Trop peu de femmes médecins occupent des postes de gestion, et celles qui sont en position de pouvoir sont traitées différemment par rapport à leurs confrères masculins, constate Diane Francoeur, présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec.

« Vous faites vos réunions à cette heure-là pour ne pas faire la vaisselle ? »

Alors que ses enfants étaient petits, la Dre Diane Francoeur représentait le Québec au C.A. de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada.

Or, cette association - dont les autres représentants partout au pays étaient des hommes - organisait ses conférences téléphoniques à 17 h... l'heure cruciale où les enfants reviennent de l'école, ont faim, doivent faire leurs devoirs, etc.

Ainsi, à la première réunion à laquelle la Dre Francoeur a été conviée par téléphone, celle qui est aujourd'hui présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) a mis son appareil sur haut-parleur et a taquiné ses confrères sur la vaisselle.

Ses collègues masculins ont vite saisi le chaos sympathique qui régnait chez elle à l'heure du souper et compris que tenir une réunion à 17 h ne favorisait pas du tout la conciliation travail-famille.

La Dre Francoeur a raconté cette anecdote, hier, pour illustrer l'un des nombreux « défis » de la féminisation de la profession médicale lors d'une conférence organisée par la FMSQ dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes.

« Je suis en pénurie de relève »

Aujourd'hui, la Dre Francoeur invite ses consoeurs à se débarrasser du « manteau de verre » qui pèse sur leurs épaules.

Au Québec, 45 % des médecins spécialistes sont des femmes (le pourcentage est plus élevé chez les médecins de famille, soit 57 %). Or, dans certaines spécialités médicales, il n'y a encore que 10 % de femmes. Et seulement six des 35 associations regroupées au sein de la FMSQ sont présidées par des femmes.

Les femmes médecins qui occupent des postes de gestion sont encore trop rares, constate la FMSQ. « Je suis en pénurie de relève », souligne la Dre Francoeur.

Les médecins spécialistes terminent leur formation à la fin de la vingtaine, parfois même dans la trentaine s'ils font une surspécialité, si bien que plusieurs femmes médecins sentent la pression de l'horloge biologique cumulée à celle de devoir briller dans leur poste qu'elles viennent souvent d'obtenir. Ces dernières perçoivent les rôles de gestion comme une « charge de plus » dans une vie déjà hyper remplie, plutôt qu'une occasion à saisir, analyse la Dre Francoeur.

« Les femmes ont malheureusement encore trop tendance à être atteintes du syndrome de l'imposteur. Il faut saisir les opportunités lorsqu'elles passent et avoir du plaisir dans son rôle de leader. »

- Diane Francoeur, présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec

Sans son mentor, le Dr Fabrice Brunet - nouveau PDG du CHUM et ancien PDG du CHU Sainte-Justine -, la Dre Francoeur admet qu'elle n'aurait elle-même jamais postulé à un poste de gestionnaire dans l'établissement pédiatrique montréalais ; poste où elle a développé ses qualités de leader qui l'ont ensuite menée jusqu'à la tête du puissant syndicat des médecins spécialistes.

Il reste beaucoup de chemin à faire, croit-elle, notamment dans la différence de traitement que les femmes en position de pouvoir reçoivent par rapport à leurs confrères masculins. « Tu fais un petit écart et tu te le fais davantage reprocher, dit-elle. C'est un leurre de dire qu'on est égaux. »

La Dre Jouhayna Bentaleb, résidente en médecine de 27 ans, aussi panéliste à la conférence d'hier, a conclu sur une note d'espoir : « Pour moi, ça va de soi qu'une femme aspire à des postes de direction parce qu'il y a des femmes qui ont défriché le terrain avant moi. »

Les actions du Collectif 8 mars

Dénoncer les violences sexuelles

Le Collectif 8 mars, qui représente quelque 700 000 femmes, a choisi de commencer la Journée internationale des femmes en dénonçant les violences sexuelles avec une manifestation devant le palais de justice de Montréal, hier. Une audience pour le procès de Gilbert Rozon, accusé de viol et d'attentat à la pudeur, avait lieu au même moment. Les manifestants ont exprimé leur soutien envers les victimes. Gabrielle Bouchard, porte-parole du Collectif 8 mars, n'a pas souhaité commenter l'affaire : « C'est un combat général que nous menons, d'autant plus aujourd'hui. Contre toutes les oppressions, nous luttons », a-t-elle affirmé. Il était important, a-t-elle dit, de « s'éloigner de la conversation d'un homme qui est accusé et de montrer [un] soutien collectif envers ces femmes-là ».

Rencontre avec la ministre

« Assez, c'est assez, Legault doit écouter. » « La baisse des impôts, c'est pas ça qu'il nous faut. » Les messages scandés par le Collectif 8 mars avant une rencontre avec la ministre responsable de la Condition féminine, Isabelle Charest, faisaient ressortir les divergences d'opinions entre les groupes de femmes et la Coalition avenir Québec (CAQ). Malgré tout, pour cette première rencontre, le Collectif a indiqué que Mme Charest avait « fait preuve d'intérêt et d'une ouverture envers les revendications ». « La ministre vient juste d'entrer en poste, donc on va lui laisser la chance de nous parler, nous montrer quelle capacité d'action, quelle marge de manoeuvre, quelle ouverture elle a », a précisé Gabrielle Bouchard avant l'échange. Le Collectif a cependant déploré l'absence du premier ministre François Legault, alors que ses prédécesseurs avaient participé aux discussions.

Réinvestissement massif

Le Collectif 8 mars a indiqué avoir « insisté auprès de la ministre pour qu'elle intercède en faveur d'un réinvestissement massif dans les services publics, la fonction publique et les programmes sociaux ». Plus tôt dans la journée, la ministre Isabelle Charest avait confirmé un réinvestissement en santé et en éducation. « Il y a des réinvestissements qui seront faits. Mais, de façon spécifique, comment ça va cibler les revendications du Collectif ? On le verra. Mais ce qui est sûr, c'est que la priorité en santé et en éducation, elle est là pour le gouvernement », a affirmé Mme Charest. Elle n'a pas voulu s'engager davantage en ce qui concerne les autres revendications du groupe, formé de représentantes de syndicats et d'organisations féministes.

Salaire, conciliation, pension

Parmi les autres revendications du Collectif : une hausse du salaire minimum à 15 $ et une loi-cadre famille-travail-études, des mesures qui toucheraient principalement les femmes et pourraient en aider certaines à sortir de la pauvreté. « La plupart des stages non rémunérés sont exercés par les femmes, il faut lutter contre ça », a aussi tenu à souligner Fred-William Mireault, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec. Une autre demande consiste à voir le gouvernement cesser de considérer les pensions alimentaires comme un revenu. « En cas de divorce, nous sommes souvent amenées à toucher une pension alimentaire. Elle ne doit pas être considérée comme un revenu, de même pour les bourses d'études », a dit Mme Bouchard. La CAQ avait déposé l'an dernier un projet de loi pour exclure ces montants du calcul de l'aide sociale.

- Janie Gosselin et Manon Louvet, La Presse, avec La Presse canadienne