La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) accuse le gouvernement Legault de vouloir « d’un coup de baguette magique » trancher le « débat épineux » de l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladies mentales.

Dans une lettre ouverte obtenue par La Presse, la présidente de la FMSQ, la Dre Diane Francoeur, déplore que Québec veuille « se conformer d’un trait de plume à ses obligations légales dans la foulée du jugement sur le cas Gladu-Truchon ». « Mais les choses ne peuvent être aussi simples », affirme la Dre Francoeur.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

La Dre Diane Francoeur, présidente de la FMSQ

Mardi, Québec a annoncé que dès le 12 mars, le critère de fin de vie imminente ne serait plus appliqué pour les personnes désirant obtenir l’aide médicale à mourir (AMM). Le gouvernement répondait ainsi au jugement de la Cour supérieure du Québec, dans le cas Gladu-Truchon, rendu il y a quatre mois.

Le tribunal a donné un délai de six mois à Québec et Ottawa pour modifier leurs lois respectives.

Le retrait du critère de « fin de vie » dans la loi québécoise a comme conséquence que les personnes souffrant de problèmes de santé mentale seront dorénavant admissibles à l’AMM.

Selon la FMSQ, rendre accessible l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de maladies mentales provoque un « immense malaise dans la société québécoise ». La FMSQ déplore que « pour faire l’économie d’un débat de société, le gouvernement vien[ne] plutôt de créer une mer d’incertitudes ».

La FMSQ estime que plusieurs questions peuvent être posées, par exemple : « [À] quel moment une personne diagnostiquée bipolaire ou en dépression pourrait-elle être considérée [comme] apte à décider que sa vie ne vaut plus la peine d’être vécue ? »

Consultations insuffisantes

Jeudi, la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, a annoncé qu’une journée de consultation publique aurait lieu à la fin du mois de février sur la question de l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladies mentales. Si le nombre de personnes voulant participer à l’exercice est trop élevé, le cabinet de la ministre n’écarte pas la possibilité de tenir plus d’une journée de consultation.

On ajoutera également des consultations en ligne, a promis Mme McCann.

Cette consultation s’ajoutera à celle que mènera la Commission sur les soins de fin de vie au début de février auprès des personnes atteintes de troubles de santé mentale, des proches de personnes touchées et des organismes les représentant. 

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Danielle McCann, ministre de la Santé et des Services sociaux

Il faut entendre la population et procéder avec la société.

Danielle McCann, ministre de la Santé et des Services sociaux

Mais pour la Dre Francoeur, cette consultation n’est pas suffisante. Selon elle, il faut « que tous puissent s’exprimer, et pas seulement durant une journée ou deux ».

« Sinon, on fait porter une responsabilité beaucoup trop grande sur les épaules des médecins. En effet, c’est aux médecins que revient le geste gravissime de provoquer la mort. Ils ont besoin de l’avis de la population. Ils ont besoin de saisir le consensus populaire, malgré la très grande émotivité qui entoure ce débat, écrit la Dre Francoeur. Les médecins spécialistes veulent une vraie discussion publique sur la question. Ils veulent contribuer à éclairer le débat et ainsi assurer à tous les Québécois une fin de vie digne et décente. »

Il faut plus de temps, plaide l'opposition

La députée péquiste, Véronique Hivon, qui est la marraine de la Loi concernant les soins de fin de vie, réclame que Québec demande un sursis à la Cour supérieure du Québec, dans l’affaire Gladu-Truchon, pour « bien faire les choses ».

Elle croit « qu’à la lumière de l’approche » qui ouvre la porte aux patients atteints de maladies mentales, et avec le Collège des médecins qui estime qu’il lui sera difficile de livrer le guide de pratique encadrant la question avant le 12 mars prochain, il « est clair qu’il faudra avoir plus de temps ».

Il faut être conscient que lorsque l’on touche à des enjeux aussi complexes et sensibles que ceux-là, le temps, c’est parfois un allié.

Véronique Hivon, députée du Parti québécois

« Les médecins, ç’a déjà été extrêmement difficile [avec l’aide médicale à mourir] et ce n’est pas une pratique généralisée, et donc amener la maladie mentale, avec une controverse dans la population et sans débats publics, et vous allez faire fuir les médecins. C’est beau de dire qu’il faut faire vite, mais il faut que ça marche. »

Elle propose une autre avenue, soit que l’on procède par exemple à l’adoption d’une loi spécifiquement pour encadrer l’aspect de la maladie mentale, complémentaire à la loi actuelle.

Véronique Hivon demande que la commission parlementaire de la santé et des services sociaux soit saisie d’un mandat d’initiative, ce qui permettra la tenue de consultations à l’Assemblée nationale.

Québec solidaire et le Parti libéral du Québec ont aussi réclamé des consultations afin de préserver l’« acceptabilité sociale » dans la population, a notamment soulevé le député Gaétan Barrette, taxant la ministre McCann de « légèreté » dans le maniement de ce dossier.

Ottawa n’a, de son côté, pas encore écarté la possibilité de demander un délai au tribunal. Si cela devait être le cas, cela voudrait dire que le critère « de mort raisonnablement prévisible » de la loi fédérale resterait en vigueur même au Québec, et ce, malgré l’abandon du critère de « fin de vie » dans la loi québécoise.

Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, ne croit pas que Québec va trop vite. « C’est différent, ils travaillent dans le domaine de leur compétence, c’est-à-dire la santé. Et ils n’ont que le Québec. Mais au fédéral c’est différent parce que nous, nous devons travailler à des modifications au Code criminel », a-t-il illustré.