Le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux Lionel Carmant s’est dit « catastrophé » par « toutes ces tragédies » révélées dans l’enquête de La Presse sur les ratés des guichets d’accès en santé mentale publiée samedi dernier.

« C’est inacceptable que des enfants aient à attendre aussi longtemps sur des listes d’attente », a dit le Dr Carmant en entrevue avec La Presse, hier.

Le ministre Carmant promet d’ajouter des professionnels dans ces guichets d’accès qui sont sous la responsabilité des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et des centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS).

La Presse a révélé que faute de recevoir l’aide appropriée, Laurie, 14 ans, a vécu huit ans avec le mauvais diagnostic ; Delphine, 9 ans, a atterri aux urgences en ambulance sous contention ; Félix, 10 ans, attend depuis un an pour consulter un pédopsychiatre alors qu’il a des idées suicidaires.

« Avec la réorganisation des CIUSSS et des CISSS par le gouvernement précédent, beaucoup de professionnels ont quitté les CLSC pour aller travailler dans les GMF [groupes de médecine de famille] », explique celui qui était neurologue au CHU Sainte-Justine avant de se lancer en politique. 

« Nous, on veut ajouter des professionnels dans les CLSC parce qu’on doit rapprocher les soins des milieux de vie des patients. »

— Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux

Le ministère de la Santé ignore quel est le délai d’attente moyen au Québec pour un jeune qui a besoin d’une consultation en pédopsychiatrie et d’un suivi d’un psychologue dans le réseau public, a également démontré l’enquête de La Presse.

« Il n’y a pas de culture de données en santé au Québec. C’est une première évidence », dit le Dr Carmant, qui espère y remédier, notamment en demandant aux CLSC, qui seront au cœur de sa stratégie de dépistage des troubles de développement et d’apprentissage des tout-petits de 0 à 5 ans, de diffuser leurs listes d’attente.

Le Dr Carmant veut aussi augmenter le nombre de pédopsychiatres au Québec – ils sont actuellement 200 – en raccourcissant d’un an les années de spécialisation requises. Il les ferait ainsi passer de six à cinq ans pour ceux qui ne se destinent pas à travailler dans les centres hospitaliers universitaires, rendant ainsi cette spécialisation plus attrayante.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Danielle McCann, ministère de la Santé

Dès la publication de notre enquête, samedi dernier, la ministre de la Santé Danielle McCann a réagi sur Twitter en promettant de « faire davantage en santé mentale ». « C’est la raison » pour laquelle elle organise avec son confrère – le Dr Carmant – un forum Jeunes et santé mentale le 13 mai prochain, a-t-elle fait valoir.

« Guichet inefficace », critique l’opposition

La porte-parole de l’opposition officielle en matière de services sociaux, Hélène David, a également été « bouleversée » par le sort réservé à ces enfants qui attendent depuis des mois sur les listes des guichets d’accès.

« Ce guichet est tellement inefficace. C’est désolant. »

— Hélène David, porte-parole de l’opposition officielle en matière de services sociaux

Avant Noël, Mme David a proposé de mener au Québec une vaste réflexion sur la santé mentale, qui pourrait prendre la forme d’une commission parlementaire itinérante, à l’image de celle sur le droit de mourir dans la dignité. « La santé mentale doit devenir une véritable priorité nationale », a dit la psychologue d’expérience devenue députée.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Hélène David, députée libérale et porte-parole de l’opposition officielle en matière de services sociaux

Aux yeux de Mme David, une « réforme en profondeur » des guichets d’accès s’impose. C’est aussi ce que recommande l’Association des médecins psychiatres du Québec dans un rapport obtenu par La Presse qui conclut que « l’application inégale sur l’ensemble de la province des normes sur la structure et les fonctions des guichets d’accès entrave l’accès aux services ».

Nouveau cri de détresse

Un nouveau cri de détresse faisait la manchette, hier, alors qu’une jeune femme de Trois-Rivières a laissé un message dans son ordinateur, avant de mettre fin à ses jours, déplorant le manque de ressources en santé mentale.

La famille d’Émilie Houle a diffusé dimanche après-midi sur les réseaux sociaux le message de la femme de 23 ans morte le 29 mars dernier en demandant de le partager afin que « les choses changent ».

« Je me suis présentée à l’urgence dans le but de me faire hospitaliser, car je n’en pouvais plus de vivre comme ça, je voulais être traitée, je voulais être prise en charge. Pour le psychiatre, je ne nécessitais pas d’hospitalisation… mais au fond, comment peux-tu savoir ça ? Il ne sait pas comment je me sens à l’intérieur de moi, dans la maladie mentale la meilleure personne qui se connaît c’est nous-mêmes », a écrit la jeune femme.

« Cette fois-ci, j’ai vraiment voulu m’aider, j’ai cherché des ressources, j’ai appelé à plusieurs endroits, je suis allée à l’hôpital… Bien franchement, rien de tout ça m’a aidée, poursuit-elle. J’en ai juste été encore plus découragée parce que j’ai eu l’impression qu’on ne pouvait pas m’aider. Je pense que c’est pourquoi il y a un énorme taux de suicide ici. Il manque de ressources et les professionnels n’ont pas la formation nécessaire pour nous venir en aide. »

Après avoir pris connaissance du message, le cabinet de la ministre McCann a tenu à offrir ses condoléances à la famille de la jeune femme. La ministre a tenu à rappeler que le forum qui sera organisé le mois prochain permettra de trouver des pistes de solution pouvant être mises en place rapidement pour améliorer les choses. Ce forum pourra « mettre le terrain pour préparer le plan d’action 2020-2025 en santé mentale », a précisé son attaché de presse, Alexandre Lahaie.

Au cabinet de la ministre de la Santé, on fait également valoir que quatre nouveaux centres Aire ouverte pour les 12 à 25 ans ouvriront à l’automne au Saguenay, en Montérégie, en Estrie et en Gaspésie. Ils s’ajoutent aux trois premiers (Côte-Nord, Montréal-Nord et Laval) implantés par le gouvernement précédent. Dans un même lieu accessible pour les jeunes, ces ressources offrent des services de santé mentale, de santé sexuelle et d’autres conseils liés aux études et au marché de l’emploi.

> Besoin d'aide ? Joignez l'Association québécoise de prévention du suicide au 1 866 277-3553.