(Montréal) Le délicat sujet de l’aide médicale à mourir était de retour devant un tribunal québécois vendredi matin : Ottawa a tenté de convaincre un juge — pour une 2e fois — de lui accorder quelques mois de plus pour rendre sa législation conforme au jugement ayant élargi son accessibilité.

Si cette demande du fédéral est acceptée, cela signifie que des gens qui souffrent et attendent pour obtenir l’aide médicale à mourir devront encore… attendre.

Le juge Frédéric Bachand de la Cour supérieure a entendu la requête du fédéral vendredi matin, au palais de justice de Montréal.

Il croit être en mesure de rendre son jugement en début de semaine prochaine.

En septembre dernier, la juge Christine Baudouin de la Cour supérieure avait invalidé, et déclaré inconstitutionnels, les critères de la législation provinciale et fédérale exigeant que les citoyens soient en fin de vie, ou que leur mort soit raisonnablement prévisible, afin de pouvoir demander l’aide médicale à mourir.

Ce faisant, la juge avait ouvert l’aide médicale à mourir à un plus grand nombre de personnes, comme Jean Truchon et Nicole Gladu, ces deux Québécois atteints de graves maladies dégénératives incurables, qui ont mené cette bataille juridique au cours des dernières années.

La magistrate avait toutefois maintenu les lois valides pendant une période de six mois, afin de donner le temps aux gouvernements fédéral et provincial de les modifier de façon conforme à son jugement.

Dans l’intervalle, les critères empêchant certaines personnes de demander l’aide médicale à mourir demeurent valides.

Ottawa avait demandé un premier délai pour mener à bon port son projet de loi déposé en février — il avait alors expliqué que les élections fédérales avaient entraîné la suspension du Parlement — et l’a obtenu jusqu’au 11 juillet.

Il en veut maintenant un deuxième : cette fois-ci, il invoque la pandémie de la COVID-19, qui a aussi interrompu les travaux parlementaires, dont l’étude des projets de loi. Il demande cinq mois de plus, jusqu’au 18 décembre 2020.

« Cette fois, c’est la pandémie qui est la circonstance exceptionnelle qui justifie à elle seule la prorogation », a plaidé Me David Lucas, pour le Procureur général du Canada.

Le Parlement a besoin de temps pour étudier correctement le projet de loi, a-t-il plaidé, surtout pour un enjeu si important pour la société.

Et dans les faits, a-t-il indiqué, il ne s’agit que de 10 semaines de plus pour le Parlement, car il ne siégera pas avant le 21 septembre.

Le juge Bachand s’est inquiété de ne pas voir dans les documents du gouvernement fédéral un engagement ferme de sa part de faire adopter le projet de loi dans le délai demandé.

Après l’audience, Me Lucas a expliqué aux journalistes que le monde n’est pas à l’abri d’une seconde vague de la COVID-19 et que le gouvernement, étant minoritaire, ne contrôle pas tout.

Il a aussi plaidé que ceux qui ne peuvent pas attendre peuvent aller devant la Cour pour être autorisés à obtenir l’aide médicale à mourir, une possibilité donnée par la juge Baudouin dans son jugement.

De son côté, le gouvernement du Québec a plutôt choisi de ne pas toucher à sa « Loi concernant les soins de fin de vie », déclarant que le critère de « fin de vie » serait inopérant à partir du 12 mars. Ses avocats n’ont donc pas fait de représentations vendredi.

Les avocats de M. Truchon — qui s’est depuis prévalu de l’aide médicale à mourir — et de Mme Gladu n’ont pas contesté la demande de délai supplémentaire.

« On comprend le contexte de pandémie, qui est imprévisible. Mais cinq mois, c’est long », a fait valoir Me Jean-Pierre Ménard au juge.

Cela laisse des gens dans une position vraiment pénible, a-t-il dit.

Et si certains ont pu recevoir l’aide médicale à mourir avec l’autorisation du tribunal, ils ont dû payer les frais associés à une procédure judiciaire.

Le Collectif Mourir digne et libre souhaite que le juge dise non à cette demande de prolongation de cinq mois, « par humanité et compassion » pour ceux qui souffrent et qui attendaient le 11 juillet avec impatience. Un délai plus court de deux mois serait suffisant, juge-t-il.

Il suggère au comité parlementaire qui étudie le projet de loi de se réunir virtuellement cet été pour poursuivre son travail, afin qu’il soit prêt pour le début de la session en septembre.