Dans une décision exceptionnelle, la justice québécoise vient de forcer le réseau de la santé à embaucher immédiatement des infirmières dans un centre d'hébergement montréalais, citant les conditions de vie troublantes des résidants.

Les 125 aînés qui résident au Centre Denis-Benjamin-Viger, sur l'île Bizard, vivent avec des couches souillées pendant de longues heures et reçoivent leurs médicaments avec du retard, selon l'experte conjointe de l'employeur et du syndicat qui s'est penchée sur la situation l'an dernier. Sa recommandation : embaucher de nouvelles soignantes.

Un arbitre du travail a transformé cette recommandation en ordre : créez 13 postes, dont neuf de préposées, a décidé Richard Chartrand en 2018. Mais le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l'Ouest-de-l'île-de-Montréal, qui gère le centre, ne l'entendait pas ainsi. Au total, l'organisation s'est battue pendant presque trois ans pour y échapper.

Dans une décision datée du 11 janvier dernier, la Cour supérieure lui a ordonné de s'exécuter immédiatement : « comment les infirmières et infirmières auxiliaires peuvent-elles prétendre soin des bénéficiaires qui, par exemple, ne sont pas nourris adéquatement ou végètent dans une culotte d'incontinence souillée, faute de proposées aux bénéficiaires en nombre suffisant ? », a écrit la juge Chantal Masse.

« C'est fou ! », dit la FIQ

C'est la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) qui a mené cette bataille.

« C'est incroyable qu'il faille se rendre devant la justice pour obliger un employeur à prendre ses responsabilités et faire en sorte de mettre des équipes de soins en place pour donner des soins de qualité et sécuritaire. C'est fou ! », s'est exclamé la présidente syndicale Nancy Bédard.

« Pendant trois ans, [le CIUSSS] a traîné ce dossier-là de la première instance à la dernière », a-t-elle ajouté. « Je ne sais pas combien ça coûte, mais je peux vous dire que ce sont des milliers de dollars par jour d'audition. »

En réponse à la demande d'entrevue de La Presse, le CIUSS de l'Ouest-de-l'île a affirmé qu'il respectait la décision de la juge Masse.

Le CIUSS « a entamé plusieurs démarches afin d'ajouter le nombre de ressources tel que demandé dans le jugement », a écrit Ariadne Bourbonnière, en charge des communications de l'organisation. « D'ailleurs, certains postes ont déjà été pourvus et pour les autres, nous avons mis en place un processus d'affichage spécial qui a pris fin le 23 janvier. Cette étape étant complétée, nous procèderons à la sélection et à l'embauche du personnel, et ce, dans les meilleurs délais. »

« L'employeur s'est mis réellement au travail, enfin », s'est réjoui Mme Bédard.

Le CIUSSS a souligné qu'il devait faire face à une « situation de pénurie de main-d'oeuvre » qui pose « un défi supplémentaire au recrutement ».

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Extraits du rapport de l'experte conjointe employeur/syndicat, la professeure de soins infirmiers à la retraite Marie-Flore Leconte, signé en 2017 :

• « Je ne reconnais pas ma profession dans ce qui se passe dans ce Centre d'hébergement où les soins de base ne sont pas dispensés adéquatement et où on frise la maltraitance. » 

• « Dès le début des rencontres, les représentantes de la partie patronale ont toujours avancé qu'elles ne pouvaient rien faire, car il fallait respecter les balises mises en place par le ministère. » 

• « La situation lamentable que vivent les patients - non changés, pas mobilisés, peu alimentés, partiellement lavés à cause du manque de personnel - peut expliquer la frustration des parents. »