifs pour 615 000 $. L’avocat qui les représente, MJean-Pierre Ménard, explique que l’opération subie par M. Gagnon est une intervention de routine pour l’Institut de cardiologie. « Mais ça demeure une opération sophistiquée. Une opération risquée. Il faut absolument vérifier toutes les étapes minutieusement. Et chacun a une responsabilité […] Une erreur médicale, c’est souvent le petit détail qui n’est pas fait comme il faut qui fait que ça dégénère », dit-il. Selon lui, le « système a fait défaut à plusieurs endroits » et M. Gagnon a « échappé aux mécanismes de surveillance ».

Me Ménard salue toutefois la collaboration de certains intervenants de l’Institut de cardiologie dans les démarches à ce jour. « Quand on ne collabore pas, on n’aide pas le système à s’améliorer », dit-il.

Pour Me Ménard, l’histoire de M. Gagnon constitue « un appel à la vigilance ». « Il n’y a pas de petites opérations », dit-il.

L’Institut de cardiologie n’a pas voulu commenter les évènements pour respecter la confidentialité du dossier. Le centre hospitalier assure toutefois procéder « à la déclaration de tout incident ou accident pouvant survenir ou étant survenu lors des activités de l’établissement » et mettre en place « des plans d’action concrets visant à éviter la récurrence d’évènements évitables ».

Mme Gagnon a formulé une plainte auprès de la commissaire aux plaintes et à la qualité des services de l’Institut de cardiologie de Montréal pour comprendre ce qui s’est passé. « Je voulais éviter que ça se reproduise. Et papa voulait savoir. Je voulais les faits », dit-elle.

Dans son rapport, la commissaire note que « toutes les personnes consultées » durant son enquête « se sont montrées extrêmement consternées, touchées et accablées » par la mort de M. Gagnon. Elle conclut à de « graves manquements ». Elle souligne que l’Institut de cardiologie a manifesté « une volonté ferme d’apporter les changements nécessaires ». Plusieurs mesures correctives ont été apportées depuis pour notamment améliorer les communications.