La présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) assure que ses membres laissent du « vrai argent sur la table » dans l’entente sur leur rémunération conclue avec Québec la semaine dernière. « Les gens ont l’impression […] qu’on n’a pas fait d’effort. Mais les 550 millions, il faut que j’aille les chercher dans les poches des docteurs », plaide la Dre Diane Francoeur.

Selon l’entente, que La Presse a obtenue et dont plusieurs détails ont déjà été présentés, l’enveloppe de rémunération des médecins spécialistes sera réduite de 1,6 milliard sur quatre ans. Aucun tarif n’est diminué. Mais à terme, les médecins doivent retrancher plus de 550 millions de dollars à leur enveloppe de rémunération de 2023, dont 240 millions en réévaluant la pertinence de certains soins.

Réduction de l’enveloppe des médecins spécialistes (en millions de dollars) 

2019-2020 : 158, dont 0 en pertinence des soins
2020-2021 : 278, dont 70 en pertinence des soins
2021-2022 : 400, dont 140 en pertinence des soins
2022-2023 : 557, dont 240 en pertinence des soins
Total : 1,4 milliard (à ce chiffre s’ajoutent 200 millions de mesures non récurrentes)

Questionnée par La Presse, la Dre Francoeur assure que ce n’est pas parce que l’entente leur est si favorable que les médecins l’ont si largement appuyée la semaine dernière (les médecins ont voté à 88 % en faveur de l’entente). C’est plutôt parce qu’« ils sont tannés de la chicane. Ils n’en peuvent plus. […] Ils veulent juste faire de la médecine. »

Pas de bonis pour les chefs de département

Selon l’entente, 65 millions par année prévus pour du « médico-administratif » seront retranchés de l’enveloppe de rémunération des spécialistes jusqu’en 2023. Cet argent devait servir à bonifier la rémunération des chefs de département. Une somme de 10 millions par année, qui devait servir à rémunérer les tâches administratives des médecins, par exemple pour leurs réunions de services, sera aussi retranchée.

Une autre somme de 35,5 millions de dollars par année prévue pour des « mesures d’accessibilité » est aussi éliminée. Cet argent devait être investi pour éviter les ruptures de services en psychiatrie, en médecine interne et en pédiatrie en région. La chef de cabinet du président du Conseil du trésor, Marie-Ève Bédard, explique que même si l’argent est retranché, les résultats devront être au rendez-vous.

De l’argent pas dépensé

L’entente révise de 2 % à 1 % par année l’augmentation de la pratique des médecins spécialistes. La Dre Francoeur reconnaît que la hausse de la pratique de ses membres, soit l’augmentation du nombre d’actes réalisés, se situe plus près de 1 % depuis quelques années. Mais elle refuse de dire que l’effort des médecins n’est donc pas si grand, puisqu’ils cèdent ici de l’argent qu’ils ne dépensaient déjà pas. « Cette enveloppe-là, elle est à nous. […] C’était des sommes qu’on avait réservées pour faire des projets », dit-elle.

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

La présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, la Dre Diane Francoeur, aux côtés de Christian Dubé, président du Conseil du Trésor

L’entente avec les médecins spécialistes coïncide avec le début des négociations avec les employés du secteur public, dont les infirmières et les préposés aux bénéficiaires. Quand on souligne que ceux-ci pourraient recevoir peu par rapport aux médecins spécialistes, la Dre Francoeur souligne qu’on en est au début de la négociation. « Il faut qu’ils négocient […], dit-elle. Ils sont nombreux, eux aussi sont capables d’aller se chercher des négociateurs chevronnés. »

L’INESSS inefficace ?

La création d’un Institut de la pertinence qui sera présidé par l’ancien PDG de la RAMQ Jacques Cotton a fait couler beaucoup d’encre depuis la semaine dernière.

L’Institut doit permettre de réaliser des économies de 240 millions en 2022-2023 en éliminant des actes ou en révisant des primes. C’est aussi l’Institut qui veillera à la redistribution des sommes économisées, qui devront « appuyer la médecine spécialisée ». Si les cibles ne sont pas atteintes, les tarifs des médecins spécialistes seront réduits.

La Dre Francoeur le reconnaît : d’autres acteurs ont essayé de s’attaquer à la pertinence des soins dans le passé, dont l’Institut d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) et la défunte Association médicale du Québec. Sans succès, selon la Dre Francoeur.

« L’INESSS fait des recommandations qui ne descendent pas sur le terrain. Il n’y a personne qui fait le suivi », dit-elle. La Dre Francoeur confirme qu’une table de pertinence des soins existe déjà au ministère de la Santé, où siègent entre autres le Collège des médecins et l’INESSS. Mais « personne n’a réussi à le faire encore [la pertinence]. »

Ça fait 10 ans qu’on en parle. Il faut que ça arrive. En le rattachant à la rémunération, ça va bouger.

La Dre Diane Francoeur

Quand on lui demande si la « pertinence » engendrera réellement des économies dans la mesure où les actes non pertinents sont remplacés par plus d’actes pertinents, la Dre Francoeur convient que « si on n’avait pas de liste d’attente, les économies seraient probablement plus grandes ».

L’entente prévoit que l’Institut de la pertinence prendra fin en 2023. Mais la Dre Francoeur espère que « ça devienne pérenne ». Elle ajoute que les patients devront être sensibilisés à la pertinence des soins. Car la pression pour obtenir certains examens est forte sur le terrain.

« Les gens veulent être soignés plus rapidement »

La semaine dernière, l’opposition a fortement critiqué le gouvernement en rappelant que François Legault avait promis de réduire de 1 milliard par année la rémunération des médecins. Le porte-parole libéral sur les dossiers liés au Conseil du trésor, Gaétan Barrette, estimait que l’entente était « une victoire de la FMSQ sur toute la ligne », notamment parce que les tarifs des médecins ne sont pas touchés.

« Les gens auraient préféré attendre plus longtemps, mais qu’on baisse le salaire des docteurs, ce que je trouve totalement ridicule, déclare la Dre Francoeur. Les gens veulent être soignés et vus rapidement. Si on est capables de travailler mieux et de soigner les gens plus vite, je ne pense pas qu’il n’y aura pas grand monde qui va se plaindre. »

Au cabinet du président du Conseil du trésor, on souligne que l’enveloppe de rémunération des médecins spécialistes qui devait s’élever à 5,5 milliards de dollars en 2023 devra être réduite à 4,9 milliards. « On voulait une diminution de l’enveloppe pour ramener la rémunération à 9 % sous la moyenne canadienne. C’est ce qui arrive », a dit Mme Bédard.