Le président du Collège des médecins du Québec plaide depuis le début de la semaine que le diagnostic ne doit pas être étendu aux infirmières praticiennes spécialisées (IPS), comme le souhaite Québec, notamment pour protéger le public. Or, aucune étude scientifique n'appuie cette position, reconnaît le Dr Mauril Gaudreault, qui présentera aujourd'hui à son conseil d'administration de nouvelles pratiques cliniques qui exclut tout pouvoir de diagnostic accru pour les IPS.

Au cours des derniers jours, le Dr Gaudreault a déclaré que le Collège des médecins s'oppose au décloisonnement du diagnostic, notamment pour des raisons de protection du public. Questionné à savoir si le Collège des médecins possède des études qui démontrent les dangers pour les patients d'autoriser certains diagnostics aux IPS, comme c'est le cas ailleurs au pays, le Dr Gaudreault affirme que « non, on n'a pas d'étude là-dessus ».

Le président affirme plutôt baser sa position sur la formation des étudiants en médecine, qui est plus complète que celle des IPS. « L'Office des professions et le Code des professions disent que le diagnostic est un acte réservé aux médecins. Ce n'est pas juste nous qui disons ça. L'Office a décidé ça en se basant notamment sur la formation », explique le Dr Gaudreault.

Ce dernier martèle que l'objectif principal est d'établir un bon partenariat entre médecins et IPS. « On ne parle pas de subordination », assure-t-il. Dans un document intitulé Pour un partenariat réussi MD-IPS publié mardi, le Collège des médecins dit d'ailleurs vouloir « déterminer les ingrédients nécessaires à un partenariat réussi, dans le but de maximiser les soins aux patients ». Les nouvelles pratiques cliniques qui seront présentées aujourd'hui visent aussi à améliorer le partenariat médecin-IPS, selon le Dr Gaudreault.

Soins de qualité égale

Vice-doyenne à la faculté des sciences infirmières de l'Université de Montréal, Caroline Larue souligne que quelques études ont été menées ces dernières années sur la qualité des soins offerts par les IPS. L'une des plus pertinentes, selon elle, est une méta-analyse publiée en juillet 2018 par Cochrane et portant sur les infirmières comme substituts aux médecins en soins de santé primaires. 

« L'étude a démontré que le résultat sur la santé des patients est similaire et que les patients sont autant, sinon même un peu plus satisfaits de leurs soins. Notamment parce que les infirmières passent un peu plus de temps en consultation. »

- Caroline Larue

Le président de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), Luc Mathieu, ajoute qu'un article publié en 2010 par la Fondation canadienne pour l'amélioration des services de santé soulignait l'apport des IPS au réseau. Dans le document, on peut lire qu'au moins 28 essais cliniques comparatifs ont été réalisés au fil des ans et ont indiqué « de façon systématique » que les IPS « sont efficaces, dignes de confiance et qu'elles peuvent exercer une influence positive sur les résultats à la fois pour les patients, les prestataires et le système de santé ».

Droit limité

Mme Larue affirme qu'au Canada et en Amérique du Nord, c'est au Québec que la formation des IPS est la plus longue. Elle rappelle que l'objectif n'est pas d'autoriser les IPS à formuler des diagnostics sur tout, mais bien uniquement pour certaines maladies précises.

Depuis avril 2018, les IPS du Québec ont d'ailleurs obtenu le droit d'entamer des traitements pour des maladies chroniques comme l'hyperthyroïdie, le diabète et l'hypertension. Mais dans les 30 jours suivant le début du traitement, chaque patient doit voir un médecin. Lundi, la ministre de la Santé, Danielle McCann, a dit vouloir éliminer cette deuxième visite, relançant le débat sur le droit au diagnostic.

Mme Larue rappelle que les IPS ont toujours le devoir d'orienter vers un médecin partenaire tout patient se retrouvant « dans une situation qui dépasse leurs compétences ». Elle rappelle aussi que les IPS ont un code de déontologie et doivent répondre de leurs gestes. « Nous pensons que le médecin est le plus habilité à poser des diagnostics. Les IPS ne peuvent pas tout diagnostiquer. C'est clair. Mais il y a des maladies courantes, de plus en plus fréquentes, pour lesquelles elles peuvent aider à désengorger le réseau », affirme Mme Larue.

Pour sa part, le Dr Gaudreault croit qu'« il n'y en a pas tant que ça, des diagnostics simples ». « On peut rencontrer des gens avec trois maladies, quatre... Ça ne devient pas si simple et c'est là que la formation entre en ligne de compte », dit-il.

Un acte réservé

Au cabinet de la ministre McCann, on répète vouloir arriver à une solution par la discussion, mais on n'écarte pas l'imposition d'une loi.

« Jusqu'à maintenant, on est allés le plus loin qu'on pouvait en fonction des lois que nous avons. Si la ministre décide de décloisonner, nous ne nous opposerons certainement pas », affirme Luc Mathieu, de l'OIIQ.

Le Dr Gaudreault affirme lui aussi que « si la ministre adopte une loi, on ne s'opposera pas ». « Si c'est sa volonté, on va respecter ça », dit-il.

La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) n'a pas voulu commenter le dossier, si ce n'est pour dire que la FMOQ veut miser sur le travail d'équipe, et non en silo.

Photo Alain Roberge, archives La Presse

Le Dr Mauril Gaudreault, président du Collège des médecins du Québec

Les médecins spécialistes appuient les IPS

Chirurgienne cardiaque au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), la Dre Jessica Forcillo ne saurait se passer de l'équipe de 11 infirmières praticiennes spécialisées (IPS) qui oeuvrent dans son département. « Elles amorcent des traitements, elles soignent les patients aux étages, elles permettent de libérer du temps pour que l'on se concentre sur les cas complexes [...]. Elles ont aussi une clinique d'IPS qui permet aux patients d'être vus directement plutôt que de passer par les urgences. Pour moi, c'est clair : les IPS améliorent la qualité des soins et améliorent l'accès [...]. Je ne vois aucun désavantage à notre pratique en équipe », dit la Dre Forcillo. Présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), la Dre Diane Francoeur souligne que plusieurs médecins spécialistes se sentent peu concernés par le débat qui entoure la question d'autoriser ou non le diagnostic chez les IPS. Car si, selon la FMSQ, le diagnostic global doit rester sous la gouverne des médecins, plus formés, dans la pratique, les IPS « font déjà plein de diagnostics au quotidien ». « Elles n'ont pas besoin de nous faire rapport comme des subalternes. Elles se réfèrent à nous seulement si un cas dépasse leur champ de compétences. Des IPS, on en prendrait plus, c'est clair », résume la Dre Francoeur.

Photo Sarah Mongeau-Birkett, Archives La Presse

La Dre Diane Francoeur, présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec