Si un travailleur québécois soigne un accident de travail et développe une dépendance aux opioïdes dans le cadre de ses traitements, la CNESST doit rembourser sa cure de désintoxication, vient de trancher un juge administratif.

Juste avant les Fêtes, le Tribunal administratif du travail s'est penché sur cette question sensible. Le juge Daniel Pelletier a donné raison sur toute la ligne à un mineur devenu invalide après un grave accident de travail.

Celui-ci réclamait 10 500 $ à l'État pour soigner sa dépendance à un médicament contre la douleur, ce que lui refusait la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

Le mineur a été victime en 2014 d'un terrible accident. Un plafond s'est effondré sur lui dans une mine du nord de l'Abitibi.

L'homme a notamment subi une paralysie de la main gauche et un stress post-traumatique. La CNESST conclut à des limitations fonctionnelles et à une «atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de 147%». Le travailleur dans la trentaine sera donc indemnisé toute sa vie.

L'histoire aurait pu en rester là, sauf que l'homme va développer au fil des mois une dépendance à l'Hydromorph Contin, un analgésique opioïde prescrit par ses médecins pour lutter contre la douleur. Sa prise interfère par ailleurs avec un autre médicament qu'il consomme, pour la bipolarité celui-là.

Incapable d'arrêter de prendre des opioïdes de lui-même, le travailleur reçoit une prescription de son médecin afin de s'enrôler dans une cure de désintoxication. Lorsque vient le temps de réclamer à la CNESST les frais de 10 500 $, celle-ci refuse.

Or, selon le juge Pelletier, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit que le travailleur soit remboursé, puisque la dépendance est survenue dans la foulée de l'accident de travail.

«Dans le présent dossier, la preuve démontre de façon prépondérante que la cure de désintoxication est nécessaire pour traiter la dépendance à l'Hydromorph Contin qui lui a été prescrit pour le soulagement de ses douleurs.»

Celui-ci rappelle que la jurisprudence est claire : la CNESST doit «tenir compte de la situation globale d'un travailleur et non seulement de celle reliée à la lésion professionnelle».

Des cas rares?

Le Dr David Lussier, directeur de la clinique externe de gestion de la douleur chronique de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal, comprend bien la logique derrière la décision du Tribunal administratif du travail.

«C'est un peu le même principe que le traitement d'une dépression qui découle d'une lésion professionnelle. La dépression n'est pas vraiment la lésion professionnelle, mais elle est une conséquence et la CNESST le reconnaît souvent», explique le Dr Lussier en entrevue.

Le médecin note toutefois qu'il ne faudrait pas s'attendre à une multiplication de ce genre de réclamations, car les cas de dépendance aux médicaments contenant des opioïdes qui nécessitent une cure sont peu communs.

Il explique que la dépendance physique aux opioïdes se règle par un sevrage. La dépendance psychologique, elle, est selon lui plus rare. «Ceux qui développent une dépendance psychologique, ça reste un pourcentage assez minime sur lequel personne ne s'entend», dit-il.

Il reste que plusieurs Canadiens reconnaissent abuser d'opioïdes. En 2012, dans une enquête du gouvernement, 5,2% des utilisateurs d'analgésiques opioïdes ont reconnu en abuser, ce qui représentait 243 000 Canadiens.

En septembre dernier, Travail sécuritaire Nouveau-Brunswick a resserré ses règles entourant les opioïdes. Après un accident de travail, la période maximale de l'ordonnance initiale a par exemple été abaissée de six à deux semaines.

«Nous demanderons aux médecins de faire un suivi auprès de leurs patients deux semaines après leur avoir prescrit des opiacés afin d'autoriser une prolongation de l'ordonnance, si elle est justifiée», disait le médecin-chef de l'organisme, le Dr Paul Atkinson.