En mai dernier, Françoise Leblond a eu recours à l’aide médicale à mourir. L’infirmière de 59 ans de Lévis a par la même occasion fait don de ses poumons, de ses reins et de son foie.

C’est sa fille, Karine Desjardins, qui a informé Mme Leblond de la possibilité de faire un don d’organes à cette occasion. Mme Desjardins en avait entendu parler de façon fortuite au travail.

Parmi les patients acceptés pour l’aide médicale à mourir (AMM) depuis 2015 au Québec, 32 ont demandé de faire un don d’organes, et 23 ont pu le faire. Le prestigieux New England Journal of Medicine (NEJM) consacre le jeudi 6 février un article et un commentaire aux dons d’organes survenus lors d’AMM au Canada.

« Ma mère avait une maladie neurodégénérative depuis plusieurs années, et l’an dernier, elle a commencé à s’étouffer en mangeant », explique Mme Desjardins, qui est inhalothérapeute et habite aussi à Lévis.

« Elle a eu donc droit à l’aide médicale à mourir. Un jour, je travaillais avec le Dr Matthew Weiss de Transplant Québec, et il m’a demandé de corriger un texte sur le don d’organes et l’aide médicale à mourir. Je n’y avais jamais pensé avant. J’en ai tout de suite parlé à ma mère. »

L’élargissement de l’AMM devrait faire exploser le nombre de dons d’organes, au point que l’AMM pourrait représenter la source de la majorité des dons d’organes dans certaines catégories, selon un ancien directeur médical de Transplant Québec, Jean-François Lizé.

« Depuis deux ou trois ans, c’était prévisible que ça allait augmenter », dit le Dr Lizé, qui est maintenant chef des soins intensifs au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

Hôpitaux en région

Plusieurs des hôpitaux où des dons d’organes jumelés à l’AMM ont eu lieu n’avaient jamais fait de dons d’organes par le passé, puisqu’ils sont situés en région, selon le Dr Weiss, qui est directeur médical de Transplant Québec et coauteur de l’étude du NEJM. « Nos chirurgiens se déplacent n’importe où, mais avec l’AMM, on peut prévoir à l’avance », dit le Dr Weiss.

Chez les patients qui n’ont pas pu donner d’organes, dans la plupart des cas, c’était parce qu’ils étaient trop abîmés, selon le Dr Weiss. « Mais il y a des gens qui ne voulaient pas faire l’AMM en bloc opératoire, ce qui est nécessaire pour les dons d’organes. Il faut aussi des tests, des visites à l’hôpital qui peuvent être douloureuses pour les patients en fin de vie. » Les proches peuvent être présents au bloc opératoire, mais doivent revêtir des combinaisons vertes stériles.

Françoise Leblond a pu exceptionnellement passer de vie à trépas dans une chambre d’hôpital ordinaire. « Je venais d’être nommée au bloc opératoire, dit Mme Desjardins. Ils ont fait ça pour ne pas que je reste trop traumatisée chaque fois que j’allais travailler. On a pu être habillés en civil. »

Pressions

Le commentaire accompagnant l’étude dans le NEJM souligne qu’un équilibre délicat doit être trouvé entre, d’une part, la nécessité d’éviter qu’un patient renonçant à la dernière minute à l’AMM se sente obligé d’aller de l’avant vu les préparatifs importants entourant le don d’organes et, d’autre part, les obstacles à la volonté d’un patient de donner ses organes à la suite de l’AMM.

Un bioéthicien cité par le commentaire, Robert Truog, de l’Université Harvard, souligne que l’inquiétude à propos de pressions indues existe pour tous les dons d’organes. « La solution a été d’améliorer les procédures de consentement pour limiter ce risque », dit le Dr Truog. L’évaluation serrée des patients demandant l’AMM amenuise le risque.

Les Drs Lizé et Weiss soulignent que l’évaluation de l’AMM se fait préalablement et de manière indépendante. Que se passerait-il avec un patient admissible à l’AMM mais qui n’envisage d’y recourir qu’après avoir entendu parler de la possibilité de don d’organes ? « On peut imaginer un cas de figure avec un patient qui veut donner un organe à sa fille, dit le Dr Lizé. Mais s’il a aussi d’autres raisons d’avoir l’AMM, il pourrait y être admissible. »

Le don d’organes a-t-il eu un impact sur la manière dont les proches de Mme Leblond ont vécu son AMM ? « Tout le monde l’appuyait, ma mère, c’était une boule d’énergie, dit Mme Desjardins. On avait déjà discuté qu’on ne voulait pas vivre nos jours en fauteuil roulant. Elle n’était plus capable de marcher, ce n’était pas une vie qu’elle souhaitait. »

Depuis, la famille de Mme Desjardins a su que tous les organes avaient pu être utilisés et que les receveurs se portaient bien.

En chiffres

62 % des demandes de don d’organes liées à l’aide médicale à mourir ont été approuvées au Québec

2 patients ont fait un don d’organes lié à l’aide médicale à mourir au Québec en 2017

8 patients ont fait un don d’organes lié à l’aide médicale à mourir au Québec en 2018

13 patients ont fait un don d’organes lié à l’aide médicale à mourir au Québec en 2019

Source : Transplant Québec