La situation des enfants pris en charge par la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) ne s’est pas améliorée depuis la réforme du système de santé, en 2015. Au contraire, les délais d’attente se sont allongés et les problèmes de collaboration entre les établissements se sont multipliés.

C’est le constat d’échec que fait la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse dans un rapport de 105 pages déposé jeudi à l’Assemblée nationale.

Les listes d’attente pour évaluer un enfant qui fait l’objet d’un signalement auprès de la DPJ ont augmenté de 27,7 % depuis 2012, a affirmé Suzanne Arpin, vice-présidente de la Commission, en conférence de presse.

L’attente entre le signalement et le premier contact à l’évaluation dépasse tous les standards en vigueur.

Suzanne Arpin, de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

« La moyenne est de 21 jours pour les années 2017 à 2018, alors que le rapport Harvey [1988] recommande un délai de quatre jours », précise-t-elle. 

« Ces délais ne sont pas un problème théorique pour les enfants pris en charge par la DPJ. Ces lenteurs affectent le droit des enfants de recevoir des services dont ils ont besoin et auxquels ils ont droit. »

Mme Arpin a fourni quelques exemples à l’appui. En Estrie, la DPJ a reçu deux signalements en peu de temps au sujet de deux enfants. Le dossier n’a été évalué que six mois plus tard. Au Nunavik, le cas d’une jeune fille a été retenu après deux signalements. Le dossier était en attente quand la jeune fille a été trouvée morte d’hypothermie alors qu’elle avait les facultés affaiblies. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, un signalement a été retenu pour risque d’agression physique d’un enfant. Le dossier est resté en attente à l’évaluation pendant 23 jours. L’enfant a été trouvé mort.

Pour mener à bien ses travaux, la Commission a réalisé 20 entrevues avec des PDG, des directeurs de la protection de la jeunesse et des directeurs du programme jeunesse de cinq régions administratives du Québec.

Elle a aussi sondé 559 intervenants sociaux du réseau, des membres de l’Ordre des psychoéducateurs, de l’Ordre des travailleurs sociaux et de l’Ordre des criminologues.

Plus de 80 % de ces professionnels travaillaient pour la DPJ ou le programme jeunesse.

Elle a aussi interrogé 20 parents d’enfants pris en charge par la DPJ, et récolté des données du ministère de la Santé et des Services sociaux entre 2012 et 2018 sur les délais et les listes d’attente.

Son but était d’analyser les conséquences des fusions d’établissements de santé sur les services relatifs à la protection de la jeunesse. Le projet de loi 10 modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux a été adopté en 2015.

« À bout de souffle »

Les centres jeunesse se trouvent maintenant dans le même établissement que le reste des services de santé et des services sociaux offerts à la population. Ce changement devait faciliter la collaboration entre la protection de la jeunesse et tous les autres services.

Or, il n’en est rien. Non seulement les délais d’attente sont plus longs qu’avant, mais les fusions d’établissements de santé n’ont pas réglé les problèmes de collaboration qui existaient entre les centres jeunesse et les centres de santé et de services sociaux. Un CLSC a même refusé d’offrir des services à un enfant parce que celui-ci était en attente d’une évaluation de la DPJ, a dit Mme Arpin.

« L’encadrement déficient, la surcharge de travail et la pression du rendement affectent la prestation de services rendus aux enfants et à leurs familles », a résumé Philippe-André Tessier, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Philippe-André Tessier, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

On peut conclure que la réforme n’a pas amélioré la capacité du système de répondre aux besoins des enfants visés par la DPJ. Au contraire, la situation s’est détériorée sur plusieurs points.

Philippe-André Tessier, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

Selon Suzanne Arpin, la charge de travail des intervenants de la DPJ est plus lourde que jamais.

« Les intervenants sont à bout de souffle », a-t-elle dit.

Beaucoup sont même inquiets au sujet des services qu’ils rendent aux enfants. Ils ressentent une forte pression de rendement depuis les fusions et déplorent le manque de soutien et de supervision.

« La formation n’est pas homogène. Il n’y a pas de plan de formation obligatoire. Chaque établissement décide du contenu », a détaillé Mme Arpin.

« Pour les nouveaux employés, les problèmes sont particulièrement criants : manque de soutien, manque de formation, encadrement inadéquat. »