Au son d'une valse, Gertrude Holzmann, 77 ans, exécute quelques pas de danse aux bras du préposé aux bénéficiaires d'expérience Arturo Sosa. La chanson terminée, la dame d'origine allemande se rassoit sagement, un sourire au visage. À son arrivée à l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal à l'été 2018, personne n'aurait pensé que Mme Holzmann pourrait un jour être si épanouie.

Souffrant d'un début de démence, elle était réfractaire aux soins et pouvait donner du fil à retordre aux équipes soignantes. Mais grâce au soutien d'une équipe-choc spécialisée dans les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD), Mme Holzmann a retrouvé le sourire.

Créée il y a un an à l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM), l'équipe de SCPD a acquis une expertise pour laquelle la demande est en explosion. « La population ne cesse de vieillir au Québec et 125 000 Québécois ont la maladie d'Alzheimer. La demande est là », affirme Christine Fournier, chef administratif de l'équipe SCPD au CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal.

Composée entre autres de six infirmières, deux psychologues, une psychoéducatrice, une ergothérapeute et trois gérontopsychiatres, l'équipe accompagne le personnel des centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), des ressources intermédiaires et de soins à domicile en les aidant à mieux s'occuper des patients âgés souffrant de démence et présentant des symptômes complexes comme l'anxiété, la dépression, les hallucinations, les délires ou l'apathie.

L'objectif de l'équipe SCPD est de parvenir à soigner ces patients en recourant le moins possible à la médication. « Il y a deux mythes avec ces patients. Le premier, c'est qu'il n'y a rien à faire. Le deuxième, c'est que la seule chose à faire est de donner des antipsychotiques. Ce n'est pas vrai. On peut faire bien d'autres choses », affirme la Dre Marie-Andrée Bruneau, gérontopsychiatre et cogestionnaire de l'équipe SCPD.

Équipe-choc

En plus d'épauler les travailleurs de son territoire, l'équipe SCPD offre aussi des consultations téléphoniques, des formations en ligne, du mentorat et du soutien terrain aux quatre coins du Québec.

Le dossier de chaque patient doit être soigneusement évalué pour savoir quelle action est le plus susceptible de l'apaiser. Car une personne âgée qui a simplement faim ou soif peut devenir agressive ou agitée.

« On vérifie la médication. On se renseigne aussi sur l'histoire de vie des patients. Et ça, c'est super important. »

- La Dre Marie-Andrée Bruneau

Un patient qui aurait survécu à une noyade dans sa jeunesse pourrait opposer une résistance au moment de lui donner son bain, illustre Caroline Ménard, psychologue et coordonnatrice clinique de l'équipe SCPD.

Celle-ci ajoute que plusieurs gestes simples peuvent parfois être bénéfiques. « Dans les écoles, on apprend aux préposés aux bénéficiaires à commencer à laver les résidants par le visage. Mais pour une personne souffrant de démence, ça peut être trop agressant. On est mieux de commencer par les mains, par exemple », dit-elle.

Mille approches

Plusieurs pistes de solution ont été testées par l'équipe SCPD. Pour occuper certains résidants qui criaient souvent en errant, on a demandé à des proches de préparer une projection de photos commentées. D'une durée de 15 minutes, ces projections apaisent les résidants, qui peuvent les regarder quelques fois en fin de journée. D'autres résidants agités le soir et refusant d'aller se coucher sont devenus très coopératifs lorsqu'on leur a fait entendre un enregistrement vocal de leur conjoint leur chuchotant d'aller se coucher.

Lors de la visite de La Presse à l'Institut de gériatrie, la musicothérapeuthe Joanie Ayotte jouait de la guitare en chantant devant une poignée de résidants. Des patients pour la plupart qui erraient auparavant, agités, et qu'on est parvenu à calmer grâce à différentes tactiques, dont la musique.

Assises sur un canapé, deux dames chantaient doucement sur l'air de Partons, la mer est belle. Au fond de la salle, une résidante caressait un chat automate tout en poussant parfois la note.

« La musique, ça aide à diminuer l'anxiété. Pour d'autres, ça stimule. Chacun vient chercher ce dont il a besoin. »

-Joanie Ayotte

La Dre Bruneau explique que le Québec est la province canadienne avec le plus haut taux de prescription d'antipsychotiques au Canada. « C'est souvent prescrit à défaut d'avoir d'autres approches », explique-t-elle.

Des effets concluants

Chaque semaine, l'équipe SCPD se réunit et discute des cas. Ensemble, ses membres décident qui doit intervenir. Parfois, l'ergothérapeute proposera de tester certains outils, comme des couvertures lestées ou des animaux automates. Parfois, la nutritionniste entre en jeu.

« On a besoin de professionnels pour intervenir auprès de cette clientèle. [...] Les cas que l'on voit sont de plus en plus complexes. La collaboration interprofessionnelle est essentielle », affirme la Dre Doris Clerc, gérontopsychiatre et membre de l'équipe SCPD.

Les premières études menées sur les travaux de l'équipe SCPD montrent que ses actions permettent une diminution de 35 % des symptômes, une amélioration de l'état clinique des patients et une hausse de la satisfaction des familles et des soignants.

Quand on souligne que le manque de personnel en CHSLD est parfois criant et que les intervenants n'ont pas toujours le temps de se renseigner sur l'histoire de vie de chaque patient ou de réfléchir longuement aux meilleures approches à adopter, Mme Ménard réplique : « Oui, la question du manque de temps revient souvent. Mais gérer l'agressivité, ça prend aussi beaucoup de temps. La famille souffre. Parfois, prendre le temps fait gagner du temps. » « C'est sûr que nous sommes dépendants des ressources allouées [...]. Mais il y a quand même quelque chose à faire », affirme la Dre Bruneau.

Aider les aidants

L'équipe SCPD a aussi pour mission d'aider les proches aidants, qui peuvent parfois être exaspérés, notamment par les questions répétitives ou la désinhibition en public d'un proche atteint de démence. Des capsules de formation ont été créées et sont offertes sur le web.