Le nombre d’échographies payées par le système de santé de la province a bondi de près de 30 % en deux ans et a fait grimper la facture pour ce type d’examen à 133 millions de dollars. Une hausse qui cache un véritable « drame », selon la présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, la Dre Diane Francoeur, qui craint un exode des technologues du secteur public vers les cabinets privés.

En décembre 2016, le précédent ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a élargi la couverture publique des échographies afin que les examens faits en cabinet privé soient payés par l’État. Depuis, le nombre d’échographies réalisées en cabinet ne cesse d’augmenter et a atteint 541 565 en 2018, révèlent les données fournies par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) à La Presse.

Le Dr Vincent Oliva, président de l’Association des radiologistes du Québec, qualifie la hausse du nombre d’échographies au Québec de « bar ouvert ». « C’est quasiment un puits sans fond », dit-il.

Le Dr Oliva note que dans tout système de santé public, entre 20 % et 25 % des examens effectués sont « non essentiels ». « Et c’est encore plus vrai en échographie », dit-il.

Sur le terrain, la non-pertinence de certaines échographies fait beaucoup jaser, affirme la présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), Carolle Dubé. Un constat partagé par les radiologistes. Le Dr Oliva souligne par exemple que les radiologistes reçoivent des demandes pour évaluer des problèmes de douleurs à l’abdomen avec une échographie « alors que ce n’est pas nécessairement l’examen recommandé pour ça ». Le Dr Oliva précise que ces demandes viennent « noyer les demandes plus pertinentes ».

La pertinence des soins est un enjeu qui préoccupe le ministère de la Santé. À un point tel qu’une nouvelle « structure de gouvernance » sur la pertinence clinique en santé physique sera créée, a appris La Presse. Cette structure sera formée de trois comités auxquels siégeront notamment le Collège des médecins, l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux de même que les fédérations médicales. Le projet, présenté le 15 mai au comité de gestion du réseau par la sous-ministre adjointe Lucie Opatrny, se concrétisera dès l’automne.

Pénurie importante de personnel

Sur le terrain, une des conséquences de l’élargissement de la couverture des échographies est l’exode de technologues vers les cabinets privés, selon la Dre Francoeur. Pour elle, cet exode est un véritable « drame ».

« La crise des ressources humaines, elle est immense. » — La Dre Diane Francoeur, présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec

Une salle d’angiographie a dû être fermée une fin de semaine au CHU Sainte-Justine par manque de technologues, affirme la Dre Francoeur, qui pratique dans cet établissement. « Si on ne fait rien, les hôpitaux devront fermer des salles le soir ou les fins de semaine. Mais où vont les patients ces jours-là ? À l’hôpital », dit-elle.

Le Dr Oliva note lui aussi le problème d’exode du personnel. « Au CHUM, il manque 20 technologues actuellement », dit-il. Le Dr Oliva explique que pour répondre à l’explosion de la demande pour des échographies, les cabinets recrutent activement des technologues. « C’est la course aux technologues d’échographie. » La perte de personnel force le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) à ne pas exploiter à 100 % sa capacité en radiologie, note le Dr Oliva.

Si elle constate elle aussi l’exode des technologues vers le privé, Mme Dubé est incapable de chiffrer le phénomène. « Le Ministère doit nous fournir des chiffres à ce sujet sous peu, dit-elle. Mais on en entend beaucoup parler. Surtout du fait que ce sont souvent des gens très qualifiés qui quittent les hôpitaux pour les cabinets », dit-elle.

Mme Dubé ajoute que souvent, ce sont les cas les plus faciles qui se retrouvent au privé. « Les cas plus complexes se retrouvent à l’hôpital, ce qui alourdit encore plus le travail et favorise encore plus l’exode », affirme Mme Dubé, qui parle d’un « cercle vicieux ».

Rémunération en hausse

Au début de mai, Le Journal de Montréal a révélé que de 2016-2017 à 2017-2018, la rémunération brute des radiologistes a augmenté de 120 000 $ par année, pour atteindre 835 317 $ en moyenne. Une somme qui inclut les coûts de fonctionnement des cabinets (environ 150 000 $ par année en moyenne). Plus de la moitié de la hausse de rémunération des radiologistes, soit 64 000 $, est attribuable à l’augmentation du nombre d’échographies, confirme le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

« Le résiduel de la hausse, soit 56 000 $, s’explique principalement par la hausse des tarifs au 1er avril 2017 (5 %) ainsi que par une certaine augmentation de la productivité, soit notamment un peu plus de jours travaillés et davantage de services d’IRM et de scan », explique la porte-parole du MSSS, Noémie Vanheuverzwijn.

Plutôt que de se réjouir de cette hausse de rémunération liée aux échographies, l’Association des médecins radiologistes du Québec s’inquiète des conséquences. « Même si ça nous a enrichis, ce n’est pas une bonne idée. On n’aime pas ça, faire des examens pour rien. […] Il y a trop de volume actuellement », dit le Dr Oliva.