Lorsqu'ils cherchaient de l'aide pour leur enfant malade, ils se sont sentis «muselés dans le système de santé». Maintenant que leur fils ou leur fille s'est suicidé, ils refusent de se taire.

Des endeuillés du suicide viennent de se regrouper pour demander au gouvernement de François Legault, aux partis de l'opposition et aux autorités du milieu de la santé de travailler ensemble à l'implantation d'une série d'actions «rapides et concrètes» pour prévenir le suicide au Québec.

«On ne veut pas d'une autre série de consultations qui durent trois ou quatre ans si c'est pour que le rapport aboutisse sur une tablette», lance Marlène Gauthier, instigatrice du regroupement des endeuillés du suicide, dont le fils Olivier est mort par suicide à 19 ans.

«Depuis 2005, un grand nombre de recommandations des plans d'action en santé mentale développés par le gouvernement précédent n'ont pas été mises en place.»

Ainsi, la maman d'Olivier et plusieurs autres familles endeuillées du suicide, dont les parents de Lili qui est morte à 13 ans, ont décidé de s'unir dans l'espoir que leur témoignage contribue à prévenir d'autres morts.

Ces familles ne se connaissaient pas jusqu'à récemment, mais elles sont entrées en contact les unes avec les autres après la publication de leur histoire dans La Presse+ et dans d'autres médias.

«Pour nous, il est trop tard, mais on veut juste faire notre part pour que d'autres ne vivent pas ce qu'on a vécu», décrit la maman d'Olivier.

Rencontres avec les élus

À la mi-janvier, le groupe a sollicité - et obtenu - des rencontres avec des représentants de tous les partis politiques du Québec. La nouvelle ministre de la Santé, Danielle McCann, a écouté leurs récits tragiques et leurs recommandations durant une heure et demie. «La ministre a accepté tout de suite de nous rencontrer. Elle nous a prêté une oreille attentive», se réjouit Mme Gauthier.

Lors de ces rencontres, Mme Gauthier a témoigné d'un «immoral laisser-aller dans le système de soins en santé du cerveau [terme qu'elle préfère au terme fourre-tout santé mentale], particulièrement pour les 18 ans et plus dans le Grand Montréal et pour les adolescents en région.»

«On a laissé souffrir mon fils pendant 22 mois dans le système de santé alors qu'il souffrait d'une maladie du cerveau. Il est mort seul et en détresse», dénonce Mme Gauthier, dont le fils de 19 ans s'est présenté plusieurs fois aux urgences et a vu au moins deux psychologues et huit psychiatres dans trois hôpitaux différents, qui avaient des avis divergents, avant de mourir par suicide en décembre 2012.

«On ne laisserait jamais un enfant atteint d'un cancer mourir seul et en détresse.» 

Le regroupement d'endeuillés du suicide souhaite que les autorités du milieu de la santé s'inspirent du modèle britannique du «triangle de soins» qui consiste à intégrer les proches aidants dès le premier contact du patient dans le système. Actuellement, le concept de confidentialité est souvent mal compris et mal interprété par les intervenants, croit-il.

«Ne pas informer les parents des idées suicidaires de leur enfant de 14 ans, c'est dangereux, voire criminel», affirme le regroupement dans une longue lettre qu'il a transmise à la ministre de la Santé. «La confidentialité n'a pas sa place lors de risques suicidaires.»

Ces parents endeuillés ont eu l'impression, alors qu'ils cherchaient de l'aide pour leurs enfants, que les pensées suicidaires de ces derniers étaient trop souvent banalisées. Ou encore qu'on avait minimisé les risques de suicide de leur proche parce que ce dernier n'avait pas de «plan précis dans les 24 heures».

Ensemble vers le même objectif

Le Québec doit tendre vers un modèle «Zéro suicide» basé sur un engagement des dirigeants à éliminer le suicide plutôt que de concevoir le suicide comme un résultat malheureux mais inévitable chez certains patients atteints de maladie mentale, avance le regroupement.

Aux yeux de Mme Gauthier, qui a épluché tous les plans d'action pondus sur la santé mentale depuis 2005 au Québec, en plus d'étudier les meilleures pratiques à travers le monde, il est évident qu'il faut assouplir - comme ç'a déjà été recommandé - les frontières entre les services offerts aux jeunes et ceux qui sont donnés aux adultes.

«Les jeunes de 12 à 25 ans souffrant de troubles mentaux doivent être traités par des spécialistes et entourés de jeunes de leur âge.»

Le regroupement d'endeuillés du suicide déplore que, trop souvent, les intervenants travaillent en silo. Ces familles aimeraient voir une «véritable collaboration» s'installer entre les psychiatres et les autres professionnels de la santé, ainsi qu'avec les intervenants du milieu communautaire.

En cette Semaine de prévention du suicide, le groupe d'endeuillés espère que tous les décideurs et intervenants en santé mentale travaillent ensemble à améliorer l'évaluation du risque suicidaire et l'accès à de meilleurs soins pour les gens en détresse psychologique.

«Aucun son ne peut voyager dans le vide. Sans oxygène, les vibrations restent figées, inaudibles. Parfois, j'ai l'impression que c'est comme ça qu'Oli se sentait : il a raconté pendant près de deux ans ses symptômes, demandé de l'aide, dit sa mère, Marlène Gauthier. Sans air, il a suffoqué. Toutes les campagnes de conscientisation n'auront aucun effet si les jeunes n'ont pas les soins appropriés lorsqu'ils appellent au secours.»

BESOIN D'AIDE?

Si vous avez besoin de soutien ou avez des idées suicidaires, vous pouvez appeler le numéro sans frais suivant pour parler à quelqu'un : 1 866 APPELLE (1 866 277-3553)

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Marlène Gauthier