(Montréal) La petite Théa Liv McDuff-Robidoux célébrera son troisième mois de vie le 25 décembre, elle qui est née au CHU Sainte-Justine le 25 septembre.

Elle célébrera cet anniversaire, et son premier Noël, entourée de ses parents, mais aussi des membres du département des soins intensifs de l’hôpital pédiatrique montréalais, d’où elle n’est pas sortie depuis le jour de sa naissance.

« On voit tout le monde qui vit la magie, tout notre entourage qui est heureux, tous les gens dans les rues sont souriants, il y a la magie et la frénésie du temps des Fêtes, mais nous, on a un peu de la misère à le vivre », a admis la maman de Théa, Vanessa McDuff.

Mme McDuff et son conjoint, Jonathan Robidoux, ont appris dès la 21e semaine de grossesse que Théa souffrait d’une hernie diaphragmatique, une malformation congénitale qui signifie que la portion gauche de son diaphragme est absente ; conséquemment, son estomac, ses intestins et une partie de son foie sont montés dans sa cage thoracique, empêchant ses poumons de se développer normalement.

La capacité pulmonaire de Théa est à ce moment de seulement 17 % et ses chances de survie sont estimées à environ 20 %. À 28 semaines de grossesse, Mme McDuff se rend à Toronto pour une intervention chirurgicale in-utéro expérimentale, pendant laquelle un ballonnet est installé dans la trachée de Théa pour aider au développement de ses poumons. Sept semaines plus tard, le ballonnet est retiré et le couple rentre à la maison. La capacité pulmonaire de Théa est alors de 40 %.

Cinq jours après sa naissance, les chirurgiens qui tentent de réparer la hernie découvrent que le problème est encore plus grave qu’on le pensait. Quarante-huit heures plus tard, l’état de santé de Théa se dégrade rapidement et elle est envoyée aux soins intensifs. Certains employés doutent toujours de sa survie.

« On est passés proches de la perdre à quelques reprises, mais là c’est stable, ça va mieux et ça va bien, a dit Mme McDuff. On découvre une petite fille super souriante, super attachante et tout, mais c’est loin d’être l’idéal. On a toujours cette arrière-pensée-là, on ne veut pas être trop heureux ou trop tristes non plus, parce qu’on veut profiter de chaque instant, mais c’est certain que Noël sera plus difficile. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

L'hôpital pour enfants Sainte-Justine

Douze ans aux soins intensifs

Les douze années de sa carrière d’infirmier à Sainte-Justine, Bryan Provost les a passées au département des soins intensifs, où il est aujourd’hui Chef de soins et soins critiques.

Des Noëls en compagnie des petits patients les plus malades du centre hospitalier, il en a vu plus d’un.

« On essaie de faire en sorte que ce soit très humain, qu’on oublie un peu qu’on est dans un environnement de soins, a-t-il dit. On essaie de minimiser au maximum l’impact de tous les traitements que l’on doit faire, pour leur permettre d’avoir des moments en famille, de pouvoir même s’habiller, de pouvoir prendre un repas avec des gens qu’ils connaissent et qu’ils aiment. Souvent, les infirmiers et les infirmières qui travaillent vont participer et vont s’impliquer, parce qu’on connaît très bien les familles. »

Les préparatifs commencent quelques semaines avant Noël. Les bénévoles de l’hôpital s’activent, des événements sont organisés et des cadeaux sont prévus. Quelques jours avant Noël, un fonds créé par la famille d’un enfant qui a longtemps séjourné aux soins intensifs avant de décéder offre aux parents l’occasion de partager un repas avec leurs proches et d’oublier un instant leur réalité quotidienne.

Les règles concernant les visites sont assouplies. Les parents sont généralement présents auprès de leur enfant, sauf s’ils en sont empêchés par l’éloignement géographique ou par d’autres obligations familiales.

« Quand les parents ne sont pas présents, les infirmiers et les infirmières sont d’autant plus présents auprès de ces enfants-là, a dit M. Provost. Si on peut les sortir de leur chambre, s’amuser avec eux dans les corridors, c’est quelque chose qu’on fait vraiment beaucoup. […] J’ai même vu à quelques reprises des infirmières s’organiser pour qu’on puisse faire un FaceTime avec les parents pour que la famille voie l’enfant qui était demeuré aux soins. [On essaie] d’offrir le plus de choses possible pour rendre ça un peu moins difficile et enlever le sentiment de culpabilité que ces familles-là peuvent avoir. »

Traditions chamboulées

Les traditions de Noël du couple McDuff-Robidoux ressemblent habituellement à celles de milliers d’autres familles québécoises : on bouge beaucoup, on profite des congés de tout le monde pour voir nos proches, on va au chalet et on prend l’air.

« J’ai 25 ans et j’ai encore ce petit moment, le matin du 25 [décembre], de découvrir mes cadeaux en dessous du sapin de mes parents, et cette année je ne l’aurai pas et ma fille ne l’aura pas non plus, a dit Vanessa McDuff. [Les traditions] vont être mises en veilleuse cette année. On espère l’année prochaine pouvoir le faire, on pense pouvoir le faire. La sortie n’est pas si loin, même s’il reste encore plusieurs pas à faire avant de pouvoir partir. Nous sommes quand même assez optimistes. »

Même si son conjoint et elle font preuve d’une sérénité et d’un courage admirables, la jeune femme admet qu’ils sont un peu « fâchés » d’être encore aux soins intensifs trois mois après la naissance de Théa.

« On ne pensait peut-être pas que ça serait aussi long, on pensait peut-être revenir à la maison pour Noël, a-t-elle avoué. C’est difficile, ce n’est pas la situation idéale, on aurait aimé ça passer son premier Noël à la maison en famille comme une petite famille normale, mais c’est certain que les soins [intensifs] font tout pour nous rendre le plus à l’aise possible et que ce ne soit pas le pire temps de l’année pour nous. »

Le couple passera les trois jours de Noël aux côtés de Théa. Il profitera possiblement du salon des parents pour bruncher avec des proches venus fêter un peu avec lui, dans des circonstances pour le moins particulières.

« C’est certain que ce ne sera pas le Noël qu’on est habitués d’avoir, a dit Mme McDuff. On va essayer de le rendre le plus merveilleux possible. On a acheté une petite robe pour Théa. On va se mettre beaux. On va faire des photos de famille. On va essayer de pouvoir garder des souvenirs pour pouvoir lui dire, "Regarde Théa, c’est ça que tu as fait à l’hôpital, ce n’est pas aussi plate ou aussi dramatique que ça". C’est le fun d’avoir ces petits souvenirs-là et de dire que le premier Noël de mon bébé a été passé dans une ambiance pas si triste. »

Un choix personnel

Certains employés lèvent d’emblée la main quand on sollicite des volontaires pour travailler à Noël.

« Il y a des gens qui choisissent d’être présents à Noël parce que l’ambiance ici sur l’unité et ce qu’on permet de faire à Noël plaît beaucoup à certains employés, ils sont très investis dans le bien-être des patients et dans ce qu’on offre », a expliqué Bryan Provost.

Il fait partie de ceux qui ont passé cette période magique dans les couloirs de l’hôpital.

« C’est certain qu’une partie de moi s’ennuyait un peu de ma famille, parce que ma famille à moi est loin et que c’est difficile de s’imaginer loin de sa famille, mais quand on se compare avec ce que ces familles-là vivent, et dans quelle situation elles sont placées, c’est un petit mal par rapport à ce qu’on peut percevoir chez les autres », a-t-il dit.

La reconnaissance que les employés reçoivent des patients et de leurs parents rend l’expérience d’autant plus agréable, ajoute-t-il. Le simple fait d’être inclus dans une photo de famille fait chaud au cœur, par exemple.

« J’ai toujours apprécié ça et ça a toujours été très valorisant de recevoir la reconnaissance de ces familles-là, et à la fin de ma journée ou à la fin de mes deux journées, je me disais toujours qu’encore une fois j’avais fait quelque chose de grand et de beau, et que ça allait un jour me revenir », a indiqué M. Provost.

« Comme des pros »

Quand on demande à Mme McDuff et à M. Robiboux comment ils envisagent leur prochain Noël avec Théa, en 2020, ils tardent à répondre. Peut-être un voyage à DisneyWorld, finissent-ils par laisser tomber.

Mais dans les faits, toute leur énergie est concentrée sur le moment présent, dans l’espoir de pouvoir ramener leur bébé à la maison au début de l’an prochain.

« Il faut développer nos petites traditions à nous, notre petite famille, voir comment ça va fonctionner, a expliqué Mme McDuff. Simplement le retour à la maison va être différent de ce qu’on s’était imaginé […]. Ça va être plus difficile que ce qu’on aurait pu imaginer, mais on va essayer de se créer de belles traditions à nous dont elle va se rappeler toute sa vie et elle pourra dire,"wow, mes parents ont tellement fait ça comme des pros, ils ont tellement rendu mon enfance merveilleuse"… C’est ça, notre objectif. »

Quelques heures après notre entretien, Mme McDuff a envoyé à La Presse canadienne un courriel émouvant qui témoigne de manière éloquente de la résilience du couple, de l’attitude qui lui permet d’affronter cette épreuve.

« Nous n’aurons pas la chance d’être à la maison pour Noël, mais nous avons celle d’avoir notre fille en vie, a-t-elle écrit. Elle est l’un des miracles de Sainte-Justine. Elle est un bébé calme, intelligent et curieux. Elle adore les promenades en poussette dans les corridors des soins intensifs et s’esclaffe devant son singe orange. On ne pourrait être plus reconnaissants. Évidemment, passer le temps des fêtes à l’hôpital n’est pas parfait, mais si c’est le prix à payer pour passer le prochain en famille, soit.

« Noël aux soins, c’est l’espoir, le courage et l’amour des enfants. La magie est différente, mais elle y est. »