À moins d’un mois des audiences du BAPE sur l’amiante, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) n’a toujours pas fini de réviser sa norme sur l’exposition des travailleurs, qui est 10 fois plus permissive qu’au fédéral. Et rien n’indique que ce sera fait à temps pour la commission d’enquête, a constaté La Presse.

« Un processus de médiation est en cours. Ainsi, à l’heure actuelle, il n’est pas possible de s’avancer sur un moment où des recommandations pourraient être formulées », nous a indiqué un porte-parole de la CNESST par courriel.

La révision dure depuis près de trois ans. La CNESST avait ouvert une consultation publique sur 350 contaminants, dont l’amiante, en février 2017.

Sa lenteur a déjà été critiquée à deux reprises par le bureau du Vérificateur général du Québec. « La CNESSST n’exerce pas de véritable leadership en matière de prévention en santé et en sécurité du travail », dénonçait le rapport publié en mai dernier.

Médiateur en renfort

Le comité censé se prononcer sur ce contaminant étant dans une impasse, la CNESST a appelé un médiateur en renfort, une première dans ce type de dossier. Mais sa politique ne comporte aucune obligation de résultat. De plus, le rapport de médiation « ne doit pas contenir une recommandation quant à la solution réglementaire qui pourrait être appliquée à la suite de l’échec de la médiation », stipule le document.

Les poumons de nos travailleurs québécois ne sont pas 10 fois moins importants que ceux des travailleurs des autres provinces !

Simon Lévesque, responsable de santé et sécurité à la FTQ-Construction

Quelque 135 Québécois sont morts d’une maladie professionnelle causée par l’amiante l’an dernier, dont près de la moitié (47 %) étaient des travailleurs du bâtiment.

L’amiante ayant été beaucoup utilisé dans les matériaux de construction, il n’est pas rare d’en trouver lors des travaux de rénovation et de démolition effectués dans des immeubles datant de plusieurs décennies.

Réduire les valeurs d’exposition

La FTQ-Construction, comme plusieurs autres organisations, demande à Québec de réduire l’exposition des travailleurs à la norme fédérale, qui est de 0,1 fibre par centimètre cube (0,1 f/cc), soit 10 fois moins que la norme québécoise (1 f/cc).

Cette norme est un enjeu d’intérêt pour le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), car celui-ci devra dire s’il est pertinent, et sécuritaire, d’exploiter les résidus d’amiante accumulés dans les régions d’Asbestos et de Thetford Mines.

La CNESST a présenté un projet de règlement pour modifier les valeurs d’exposition admissibles de plusieurs contaminants en décembre dernier, mais l’amiante brillait par son absence. Une omission critiquée par plusieurs.

« Pourquoi le comité de révision de la CNESST a-t-il besoin de réfléchir davantage ? », demandait notamment l’Association des victimes de l’amiante du Québec (AVAQ) dans son mémoire.

La révision devrait intégrer les valeurs d’exposition de l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH), avaient pour leur part recommandé les directeurs régionaux de santé publique du Québec dans un avis commun.

C’est ce que fait déjà le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail. Non seulement la concentration de fibres d’amiante aéroportées ne doit-elle pas dépasser la limite américaine, mais elle doit suivre son évolution.

Diminuer au maximum l’exposition de nos travailleurs à l’amiante est assurément une mesure préventive efficace en termes de gains de santé ainsi qu’en gains économiques.

Des associations du domaine de la santé en février 2018

La lettre de ces associations, dont l’Association pour la santé publique du Québec, l’Association médicale du Québec, l’Ordre des architectes du Québec et la Société canadienne du cancer, interpellait le premier ministre Philippe Couillard, et les chefs des trois partis de l’opposition, dont François Legault.

Imiter les normes d’ailleurs

La plupart des provinces canadiennes, ainsi que plusieurs pays européens, utilisent la même norme d’exposition que le fédéral. La France, les Pays-Bas et la Suisse appliquent pour leur part une limite 100 fois plus stricte que le Québec (0,01 f/cc).

« C’est le consensus scientifique planétaire ! M. Legault devrait contracter la PDG de la CNESST et lui demander de faire valoir sa prépondérance. Dès demain matin, la norme pourrait être abaissée », affirme le président de l’AVAQ, Gilles Mercier.

Le conseil d’administration de la CNESST est composé de 14 membres représentant, à parts égales, les travailleurs et les employeurs, et de la chef de la direction, Manuelle Oudar, qui préside le conseil.

Interrogée sur la possibilité que la révision de sa norme ne soit pas achevée avant les audiences du BAPE, la CNESST n’a pas voulu commenter. « La CNESST participe aux travaux du BAPE et entend respecter cette institution », a indiqué le porte-parole de l’organisme, Alexandre Bougie.