Des enfants se retrouvent en danger et hospitalisés – parfois aux soins intensifs – parce que Québec ne prend pas la peine de dépister leur maladie grave à la naissance, contrairement au reste du Canada et aux États-Unis.

L’accusation vient de parents et d’associations de patients, qui pressent le gouvernement de rattraper son retard. On dépiste jusqu’à sept fois moins de maladies au Québec que dans le reste de l’Amérique du Nord, d’après les données compilées par La Presse (voir tableau ci-contre).

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) dit s’être donné des critères plus rigoureux qu’ailleurs pour analyser la pertinence des tests.

Laisser un enfant risquer la mort ou des handicaps irréversibles – alors qu’un traitement existe et pourrait l’éviter – est injustifiable, rétorquent ceux qui luttent depuis des années pour élargir le Programme québécois de dépistage néonatal.

« L’an dernier, un bébé est mort à Sherbrooke », dénonce Geneviève Solomon, coordonnatrice de l’Association des patients immunodéficients du Québec.

Les nouveau-nés atteints de la forme la plus grave de la maladie appelée syndrome d’immunodéficience combinée sévère (SCID) ne produisent pas d’anticorps et ne peuvent donc se défendre contre les infections – à moins de subir une greffe de moelle osseuse, qui peut les guérir. Le bébé de Sherbrooke ne l’a pas reçue à temps. Il faut agir très vite pour que la greffe fonctionne, avant la première infection, explique Mme Solomon. Autrement, le taux de survie chute de façon draconienne. « On a des hospitalisations à répétition, des séjours aux soins intensifs et des coûts astronomiques », dit-elle.

Pour nous, c’est complètement absurde à tous les points de vue de ne pas faire de dépistage.

Geneviève Solomon, coordonnatrice de l’Association des patients immunodéficients du Québec

Juste à côté du Québec, l’Ontario dépiste ce syndrome à la naissance depuis des années. Et depuis un mois, il dépiste aussi l’amyotrophie spinale, qui détruit les cellules responsables des mouvements, ce qui cause la paralysie et la mort, parfois en quelques mois.

L’apparition d’un traitement injectable – le tout premier – a motivé le gouvernement ontarien à repérer ce trouble génétique, qui frappe environ 15 bébés par année sur son territoire. « Le test proposé a été rigoureusement validé et est très précis », note le site web du programme.

Québec reconnaît l’utilité de traiter les bébés atteints d’amyotrophie spinale avant l’apparition de leurs symptômes et paie leurs injections coûtant 350 000 $ par an. Mais 14 mois plus tard, il ne dépiste toujours pas la maladie à la naissance.

Ça génère des handicaps qui vont ensuite coûter très cher. C’est contraire à la politique d’usage optimum des médicaments.

Yan Défossés, père d’un enfant qui souffre d’amyotrophie spinale

En 2017, Québec a décidé de dépister la fibrose kystique après toutes les autres provinces – même si la prévalence de cette maladie est plus forte dans la province que partout ailleurs en Amérique du Nord.

« Ça prend des années de pressions de la part des associations et des médecins pour que le Québec avance », déplore la présidente du Regroupement québécois des maladies orphelines, Gail Ouellette.

Plus de mal que de bien ?

Pourquoi cette lenteur ? « Quand un dépistage est “à la mode”, on préfère attendre quelques mois ou une année ou deux avant de se lancer », répond en entrevue le Dr Guy Roy, de la Direction de la prévention clinique, de la santé dentaire et des dépistages au ministère de la Santé.

Des pays comme la France et la Grande-Bretagne dépistent un peu moins de maladies que le Québec, malgré les pressions qui s’y exercent aussi.

Les États-Unis sont à l’autre extrême. Ils sont prêts à faire du dépistage dès qu’une technologie existe et influencent beaucoup le Canada. Au Québec, les critères d’analyse sont plus serrés et on est très confortables [avec ça].

Le Dr Guy Roy

Dépister certaines maladies peut faire plus de mal que de bien, expose l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) dans une fiche-synthèse publiée il y a cinq mois. Les risques ? Obtenir des résultats anormaux par erreur chez des bébés sains ou détecter des formes bénignes de maladies.

Les familles alertées à tort vivront « du stress, de l’anxiété, une relation parent-enfant altérée, des préoccupations persistantes concernant la santé et l’avenir de l’enfant et une surmédicalisation », dit le document. Ratisser trop large pourrait par ailleurs « conduire à un engorgement des services spécialisés au détriment de patients [vraiment atteints] ».

Ces arguments sidèrent Geneviève Solomon, de l’Association des patients immunodéficients. « Soigner les symptômes sans chercher la cause, ça engorge beaucoup plus, lance-t-elle. Et l’errance diagnostique, qui peut durer des années, cause des troubles psychosociaux immenses sur l’enfant, ses parents, ses frères et sœurs et toute la famille élargie. »

Des ajouts imminents ?

Parfois, dépister une maladie à la naissance ne permet pas d’améliorer la santé de l’enfant, plaide le Dr Roy. On peut aussi manquer de preuves à cet effet.

Si très peu de malades ont la chance de bénéficier d’une intervention précoce – parce que leur trouble frappe peu de gens et est difficile à diagnostiquer –, on a du mal à avoir la certitude scientifique que cette intervention fait une différence. Surtout quand la maladie ne touche pas ses victimes avec la même intensité chaque fois.

« Pour certains troubles précis [les syndromes de Hunter, de Hurler et de Pompe], il est toutefois très, très clair que plus on traite tôt, meilleur est le résultat, que ça fait vraiment une énorme différence, estime le Dr John Mitchell, endocrinologue à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Je pense que nous devrions dépister ceux-là. » 

On saura d’un jour à l’autre si neuf nouveaux tests de dépistage néonatal – déjà offerts à l’extérieur du Québec – seront ajoutés ou non par la ministre de la Santé. L’INESSS, qui la conseille, publiera son rapport ce mois-ci, indique le Dr Guy Roy.

Mais cet avis ne concerne ni l’amyotrophie spinale ni le syndrome d’immunodéficience combinée sévère. Le Ministère a demandé à l’INESSS d’analyser la pertinence de les dépister, mais ne peut confirmer si cela sera fait cette année, puisque cela dépend, dit-il, de la charge de travail de l’organisme.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La généticienne Gail Ouellette

On peut aujourd’hui dépister des dizaines de maladies avec la même goutte de sang. Les tests de dépistage ne coûtent donc pas très cher, souligne la généticienne Gail Ouellette. « Mais les services de génétique pour ces maladies manquent déjà d’infirmières et de nutritionnistes. Le gouvernement ne veut pas ajouter d’infrastructures. »

En chiffres

1839

Nombre d’enfants qui ont vu leur maladie identifiée grâce au Programme québécois de dépistage néonatal, puis confirmée, de 1969 à 2017.

En 2017...

81 860 bébés nés au Québec ont participé au dépistage

95 bébés ont vu leur maladie identifiée et confirmée

71 bébés ont reçu un résultat faussement positif (anormal)

Où dépiste-t-on le plus de maladies à la naissance en Amérique du Nord ?

États-Unis : de 31 à 70 maladies, selon les États
Manitoba : plus de 40
Saskatchewan : plus de 30
Ontario : 24
Colombie-Britannique : 24
Alberta : 21
Provinces maritimes : 20
Québec : 10 dans le sang et 5 dans l'urine

Note : Deux maladies que l’INESSS a recommandé à Québec de dépister en septembre 2019 ne le sont pas encore, et cinq maladies jadis dépistées dans l’urine ne le sont plus du tout.

Sources : sites des programmes de dépistage néonatal des différentes provinces, aide-mémoire du programme québécois du CHU de Québec-Université Laval, babyfirsttest.org