Ils passent leurs journées à vivre des drames qui font rarement les manchettes. La Presse a pu suivre le quotidien d’ambulanciers paramédicaux d’Urgences-santé, qui souligne ses 30 ans d’existence cette année et dont les employés réalisent en moyenne 767 interventions par jour sur le territoire de Montréal et de Laval.

« J’aime l’action et l’adrénaline »

Mario Brunet, 42 ans, travaille depuis 14 ans chez Urgences-santé. Après avoir été ambulancier paramédical, il est devenu superviseur l’hiver dernier. Il travaillait dans des usines avant de décider d’aller suivre son cours pour devenir ambulancier paramédical, à l’âge de 25 ans. « Je n’avais pas de fun à travailler dans une usine, ce n’était pas pour moi. Mon histoire est courante : j’ai choisi de devenir ambulancier paramédical parce que j’aime aider les gens, j’aime l’action et l’adrénaline. » Les appels qui le marquent le plus, dit-il, sont ceux qui concernent des patients dans des CHSLD, parfois laissés à eux-mêmes. « Ça peut arriver qu’ils appellent une ambulance juste pour avoir quelqu’un avec qui parler. »

Une chute douloureuse

Première intervention : une jeune femme a fait une chute dans un escalier au Centre du commerce mondial, au centre-ville de Montréal. Sa cheville lui fait mal, et elle ne peut pas se relever. Les ambulanciers paramédicaux Karl Vincent et David Delisle-Leblanc utilisent une civière chaise pour la ramener au rez-de-chaussée, puis la transfèrent dans une civière roulante pour la transporter jusqu’à l’ambulance, stationnée dans la rue McGill. La patiente est envoyée à l’hôpital Notre-Dame. « L’environnement public est souvent propre, note Mario Brunet. Quand on intervient chez les gens, on ne sait jamais ce qu’on va trouver. Ça va du manoir avec des planchers polis comme des miroirs au logement insalubre infesté de punaises de lit. »

Entre routine et drames 

Le quotidien des ambulanciers paramédicaux peut être imprévisible, mais il comporte aussi une bonne dose de routine. « Nous transportons beaucoup de personnes âgées. Nous avons aussi souvent des cas d’intoxication ou de surdose, et beaucoup de personnes en situation d’itinérance. Je dirais qu’environ 10 % des appels sont très intenses. » Bon nombre d’appels concernent aussi des situations qui ne sont pas urgentes, comme des gens qui ont le rhume ou font de la fièvre. « On dirait que les gens oublient que le 811 existe, alors par réflexe ils font le 911. Cela dit, s’ils demandent d’aller à l’hôpital, on doit les y conduire. C’est la loi. »

Un touriste mal en point

Deuxième intervention : un homme éprouve une faiblesse et a mal à la poitrine, à la gare Centrale. Les ambulanciers paramédicaux Audrey Dumaine et Georges Benjamin le repèrent près des bureaux de la sécurité. L’homme est un touriste allemand qui parle peu l’anglais. Les ambulanciers paramédicaux l’installent sur leur civière et le transportent dans l’ambulance, où ils lui font subir un électrocardiogramme, pendant que la femme qui l’accompagne essuie des larmes. « C’est le résultat de l’électrocardiogramme qui déterminera dans quel hôpital il sera envoyé, explique Mario Brunet. Si les résultats sont mauvais, il a plus de chances d’être envoyé dans un endroit spécialisé comme le CHUM. » Finalement, les ambulanciers contactent le CHUM, qui accepte de recevoir le patient.

Triés de 0 à 7

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Durant la journée, environ 105 ambulances sillonnent les rues de Montréal et Laval. Le soir, leur nombre tombe à 60, et à 40 la nuit.

Durant la journée, environ 105 ambulances sillonnent les rues de Montréal et Laval. Le soir, leur nombre tombe à 60, et à 40 la nuit. « Urgences-santé reçoit plus de 400 000 appels par année, soit environ 1100 appels par jour et ça se traduit par près de 800 transports de patients par jour. On n’arrête jamais », dit M. Brunet. Les appels sont d’abord triés par le répartiteur médical d’urgence dans une grille de priorité allant de 0 à 7. Les cas 0 et 1 sont les plus urgents, et nécessitent souvent sirènes et gyrophares. À l’opposé, des cas 7 peuvent être remis à plus tard si un cas plus urgent survient.

Tout ce qui va mal

Regarder Montréal avec les yeux d’un ambulancier paramédical est comme posséder un superpouvoir, une sorte de rayon X qui permet de voir tout ce qui va mal à ce moment précis. Récemment, un après-midi, on pouvait voir sur leur écran qu’à Beaconsfield un homme était tombé d’une échelle. Dans Côte-des-Neiges, un homme était en arrêt cardiorespiratoire et son fils lui faisait un massage cardiaque. Un camion était entré en collision avec une mobylette près de l’entrée du pont Jacques-Cartier. Une femme à haut risque de faire un arrêt cardiaque était inconsciente après avoir fait une chute dans une maison à Anjou. Une femme dans la soixantaine s’était fait mordre par un chien à l’aéroport international Montréal-Trudeau.

Difficultés respiratoires

Troisième intervention : une femme âgée atteinte de démence qui habite sur la rue Saint-Mathieu, au centre-ville, a des difficultés respiratoires. Nous sommes à l’heure de pointe en après-midi, et les dizaines et dizaines d’automobilistes immobiles obstruant le boulevard René-Lévesque réagissent à peine lorsque Mario Brunet actionne les sirènes. Les ambulanciers paramédicaux Vincent Gagnon et Natasha Segreti sont sur place lorsque nous arrivons dans le grand appartement situé au 11e étage d’un immeuble d’habitation.

« Ne paniquez pas »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Mme Karatolia lance de puissants gémissements durant le transfert, mais cesse peu après lorsque sa partenaire la rassure et lui dit que « ça va aller ».

La patiente se nomme Irène Karatolia. Pauline Maroulis, sa partenaire de longue date, annonce aux ambulanciers que Mme Karatolia protestera sans doute lorsqu’ils la transféreront de son lit à la civière. « Elle va crier, mais ne paniquez pas », dit-elle, pendant qu’un gros téléviseur diffuse l’émission Judge Judy. Mme Karatolia lance de puissants gémissements durant le transfert, mais cesse peu après lorsque sa partenaire la rassure et lui dit que « ça va aller ».

Émue

Après avoir descendu la patiente en ascenseur, l’ambulancière paramédicale Natasha Segreti confie avoir été émue par cette intervention, qui a duré moins d’une heure. « C’est la première fois que je vois un couple de femmes qui se soutiennent depuis des décennies, et ça me touche parce que, moi aussi, je suis homosexuelle, dit-elle. On est chanceux de vivre à Montréal, au Canada, où tout cela est possible. J’adore mon métier. Je ne changerais de métier pour rien au monde. »