Une étude québécoise publiée hier, mercredi, dans la prestigieuse revue JAMA Psychiatry établit un lien entre consommation de cannabis, dépression et comportement suicidaire. Mais attention : ça ne veut pas dire que le pot cause la dépression ni qu'il faut craindre outre mesure que son ado qui fume un joint de temps à autre commette l'irréparable. Le point en quatre questions.

Q : En quoi consiste l'étude publiée hier ?

R : L'analyse regroupe 11 études internationales comptant en tout 23 317 individus qui ont été suivis sur plusieurs années. Les chercheurs ont interrogé les participants sur leur consommation de cannabis lorsqu'ils avaient moins de 18 ans, puis ont surveillé s'ils développaient une dépression à l'âge adulte. L'anxiété, les idées suicidaires et les tentatives de suicide ont aussi été étudiées. Les chercheurs de McGill ont ensuite regardé si les consommateurs de cannabis étaient plus susceptibles que les autres d'être touchés par les problèmes étudiés. « Les liens entre psychose et cannabis ont beaucoup été étudiés, mais il existe beaucoup moins de recherches sur la dépression », souligne la Dre Gabriella Gobbi, chercheuse au Programme en réparation du cerveau et en neurosciences intégratives à l'Institut de recherche du CUSM et professeure de psychiatrie à l'Université McGill, qui a dirigé l'étude.

Q : Quels sont les résultats ?

R : Les chercheurs de McGill ont noté que les consommateurs de cannabis étaient plus touchés que les autres par la dépression et par les idées suicidaires et qu'ils commettaient plus de tentatives de suicide. Ils ne sont toutefois pas significativement plus nombreux à souffrir d'anxiété. Par « consommateur de cannabis », l'équipe de la Dre Gobbi a considéré les fumeurs qui prennent du pot au moins une fois par semaine. Le Dr Didier Jutras-Aswad, psychiatre au CHUM, n'a pas participé à cette recherche. Il fait remarquer que les différences entre consommateurs et non-consommateurs sont « relativement faibles ». « Ce sont des associations qui ne sont pas si impressionnantes », estime-t-il.

Q : Est-ce que ça veut dire que le pot cause la dépression et le suicide ?

R : Non, et c'est sans doute là le principal piège quand vient le temps d'interpréter ce genre d'études. « Il faut parler d'associations, et non de relations de cause à effet », convient la Dre Gobbi. Bref, l'étude montre que les fumeurs de pot sont plus nombreux à souffrir de dépression, mais pas que le pot est le facteur qui a déclenché ces dépressions. Les chercheurs de McGill ont tenté d'éliminer l'influence de variables comme l'âge, le sexe, le statut socioéconomique et la présence d'anxiété et de dépression lors de la première prise de contact avec les jeunes. Mais bien d'autres variables, comme la prédisposition génétique ou la consommation d'autres drogues, ont pu jouer.

« Il est pratiquement impossible de départager l'influence du cannabis de celle de la consommation d'alcool (voire d'autres drogues), qui est présente chez presque tous les consommateurs, particulièrement les consommateurs les plus lourds et à risque », illustre par exemple Jean-Sébastien Fallu, professeur à l'École de psychoéducation à l'Université de Montréal.

Comme pour contredire cette analyse, les chercheurs de McGill s'avancent bel et bien, dans la partie « discussion » de leur étude, et attribuent une part des dépressions au cannabis. Après des « calculs épidémiologiques », ils estiment que cette proportion se chiffre à 7 % des diagnostics. Cela voudrait dire que 25 000 jeunes Canadiens souffrent de dépression « en raison » de leur consommation de cannabis. En entrevue à La Presse, la Dre Gobbi a convenu qu'il s'agissait d'« estimations ».

« On peut remettre ça en question », dit quant à lui Didier Jutras-Aswad, du CHUM.

Q : Un consommateur de pot devrait-il s'inquiéter pour sa santé mentale ?

R : « Il ne faut pas partir en peur, répond le Dr Justras-Aswad. Ce que cette étude vient nous dire, comme d'autres études l'ont montré avant, c'est que les gens qui consomment du cannabis sont plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé mentale. C'est intéressant à savoir, mais il faut rester prudent. Le cannabis peut sans doute contribuer à la dépression, mais ce n'est pas parce que l'on consomme du cannabis qu'on devient déprimé. »

Quant au suicide, le psychiatre rappelle que les raisons qui conduisent un individu à commettre l'irréparable sont complexes. Le pot peut faire partie de l'équation, mais déterminer le rôle exact joué par la drogue n'est pas simple. L'expert rappelle aussi que le type de pot consommé et la fréquence de consommation influencent les risques. La Dre Gabriella Gobbi estime quant à elle que le risque individuel de dépression et de suicide associé au cannabis est peut-être « modeste », mais qu'il se traduit en véritable enjeu de santé publique, considérant le nombre de jeunes Canadiens qui consomment du pot.

« Nous espérons que nos conclusions inciteront les organismes de santé publique à adopter des stratégies visant à réduire la consommation de cannabis chez les jeunes », dit-elle.