Interruption de service en chirurgie. Clinique d'hémodialyse qui fonctionne à moitié. Centre d'oncologie affaibli. Les services de santé offerts à l'hôpital de Maniwaki ne cessent d'être diminués, dénoncent des intervenants de la région, qui déplorent que cette situation complique leur existence, voire qu'elle mette leur vie en péril. Devant l'ampleur de la crise, Québec promet d'agir.

MOINS DE SERVICES, PLUS D'INQUIÉTUDES

Pendant un total de 20 jours depuis novembre, aucun chirurgien n'a été de garde à l'hôpital de Maniwaki.

Tout patient qui aurait été victime d'un accident majeur dans la région aurait dû être transféré par ambulance à Mont-Laurier, à environ une heure de route. Une perte de service qui s'ajoute à d'autres et qui inquiète les intervenants de la municipalité. « Qu'est-ce qu'on attend pour agir ? », demande la préfète de la Vallée-de-la-Gatineau, Chantal Lamarche. « On joue avec la vie des gens », ajoute la Dre Audrey Bertrand, médecin de famille depuis sept ans à Maniwaki.

C'est le départ précipité à la retraite d'un chirurgien de l'hôpital de Maniwaki qui a entraîné les problèmes de couverture en chirurgie. Depuis, des chirurgiens dépanneurs viennent assurer des gardes à tour de rôle. Occasionnellement, un trou de service survient.

Jusqu'à maintenant, aucun patient n'a dû être transféré en raison de cette interruption de service, affirme Patricia Rhéaume, porte-parole du Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Outaouais (CISSSO).

Malgré tout, la Dre Bertrand estime que pour un patient instable qui devrait être transféré, le long trajet en ambulance « pourrait faire une différence ». 

« Comment peut-on accepter ça ? s'indigne Mme Lamarche. C'est comme si les citoyens de la région valaient moins que les citoyens de la ville. »

Manque de lits en dialyse

À ces problèmes de couverture en chirurgie s'ajoute une diminution des services offerts en région, affirme Mme Lamarche. Avec une soixantaine de maires et de citoyens, celle-ci a dénoncé la situation le 13 décembre devant le CISSSO. Québec a aussitôt nommé un mandataire spécial qui a rendu son rapport, hier, à la ministre de la Santé.

Pour illustrer le problème, Mme Lamarche souligne que l'hémodialyse n'est maintenant offerte que trois jours par semaine à Maniwaki.

Après s'être fait retirer son rein droit en avril 2016, Darlene Lannigan, citoyenne de Maniwaki, a entamé des traitements de dialyse. Dans un premier temps, alors que sa situation était plus critique, elle a reçu ses traitements d'hémodialyse à Hull. Une situation que Mme Lannigan juge normale.

Mais quand son cas s'est stabilisé, Mme Lannigan a demandé de recevoir sa dialyse à Maniwaki. En vain. « On m'a dit qu'il n'y avait pas de place, dit-elle. Ça prend deux heures de route, aller en ville. On a quatre heures de traitement. Et on doit refaire la route pour revenir. »

« On a des problèmes de santé. On est épuisé et il faut faire ça trois fois par semaine... Ça épuise. J'ai fait ça sept mois. Je n'en pouvais plus. » - Darlene Lannigan

Tenace, Mme Lannigan a décidé d'agir. Avec d'autres alliés, elle a recueilli la signature de plusieurs maires des environs et a rencontré sa députée. En novembre 2016, elle a finalement obtenu une place à Maniwaki. « Mais ce n'est pas normal qu'on soit toujours obligé de se battre, dit la dame. On paye nos impôts comme tout le monde. Pourquoi ne peut-on pas avoir de services ? »

 « La route l'a épuisé »

Claire Lacaille, résidante de la municipalité d'Aumond, en a elle aussi long à dire sur le manque de services en dialyse à Maniwaki. Son mari, qui était aux prises avec des problèmes de reins, recevait des traitements de dialyse à la maison depuis des mois quand, à l'hiver 2016-2017, il a eu un problème avec son cathéter. Il a alors dû reprendre ses traitements d'hémodialyse à l'hôpital.

Photo André Pichette, La Presse

Darlene Lannigan

« Mais il n'y avait plus de place à Maniwaki », dit Mme Lacaille. Pendant un mois, elle a vu son mari de 75 ans se rendre trois fois par semaine à Hull pour recevoir ses traitements. « Une journée que les routes n'étaient pas belles, il est parti à 9h le matin et est revenu à 21h », raconte-t-elle.

Le 28 janvier 2017, son mari a pu recommencer sa dialyse à la maison. Un mois plus tard, il mourait d'une double pneumonie. Pour Mme Lacaille, le manque de services à Maniwaki a pesé dans la balance. « Je pense que la route l'a épuisé. » Elle est outrée de savoir qu'encore aujourd'hui, certains citoyens de la région doivent recevoir leur traitement de dialyse à Hull, faute de place à Maniwaki.

Le PDG du CISSSO, Jean Hébert, dit que les gens reçoivent systématiquement leurs premiers traitements d'hémodialyse en ville, près des équipes spécialisées. Puis, leur situation stabilisée, ils sont envoyés dans leur région. « Les besoins fluctuent. Parfois, on a trop de demandes », reconnaît M. Hébert, qui assure que le CISSSO va « essayer de s'ajuster pour éviter les déplacements » de patients.

M. Hébert souligne que des unités satellites en région ont justement été créées pour éviter ces transports. Une unité semblable a ouvert ses portes en décembre dans le Pontiac. « On se donne un plan pour augmenter la présence des services sur les territoires ruraux », dit-il.

Exode vers Gatineau

Directrice générale du Guichet unique de transport adapté et collectif (GUTAC) de la Vallée-de-la-Gatineau, Linda Lapointe note que le nombre de transports de patients qui doivent recevoir des soins hors territoire a augmenté ces dernières années.

Nombre de transports hors territoire au GUTAC de la Vallée-de-la-Gatineau

2013-2014 : 2016

2014-2015 : 2015

2015-2016 : 2245

2016-2017 : 2678

2017-2018 : 2754

« De plus en plus, les gens doivent aller en ville recevoir les soins. Il y a moins de services offerts qu'avant », dit-elle.

Un constat partagé par Jessica Lafrenière et Sylvie Jolivet, respectivement directrice générale et propriétaire de la résidence pour personnes âgées La Belle Époque à Maniwaki. Cette semaine, par exemple, un résidant de La Belle Époque s'est fracturé le poignet. « Il a dû aller faire faire son plâtre à Gatineau. Avant, les plâtres de base étaient faits ici. Plus maintenant », note Mme Jolivet.

Département d'oncologie en danger

Si les patients de l'Outaouais reçoivent la majorité de leurs traitements oncologiques à Gatineau, depuis cinq ans, ils peuvent recevoir certains traitements de chimiothérapie à Maniwaki. La Dre Bertrand déplore toutefois que le poste d'infirmière pivot, qu'elle décrit comme le « coeur du centre d'oncologie », ait été supprimé peu avant Noël.

« On a une clientèle très âgée ici, note la Dre Bertrand. Très vulnérable. Avec peu de moyens. Laissés à eux-mêmes... Un sur cinq ne sait même pas écrire. Sans infirmière pivot, les risques sont grands qu'ils se perdent dans les traitements et les cessent, tout simplement. »

Photo André Pichette, La Presse

Claire Lacaille

« Les 220 patients que l'infirmière pivot suit devront consulter l'infirmière pivot de Gatineau, par téléphone. Ça n'a pas d'allure », rage la préfète Lamarche.

M. Hébert confirme avoir « revu le déploiement infirmier » dernièrement. « On a voulu avoir une approche différente », affirme le PDG, qui assure que le service sera encore donné, mais différemment.

« Oui, les services sont offerts quand même, mais à Gatineau, pas à Maniwaki ! », critique Mme Lamarche. Selon elle, la colère des citoyens de la Vallée-de-la-Gatineau dure depuis longtemps. « On a parlé du sujet des dizaines de fois. On a refusé de nous entendre », dit Mme Lamarche, qui a demandé la démission de M. Hébert.

Le CISSSO se défend de ne pas avoir voulu entendre les citoyens. Alors que le conseil d'administration a l'obligation de tenir une séance d'information une fois par année, le CISSSO en tient cinq, partout sur son territoire. « Par ailleurs, nous allons rencontrer les divers acteurs politiques plusieurs fois durant l'année, selon les besoins et la demande des politiciens régionaux », affirme la porte-parole du CISSSO, Patricia Rhéaume.

Pour Mme Lamarche, la situation doit changer. Elle a bon espoir que ce sera le cas puisque, selon elle, « l'écoute semble meilleure » avec le nouveau gouvernement.

« On veut juste stopper l'hémorragie, dit la Dre Bertrand. On a mis en place des services de proximité au fil des ans. On ne veut pas tout perdre ».

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QUÉBEC PROMET D'AGIR

Tant le premier ministre François Legault que la ministre de la Santé, Danielle McCann, promettent d'agir pour améliorer les services de proximité en Outaouais. Des décisions seront prises « dans le prochain mois » à ce sujet.

« Ça n'a pas de bon sens, l'accessibilité aux soins ici, que ce soit en première ligne, que ce soit en deuxième ou troisième ligne », a soutenu M. Legault, de passage à Gatineau pour le caucus d'avant-session parlementaire de la Coalition avenir Québec. Le premier ministre a affirmé que tout le réseau de la santé de l'Outaouais devait faire l'objet d'ajustements, a rapporté hier le quotidien Le Droit.

Photo André Pichette, La Presse

La préfète Chantal Lamarche

Mme McCann a quant à elle affirmé mercredi que la centralisation engendrée par les réformes de l'ancien ministre de la Santé Gaétan Barrette était allée « trop à l'extrême », a rapporté Radio-Canada. Elle a promis de « rééquilibrer » les services aux citoyens. « C'est important que la population puisse avoir des services à proximité », a-t-elle dit.

Au cabinet de la ministre, on affirme que celle-ci prendra le temps de lire le rapport du mandataire spécial, reçu hier, et annoncera des décisions « dans le prochain mois ».

Le PDG plaide le manque de communication

PGD du Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Outaouais (CISSSO), Jean Hébert dit avoir été « surpris » par la sortie des acteurs de la Haute-Gatineau, en décembre. « C'était un cri du coeur des territoires ruraux par rapport aux services de proximité et au manque de gestionnaires sur place », résume M. Hébert, qui dit déjà travailler à améliorer la situation.

Pour lui, la crise a surtout mis en évidence un problème de communication, le CISSSO ayant, selon lui, possiblement failli dans sa mission de bien expliquer aux usagers le nouveau fonctionnement du réseau.

M. Hébert affirme que la création du CISSSO, né de la fusion en une entité unique de neuf établissements et de l'Agence de la santé et des services sociaux de l'Outaouais, est une « bonne chose » et a permis notamment l'augmentation du niveau des services offerts à domicile et l'ajout de postes dans les CHSLD.

Mais la fusion était un « immense changement » qui a fait passer le nombre de cadres supérieurs de 75 à 37. « C'était une transformation majeure. On est dans notre quatrième année. Il y a encore des choses à améliorer », dit-il.

M. Hébert a bien accueilli la venue du mandataire. « On a voulu une personne neutre pour intervenir, pour rétablir la communication, car c'était trop émotif », explique-t-il.

Le PDG dit être « en train d'opérer des changements » pour améliorer la présence en territoires ruraux. « Peu importe les conclusions du mandataire, on va s'efforcer de rétablir les ponts avec les communautés », dit-il.

Photo Jacques Boissinot, archives La Presse canadienne

Danielle McCann, ministre de la Santé